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Al-Azhar, mosquée et université au cœur de la société égyptienne et du monde musulman sunnite (1/2)

Par Oriane Huchon
Publié le 21/04/2017 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Egypt, Cairo, old town listed as World Heritage by UNESCO, Al Azhar Mosque, minarets.

SIERPINSKI Jacques / hemis.fr / Hemis / AFP

Histoire

La mosquée Al-Azhar fut fondée un an après la création de la ville du Caire par la dynastie chiite Fatimide. La construction dura deux ans, de 970 à 972. La mosquée se situait au sud de la nouvelle ville, à proximité du palais du calife. Plusieurs explications du nom Al-Azhar sont possibles. Al-Azhar (« la florissante », « la brillante ») peut avoir été choisi en référence à la fille du Prophète, Fatima al-Zahra ; ou parce qu’elle était entourée des scintillants palais des califes ; ou encore parce qu’elle devait devenir la plus importante des mosquées du Caire.

Selon les époques, Al-Azhar connut plus ou moins de succès auprès des dynastes. D’autres universités et mosquées du Caire rivalisaient avec Al-Azhar dans le prestige. Celui-ci se matérialisait entre autres par l’emplacement choisi pour le prêche du vendredi. Ainsi, au cours de l’histoire, celui-ci eut régulièrement lieu à Al-Azhar. La longévité de l’institution lui permis de s’imposer comme le centre des études arabes et musulmanes à des périodes où d’autres collèges du Caire disparaissaient.

Rapidement, un collège fut accolé à la mosquée. Le cycle d’études azhariennes commençait jeune (avant 10 ans). Au départ spécialisée dans la doctrine religieuse chiite des Fatimides, l’offre d’enseignements dispensés à Al-Azhar augmenta ensuite. A la fin du règne des Fatimides (XIIe siècle), on y étudiait la jurisprudence, la théologie, les différentes écoles juridiques de l’islam (ismaélienne et sunnite) et la littérature. Sous les Fatimides, Al-Azhar occupait un rôle central dans la politique religieuse de la dynastie : le sermon du vendredi y était lu au nom des califes fatimides, les religieux de l’université et de la mosquée menaient les cérémonies de l’Achoura (1), organisaient des événements de lecture du Coran, entre autres.

Alors qu’Al-Azhar fut délaissée sous les Ayyoubides sunnites (1172-1252), les Mamelouks (1250-1382), sunnites également, en firent le bastion de l’enseignement des sciences islamiques. De nouveaux professeurs de jurisprudence, de théologie et d’étude des hadiths furent nommés, des biens (awkafs) furent alloués pour assurer les salaires des professeurs, un religieux fut nommé pour mener les prières, les édits officiels exhortant les croyants à se comporter selon la loi coranique y étaient lus. De nouveaux bâtiments furent construits dont la madrasa Taybarsiyya et la bibliothèque. Au cours de son histoire, de nouvelles constructions vinrent régulièrement agrandir le complexe d’Al-Azhar. Le règne des Mamelouks constitue une période faste pour la culture égyptienne, et Al-Azhar se trouvait au cœur de cette dynamique.

Au XVIe siècle, la prise de pouvoir par les Ottomans ne changea pas le statut d’Al-Azhar dans la société musulmane. Après une période d’instabilité politique dont l’institution souffrit, Al-Azhar acquit un rôle politique qu’on ne lui avait jamais accordé auparavant. Le recteur de l’université était consulté par le pouvoir ottoman pour toutes les questions d’importance concernant cette partie de l’empire, et il donnait son haut patronage pour toutes les institutions éducatives d’Egypte. A cette époque, Al-Azhar était considérée comme le plus important centre d’enseignement religieux du monde arabe. Ses champs disciplinaires se concentraient sur la grammaire, la rhétorique, l’éloquence, la littérature et les affaires juridiques.

Le tournant du XVIIIe siècle, le XIXe et le XXe siècles marquèrent d’importantes réformes de l’institution qui en firent un ensemble scolaire et universitaire moderne. L’objectif était de répondre à certains problèmes intrinsèques de l’institution : pauvreté des professeurs, stagnation du niveau de l’enseignement (l’Encyclopédie de l’Islam évoque la « décadence de ses méthodes intellectuelles » (2)) et concurrence d’autres universités fondées sur le modèle occidental. La politique réformiste de Méhémet Ali et de ses successeurs enclencha le processus, bien que les conservateurs se soient opposés aux innovations et à l’imitation de l’Europe. Les finances de l’institution furent assainies. Surtout, les étudiants et les professeurs devaient désormais s’inscrire pour assister ou dispenser des cours, ce qui n’était pas le cas précédemment. A cette époque, Al-Azhar comptait 314 professeurs et 10 000 étudiants dans les quatre écoles juridiques du sunnisme. Ces réformes furent poursuivies par Mohamed Abduh, penseur du réformisme islamique et plus tard grand mufti d’Egypte. Il fixa un emploi du temps des cours, des examens annuels et introduisit des sujets d’études modernes et séculiers. En 1911, une loi fut promulguée pour consacrer Al-Azhar comme institution éducative la plus importante d’Egypte. Depuis 1930, Al-Azhar diffuse une revue mensuelle, organe officiel de ses professeurs.

Sous le règne du roi Farouk, en 1936, les statuts d’Al-Azhar furent inscrits dans la législation. Ses objectifs étaient de diffuser la charia et la langue arabe dans le monde, de former des savants qui pourraient eux-mêmes participer à la diffusion de ces matières, de former des juristes. Innovation notable, une école juridique chiite fut réintroduite dans les enseignements dispensés. Des enseignements séculiers et modernes et des facultés de langues étrangères furent créés. Au long du siècle, Al-Azhar annexa tout un réseau d’établissements d’enseignement musulman en Egypte et à l’étranger. Des professeurs d’Al-Azhar exerçaient et exercent toujours dans tout le monde musulman, contribuant à la renommée de l’université dans le monde. Enfin, la loi de juin 1961 introduisit des réformes essentielles à la modernisation de l’institution : des instituts affiliés dispensèrent dès lors des matières telles que les mathématiques, les sciences naturelles ou la géographie, et l’organisation de l’institution fut modifiée.

Depuis sa création et de par sa place centrale dans la société égyptienne et dans la ville du Caire, Al-Azhar a hébergé différentes mouvances politiques et religieuses. Dans l’entre-deux-guerres, elle est devenue le centre de la lutte entre les Anglais, les leaders nationalistes et la nouvelle monarchie du roi Fouad. Ensuite, les Frères musulmans prirent de plus en plus d’importance au sein de l’université et celle-ci devint le foyer de manifestations politiques et idéologiques.

Il ne faut pas oublier qu’en plus d’être un ensemble scolaire et universitaire, Al-Azhar est aussi une mosquée. De ce fait, elle fut tout au long de son histoire maison du peuple. On y venait lorsqu’on faisait la route du pèlerinage, lors d’événements religieux, ou lorsqu’un fléau s’abattait sur la ville du Caire par exemple.

Organisation de l’institution

L’institution connut différents systèmes de direction et d’organisation au cours des siècles. La loi de juin 1961 a marqué de nombreux changements dans l’administration de l’université, a consacré officiellement Al-Azhar comme une université, et a durablement lié l’institution au pouvoir étatique. Pour commencer, son président, cheikh al-Azhar, est directement nommé par le président égyptien. Depuis 2010, cette haute autorité de l’islam sunnite est Ahmed al-Tayeb, nommé par Hosni Moubarak. Une fois nommé, le cheikh est inamovible et peut agir à sa guise. D’ailleurs, Ahmed al-Tayeb a plusieurs fois émis le souhait qu’Al-Azhar retrouve son indépendance vis-à-vis du gouvernement. De plus, l’université est financée par l’Etat et le personnel enseignant répond au statut de fonctionnaire. La direction centrale de l’université fut également largement modifiée. Autre changement notoire, un campus féminin fut créé en 1962.

L’objectif de ces réformes était de subordonner les oulémas au contrôle de l’Etat de manière plus effective, et de leur donner le monopole de l’autorité et de la connaissance religieuse, afin de faire d’Al-Azhar le symbole de l’indépendance égyptienne.

Dans ce contexte, Al-Azhar connut une importante expansion. En 2006, le groupe formé par Al-Azhar et les établissements associés comptabilisait 75 facultés séculières et religieuses sur le territoire égyptien et 350 000 étudiants, dont un tiers de femmes. Aujourd’hui encore et malgré l’important panel de matières proposées par l’institution, les enseignements coraniques sont au premier plan des enseignements dispensés à Al-Azhar.

Lire la partie 2 : Al-Azhar, mosquée et université au cœur de la société égyptienne et du monde musulman sunnite (2/2)

A lire sur ce thème sur Les clés du Moyen-Orient :

 Art et architecture en Egypte pendant le sultanat mamelouk

 1517 : les Ottomans battent les Mamelouks

 Farouk, avant dernier roi d’Egypte

 Caroline Kurhan, Le roi Farouk, Un destin foudroyé

 Entretien avec Mathieu Tillier – Les fondements médiévaux du droit musulman

Notes :
(1) Achoura selon le dictionnaire Larousse : « Fête religieuse musulmane qui a lieu le 10e jour de la nouvelle année. (Les chiites commémorent ce jour-là la mort de Husayn.) »
(2) Jomier, J., “al-Azhar”, in : Encyclopédie de l’Islam. Consulted online on 18 April 2017.

Publié le 21/04/2017


Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.


 


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