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Abd al-Fattah al-Sissi, une popularité héritée de Nasser

Par Mathilde Rouxel
Publié le 27/03/2015 • modifié le 05/05/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Egyptian President Abdel-Fattah al-Sisi looks on during a meeting in Cairo on November 8, 2014. AFP PHOTO / KHALED DESOUKI

AFP PHOTO / KHALED DESOUKI

Abd al-Fattah al-Sissi s’est alors imposé comme l’homme fort du pays. Cet homme charismatique, dont Tewfik Aclimandos souligne le mystère [1], a été comparé dès le début des mouvements contre la politique de Morsi, par ses partisans, mais déjà dans la rue, à l’emblématique Gamal Abdel Nasser. Le portrait de ce dernier habitait la place Tahrir à l’été 2013, mais était déjà très présent lors de la première révolution, le 25 janvier 2011. L’Égypte de Nasser était influente et prospère ; cette nostalgie des années 1960 qui a accompagné les mouvements du peuple permet de rendre compte de la popularité d’al-Sissi et de l’armée au pouvoir, malgré la répression sans précédent et les tensions que connaissent aujourd’hui le pays. Symboliquement, les deux chefs militaires sont mis côte à côte aux moments les plus forts de la nation égyptienne. L’exemple du soixante-et-unième anniversaire du mouvement du 23 juillet, qui fête la Révolution de 1952 est un exemple parlant. Dans les médias et pour le peuple, présentant côte à côte les portraits de Nasser et d’al-Sissi au-dessus de la tombe du premier, l’amalgame est fait entre la prise du pouvoir de Nasser après la Révolution et la figure d’al-Sissi, chargé de l’espoir que le chef d’État militaire sache rendre de l’Égypte une puissance qu’elle a connue [2]. Cependant, la filiation n’est pas seulement symbolique ; elle se veut également politique. La popularité du ra’is tient en effet à sa politique fortement nationaliste et à son combat contre les Frères musulmans et toute forme d’extrémisme religieux, l’État comptant garder en son pouvoir le contrôle du religieux dans les populations.

Une étude comparative des personnalités et des politiques menées par les deux ra’is, al-Sissi et Nasser, permet de comprendre l’attachement de la population à ce président qui, aux lendemains de la Révolution, met en œuvre un régime autoritaire sévère.

Trajectoires et personnalités

Al-Sissi est né au Caire en 1954. Il est diplômé en sciences militaires de l’académie militaire égyptienne en 1977. Il part ensuite étudier en Grande-Bretagne, puis dans une école militaire américaine où il travaille sur un mémoire qu’il intitule : « La Démocratie au Moyen-Orient », qui pose ses premières réflexions sur le rôle de l’islam, notamment dans la législation [3]. Il est nommé chef des armées par Mohamed Morsi en 2013.
Le général al-Sissi a toujours affirmé son admiration pour Gamal Abdel Nasser, considéré auprès du peuple comme une figure emblématique de la prospérité et de l’indépendance de l’Égypte. C’est donc tout naturellement qu’en tant que militaire al-Sissi s’inscrive dans la tradition des présidents du pays, et qu’il jouisse d’une grande popularité auprès de la population égyptienne qui avait élu Mohamed Morsi, mais qui fut vite déçue du résultat politique du premier vote démocratique de son histoire. Symbole de l’espoir d’une nouvelle Égypte forte, les trajectoires des deux ra’is sont sans cesse comparées.
Tous deux sont issus de l’armée, bien que le grade de Nasser en 1952 ait été inférieur à celui d’al-Sissi en 2013, qui avait obtenu le titre de maréchal grâce à Morsi. Tous deux ont été proches des Frères musulmans, avant de changer de position, une fois au pouvoir [4]. Tous deux ont destitué le président en place, grâce à leur charisme et au large support que leur affichait la population.
La position d’al-Sissi vis-à-vis de la religion est souvent appréciée. Il apparaît à la population comme un homme très pieux, puisqu’il dit se consacrer chaque jour aux cinq prières, et que sa femme porte le hijab. Il suit néanmoins la ligne laïque du président Nasser, ce qui le rend populaire auprès des opposants de Mohamad Morsi ; le discours qu’il prononce le 28 décembre 2014 à Al-Azhar contre les extrémismes religieux est l’acte de naissance d’une répression contre les mouvements d’extrémisme religieux, qui s’attaque particulièrement aux Frères musulmans et aux salafistes du pays, mais qui intervient désormais également en dehors des frontières : le 16 février 2015, des avions de combats bombardent en Libye des positions de l’État islamique, après l’assassinat revendiqué par le mouvement de 21 coptes d’Égypte [5]. À cette heure de répression, de nombreux Egyptiens voient dans l’organisation État islamique une solution à leur volonté de contestation.
Cette défense de la minorité copte s’est déjà manifestée le 6 janvier 2015, lorsque le président s’est rendu à la Cathédrale orthodoxe Copte du Caire pendant la messe de Noël [6]. Par ces visites et ses discours, al-Sissi se pose en véritable « père de la Nation [7] ».
La personnalité d’al-Sissi est cependant beaucoup plus mystérieuse que celle de Gamal Abdel Nasser, homme impulsif et combattif. Sissi est calme et calculateur. Il s’exprime peu ne public, et travaille soigneusement postures.

Politique intérieure

Al-Sissi s’est imposé à la tête de l’État égyptien en appelant un vote démocratique qui justifierait sa position. Le conseil révolutionnaire de 1952, après avoir dissout les partis politiques, appelait parmi ses six principes la construction d’une vie démocratique. Comme le notent de nombreux observateurs [8], ce principe n’a jamais été respecté sous Nasser. Al-Sissi a annoncé lui aussi lors de son investiture rendre son pouvoir au peuple, et le peuple lui a fait confiance. L’autoritarisme imposé au peuple est pour Alain Gresh le « premier échec du ‘maréchal’ Sissi  [9] ». La volonté de redresser et de stabiliser l’Égypte fait néanmoins de lui une figure populaire. Seulement, lorsque Nasser a pris en main l’Égypte, le pays était riche et dans une situation favorable. Le défi lancé par al-Sissi de relever l’Égypte est vu par la population comme un véritable acte de courage.

La principale similarité soulevée par les spécialistes entre le régime de Nasser et celui d’al-Sissi est avant toute chose son combat contre les Frères musulmans, déclarés « organisation terroriste ». Depuis son investiture, al-Sissi mène une politique de répression de toute manifestation de l’opposition (majoritairement menée par des extrémistes musulmans). Les procès de masse se multiplient contre les islamistes, et le nombre d’exécutions ne cesse d’augmenter.

Par ailleurs, al-Sissi se distingue par ses décisions économiques et ses projets d’aménagement, qui enthousiasment la plupart des Égyptiens. Rares en effet sont ceux qui élèvent la voix contre celui qu’ils voient comme un « marchand d’illusions [10] ». Le président a en effet annoncé récemment la construction à l’Est du Caire d’une nouvelle capitale administrative, d’un coût de 43 milliards d’euros, qui pourrait éventuellement, selon Waël Qandil, porter le nom du ra’is lui-même. L’autre grand projet, qui fait manifestement écho à la nationalisation du canal de Suez par Nasser, est le doublement du même canal, qui permettrait de multiplier par deux en dix ans le nombre de bateaux qui traversent quotidiennement le canal, offrant par là une nouvelle dynamique économique et une forte création d’emploi.

Supports internationaux

Al-Sissi comme Nasser, lorsque la situation avec les États-Unis a tourné à leur désavantage, se sont tournés vers l’Est : al-Sissi se rapproche aujourd’hui de la Russie, lorsque Nasser s’était associé au bloc de l’Est, à l’URSS, l’Inde, l’Indonésie, l’Amérique Latine et l’Afrique. Concernant Israël, lorsque Nasser affichait une attitude très hostile à l’État sioniste, al-Sissi prône la discussion et la paix.
En revanche, alors que les relations diplomatiques de l’Égypte de Nasser avec l’Arabie saoudite étaient très tendues, le gouvernement provisoire d’al-Sissi, puis aujourd’hui sa présidence, ont bénéficié et bénéficient du soutien marqué de celle-ci. Les tensions sont toujours fortes avec la Libye, le Qatar et la Turquie.

Peut-on penser, comme le laisse entendre Wael Nawara [11], que l’implication du président al-Sissi contre le « terrorisme régional », se réfère aux ambitions régionales du président Nasser dans les années 1960 ? Son nationalisme panarabe a en effet fait de lui une figure emblématique d’une identité arabe revendiquée dans les années 1960-70. Après l’attaque aérienne de la frontière libyenne, jusqu’où iront les opérations militaires de Sissi contre le terrorisme dans le monde arabe ? Apportera-t-il son soutien à la Syrie, lui qui, au lendemain des frappes en Libye en février 2015, demandait au conseil de sécurité de l’ONU l’intervention d’une coalition en Syrie [12] ? Quoi qu’il en soit, la population égyptienne salue toujours en grande partie ce président qui, selon elle, « a su s’imposer sur la scène internationale par ses prises de position courageuse et sa volonté de défendre une Égypte nationaliste et extirpée de ses fanatismes [13] », comme on peut le lire sur des blogs d’informations collaboratifs.

Conclusion

Al-Sissi semble ainsi construire son image politique, grâce à ses soutiens politiques et aux médias, sur une filiation revendiquée avec le plébiscité Gamal Abdel Nasser. Cette filiation est acceptée : Houda Abdel Nasser, fille du ra’is si populaire, affirme d’ailleurs depuis le début son soutien indéfectible au général al-Sissi, ce qui ajoute encore pour le peuple à la légitimité de la comparaison entre les deux hommes [14]. Malgré une répression dure, il est aujourd’hui encore très populaire, bien que les enjeux auxquels se trouve confronté le nouveau ra’is soient plus délicats à appréhender que sous l’Égypte de Nasser. Quelques doutes s’installent, notamment sur les questions de justice sociale et de réalités économiques toujours problématiques. Le temps montrera si sa politique satisfait ou non les nasséristes du pays ; il apparait malgré tout que, tant du point de vue symbolique que politique, al-Sissi partage largement avec Nasser une vision glorieuse d’une Égypte forte et indépendante, qu’il se charge de reconstruire. Abd al-Fattah al-Sissi incarne l’homme fort en mesure de faire revenir la stabilité dans un pays fréquemment secoué par des crises plus ou moins violentes à travers le pays et déserté par les touristes depuis 2011.

Lire sur les Clés du Moyen-Orient :
 Nasser et son temps, par Anne-Claire de Gayffier-Bonneville
 Nasser (Gamal Abdel)
 Entretien avec Tewfick Aclimandos - un mois après, retour sur les présidentielles égyptiennes
 Elections présidentielles en Egypte : la victoire contestée du maréchal Al-Sissi
 Égypte : Entre la légitimité perdue de Morsi et l’autoritarisme retrouvé des élites politiques
 L’actualité politique en Egypte : le vote de la Constitution
 L’élection présidentielle fixée aux 26 et 27 mai 2014 en Egypte

Bibliographie :
 Marc Lavergne (dir.), L’Émergence d’une nouvelle scène politique – Égypte, an 2 de la révolution, L’Harmattan, Bibliothèque de L’iReMMO, 2012.
 Tewfik Aclimandos, « Abd al-Fattah al-Sissi », in. Bernard Rougier, Stéphane Lacroix (dir.), L’Égypte en Révolution, Paris, PUF, 2015.
 Alain Gresh, « Égypte, le premier échec du "maréchal" Sissi » Nouvelles d’Orient, Les blogs du diplo, 29 mai 2014, http://blog.mondediplo.net/2014-05-29-Egypte-le-premier-echec-du-marechal-Sissi.

Publié le 27/03/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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