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(Article initialement publié le 11 octobre 2011) En plein cœur du grand Beyrouth, la Résidence des Pins est le point d’ancrage français au Liban depuis le début du siècle. Un monument d’architecture unique qui a traversé les fastes, les remous politiques et les guerres.
M. Stanislas Verpoort est l’intendant de la Résidence. Il nous ouvre les portes du bâtiment et nous en raconte l’histoire. Une occasion de retracer le développement d’une ville, l’évolution des relations entre les deux pays et un long passé partagé.
A la fin du XIXème siècle, Beyrouth, ville portuaire, se mue en une ville moderne. Le centre ville vit au rythme des chantiers ottomans qui détruisent les vielles structures pour désengorger l’agglomération. De grands axes sont percés par des architectes allemands et la ville arabe devient petit à petit une « cité bourgeoise méditerranéenne ».
Une périphérie se développe à l’arrière du front de mer vers les quartier verdoyants à l’époque de Rmeil, Ras Beyrouth ou Mazraa.
Dans le contexte des différentes communautés religieuses qui composent le Liban, les notables grecs orthodoxes prospèrent et se diversifient. La famille Sursock en est un exemple remarquable : proches de l’administration ottomane, ils croient en la décentralisation et construisent des édifices nouveaux pour la ville à venir. Probablement inspirés par l’Europe de la Belle Epoque, ils rêvent de promenades, de kiosques et de terrasses de cafés.
La Forêt des Pins (située à Mazraa) paraît être l’endroit idéal pour établir le lieu qui deviendrait le rendez-vous de la vie mondaine beyrouthine. M. Verpoort explique : « en 1915, Alfred Moussa Sursock, richissime et de grande famille, décide de louer à la municipalité de Beyrouth cette grande pinède pour un bail de 40 ans. L’idée de M. Sursock était très simple, il voulait construire un casino. Les gens iraient à l’hippodrome (situé déjà dans la même foret) la journée puis au casino le soir ». La construction est lancée. On utilise la pierre jaune de la région et le marbre rouge de Ehden. Le travail du bois est réalisé dans le plus grand soin par les artisans de la famille Tarazi. L’architecture est hybride, mélange de classique, néo classique, arabo–musulman et ottoman : l’édifice, alors baptisé Cercle Azmy, ne ressemble à aucun autre. En réalité, il semble qu’un autre destin l’attendait : « En fait, la résidence n’a jamais servi de casino en raison de la Première Guerre mondiale. Elle a été convertie en hôpital militaire pour les Français ».
« En 1918, l’Empire ottoman s’effondre et le mandat français débute concrètement quand le haut-commissaire M. Georges Picot prend ses quartiers à la résidence. » A ce moment là, la France, qui avait réquisitionné beaucoup de bâtiments pendant la guerre, se voit contrainte de les restituer à leurs propriétaires à mesure que ceux-ci reviennent. La France utilise temporairement la Résidence des Pins car ce bâtiment a l’avantage d’accueillir un grand nombre d’invités et de permettre de grandes réceptions. M. Verpoort poursuit : « Débaptisé Cercle Azmy et rebaptisé Résidence des Pins, c’est depuis les marches du perron que, le 1er Septembre 1920, le général Gouraud proclame l’indépendance du Grand Liban, moment historique ». Jusqu’à aujourd’hui figure d’ailleurs dans le bureau de l’ambassadeur la photographie originale prise ce jour-là. Le général Gouraud, entouré du patriarche et du grand mufti lève le bras gauche (car il est manchot à droite), c’est le début de la présence officielle française. Denise Ammoun et Pierre Fournier soulignent la portée de l’événement : « Dans l’esprit de Gouraud, l’ancien casino acquiert à partir de cette date une valeur symbolique qui gomme les marques patentes de sa destination première : le jeu. Il est le lieu où se sont rassemblées toutes les communautés du Grand Liban, pour partager un moment d’intense émotion ».
Pour des questions budgétaires, la France, qui pensait pouvoir construire des édifices grandioses pour asseoir son autorité à l’image de Lyautey au Maroc, se trouve contrainte d’acquérir la Résidence des Pins. Les négociations se soldent à 1.875.000 francs et Monsieur Sursock cède en 1921 les droits qu’il avait achetés quelques années auparavant à la municipalité de Beyrouth. La France devient propriétaire des murs sans être propriétaire du sol. Après de gros travaux, la Résidence apparaît comme un lieu de prestige où les hauts-commissaires se succèdent et rythment la vie beyrouthine de grandes réceptions. Les contemporains de ces réunions sont inspirés par la beauté des lieux, l’écrivain Pierre Benoit y situe notamment un de ses romans clés, La Châtelaine du Liban (1924).
La Deuxième Guerre mondiale plonge le mandat français dans un grand trouble. Le Liban est pris en tenaille entre la France Vichyste, la France Libre et les spéculations britanniques. La Résidence des Pins vit les répercutions de ces tensions. Apres avoir subit quelques bombardements britanniques, elle accueille le général de Gaulle qui adresse à la France Libre un message depuis la Résidence. L’indépendance du Liban, encouragée par des pressions britanniques, s’y prépare également en partie, au rythme des rencontres entre dignitaires libanais et français dans les salons de l’édifice. Après plusieurs événements, l’indépendance négociée par le général Catroux permet le retour de l’amitié franco-libanaise en 1943.
Durant les années 1950 et 1960, Beyrouth entre dans une nouvelle phase d’aménagements urbains. La ville s’étend encore et la construction de nouveaux boulevards vient tronquer le terrain de l’ancienne forêt de pins de Mazraa. Après la fin du mandat, il faut repenser les relations entre les deux Etats. La France, qui a rapatrié ses militaires et ses instances politiques, conserve ses réseaux d’influence culturelle. La question de la propriété de la Résidence des Pins devient toutefois épineuse. Certains critiquent son caractère trop clinquant qui rappelle la domination française. De plus, le bâtiment coûte très cher à l’Etat français et est peu confortable avec de nombreux problèmes de chauffage et d’étanchéité. Si un mouvement est en faveur du non renouvellement du bail (qui doit prendre fin en 1964), la décision est finalement prise de l’étendre car un départ de la Résidence pourrait s’assimiler à un retrait de la présence française. En 1967, l’image de la France au Moyen-Orient se trouve redorée par l’engagement de de Gaulle lors de la guerre des 6 jours, et hostilité de certains à la présence française s’apaise. A la lumière de ces événements, une nouvelle décision est prise : la France devient propriétaire en 1972 du terrain de la Résidence.
La Résidence est située au cœur du conflit, en raison notamment de sa proximité géographique avec la Route de Damas (aussi appelée la ligne verte, elle formait la ligne de démarcation entre le Beyrouth Est chrétien et le Beyrouth Ouest musulman). Elle forme de plus une même entité avec l’Hippodrome, rapidement transformé en no man’s land où s’échangent des tirs, et point de passage entre les deux parties de Beyrouth. Comme le souligne S. Verpoort : « pendant la guerre, les chevaux de l’hippodrome mourraient. Certains habitants ont creusé des trous dans la palissade pour aller les nourrir et c’est devenu un point de passage entre l’est ou l’ouest ».
Si les ambassadeurs tentent de rester à la résidence, la violence des conflits les oblige à la quitter à maintes reprises, puis définitivement. En 1978, pendant la « guerre des 100 jours », elle est occupée par des milices armées. L’intendant raconte : « Il y a eu beaucoup de dégâts, les miliciens ont saccagé, brulé les boiseries. Pas simplement pour détruire, mais les temps étaient difficiles, ils avaient juste parfois besoin de se chauffer ».
En 1981, l’ambassadeur Delamare fait preuve d’un engagement très fort envers la cause libanaise. Il tente de rencontrer les différentes parties et de concilier les points de vue. Il est abattu la même année avec son chauffeur en sortant du parc de la résidence.
Les violences se poursuivent. En 1982, les bombardements israéliens provoquent des dégâts sans précédent et un incendie dévastateur. Les représentants officiels de la France quittent la résidence, qui est alors occupée brièvement par les troupes de l’opération Epaulard et par les Observateurs Internationaux. A la fin du conflit, la gendarmerie la réinvestit en 1991.
Au sortir de la guerre civile, Beyrouth est détruite et un vaste chantier de reconstruction se met alors en place, à l’initiative de l’homme politique milliardaire Rafic Hariri. L’ambassade de France et les diverses missions françaises au Liban sont alors éparpillées autour de la ville, il convient de les rassembler en un lieu. L’ambassade prend ses quartiers sur la route de Damas dans l’ancien Espace des Lettres. Le lieu est apprécié pour sa structure et pour le symbole de réunification que constitue sa position. Au fil des nombreuses modifications qu’a subi Beyrouth, la Résidence des Pins se trouve dans les années 1990 en plein centre du Grand Beyrouth et accolée aux quelques pins qui ont survécu à la guerre. Malgré les énormes frais que représente la restauration de la Résidence et du parc, l’engagement français auprès du Liban et l’amitié qui lie le président Jacques Chirac à Rafic Hariri font que le chantier se met en place en 1996 après que l’édifice eut été classé monument historique en 1995.
Un concours est lancé et l’architecte Jean-Marc Pivot remporte le contrat. L’idée est de restaurer les lieux en respectant l’architecture originale tout en incorporant de la modernité. On démonte des parties pour mieux reconstruire, on recueille des images d’archives, on se soucie du confort, on retrouve même le petit-fils de Michel Tarazi afin de restaurer les boiseries qu’avait dessinées son grand-père du temps d’Alfred Moussa Sursock. Le Quai d’Orsay envoie une cellule de décoration qui apporte des verres soufflés de Murano, des tissus Pierre Frey ou encore des tapis d’Elizabeth Garouste. Cependant, le passé auquel a été confrontée la résidence n’est volontairement pas effacé : comme sur beaucoup de bâtiments beyrouthins, les impacts de balles et de bombardements sont toujours présents et dans le bureau de l’ambassadeur, les restes d’une arme retrouvée à proximité sont exposés à droite de la photo originale du général Gouraud prise le 1er Septembre 1920.
Vue de façon positive par les Libanais, cette restauration évoque le « bon vieux temps ». En mai 1998, Jacques Chirac fait se rend à Beyrouth pour l’inauguration et rappelle dans le discours qu’il prononce les liens qui unissent les deux pays et la valeur hautement symbolique qu’a acquise la Résidence des Pins au fil des années : « La France éprouve pour le Liban un attachement puissant et singulier où se mêlent, dans une alchimie toujours renouvelée, l’amitié, la confiance et la fidélité. La résidence des Pins est tout cela. (…) Elle a recouvré sa place au centre de Beyrouth et au cœur du Liban ».
Entretien et bibliographie :
– Entretien et visite de la Résidence avec Stanislas Verpoort.
– Denise Ammoun, Pierre Fournie, La Résidence des Pins Beyrouth, Paris, ACR Editions, 1999.
Chloé Domat
Chloé Domat est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et habite actuellement à Beyrouth. Elle a collaboré avec différents médias dont iloubnan.info, France 24, Future TV.
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