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Armistice de Saint Jean d’Acre et accords Lyttelton-de Gaulle

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 18/08/2011 • modifié le 23/01/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

L’accord d’armistice

Avant le début des négociations, le gouvernement britannique envoie au gouvernement de Vichy un mémorandum le 11 juillet, rappelant notamment le but de l’intervention militaire des alliés au Levant : « les alliés n’ont pas d’autres buts en Syrie que celui d’empêcher qu’elle ne serve de base à des forces terrestres et aériennes ennemies contre la position militaire dans le Moyen-Orient. Ils se sont également engagés à l’égard de la population arabe en lui donnant lors de leur entrée en Syrie une garantie d’indépendance. La Grande-Bretagne a appuyé la déclaration de Catroux » [1]. Le texte britannique évoque ensuite le devenir des troupes de Vichy qui pourront librement rejoindre les alliés ou être rapatriées ; la question du matériel de guerre ; le droit pour les alliés d’occuper la Syrie pendant la durée de la guerre ; la levée du blocus et l’intégration du Levant dans le bloc sterling. Devant les exigences du mémorandum britannique, le gouvernement de Vichy estime qu’elles sont « inconciliables avec les droits et les prérogatives de la puissance mandataire ». Il refuse en outre de négocier avec les « traîtres à leur patrie, comme de Gaulle et Catroux » et toute « amnistie », car « des soldats français obéissant au gouvernement de leur pays n’ont pas à être amnistiés » [2].

Les négociations s’ouvrent le 12 juillet à Saint-Jean d’Acre, auxquelles participent les délégations vichyste, britannique et de la France libre : le général de Verdilhac préside la délégation vichyste, le général Wilson la délégation britannique et le général Catroux celle de la France libre. Sur le plan territorial, il est décidé que les forces alliées occupent la Syrie et le Liban, et que les forces françaises soient concentrées dans des zones fixées par une commission mixte. Les armes détenues par les troupes de Vichy et le moyen de rapatriement en métropole des officiers et des troupes font l’objet d’âpres négociations entre les deux généraux. La question la plus délicate porte sur les modalités permettant de choisir entre le ralliement ou le départ vers la métropole.

L’accord d’armistice est signé le 14 juillet 1941 par les généraux de Verdilhac et Wilson, le général Catroux n’étant pas autorisé à le signer. Cet accord, dans lequel la France libre n’est pas mentionnée et n’obtient donc pas le matériel militaire de l’Armée du Levant, porte exclusivement sur les questions de reddition. D’autre part, il est décidé que les troupes syriennes et libanaises, dites troupes spéciales, passent sous commandement britannique [3].
Pour le général de Gaulle, ce texte équivaut « à une transmission pure et simple de la Syrie et du Liban aux Britanniques. Pas un mot des droits de la France, ni pour le présent, ni pour l’avenir. Aucune mention des Etats du Levant ». Il estime que Vichy « abandonne tout à la discrétion d’une puissance étrangère et ne cherche à obtenir qu’une chose : le départ de toutes les troupes, ainsi que du maximum de fonctionnaires et de ressortissants français » [4]. Il regrette également que les alliés britanniques « paraiss(e)nt ignorer, jusque dans les termes, leurs alliés français libres, dont l’initiative et la coopération les avaient fortement aidés à atteindre le but stratégique, ils profitaient, apparemment, des abandons de Vichy pour essayer de ramasser sous la coupe de leur commandement militaire l’autorité que Dentz leur passait à Beyrouth et à Damas » [5]. De Gaulle va alors entreprendre de renégocier les accords d’armistice avec la Grande-Bretagne.

Les accords Lyttleton-de Gaulle signés au Caire les 24 et 25 juillet 1941

Dans ce contexte peu favorable à la France libre, et afin de la repositionner face aux Britanniques et aux populations syrienne et libanaise, le général Catroux, nommé par de Gaulle depuis le 24 juin commandant en chef dans le Levant et délégué général et plénipotentiaire dans les Etats du Levant, s’installe à la Résidence des Pins, siège du haut-commissariat. De son côté, de Gaulle exprime son désaccord à l’armistice de Saint Jean d’Acre sur les questions militaire (ralliement des troupes de Vichy, attribution des armes aux Britanniques et non à la France libre, rattachement des troupes syriennes et libanaises au commandement britannique) et politique (reconnaissance des droits de la France libre au Levant). Toutes ces raisons l’incitent à renégocier l’armistice de Saint Jean d’Acre.

Dans ce but, de Gaulle, jusqu’alors à Brazzaville, se rend au Caire afin d’y rencontrer le ministre d’Etat chargé des affaires britanniques en Orient, Oliver Lyttelton. Le 21 juillet, de Gaulle lui exprime sa déconvenue, et notamment le fait que « en Syrie et au Liban, l’autorité ne saurait passer de la France à la Grande-Bretagne. C’est à la France libre et à elle seulement qu’il appartient de l’exercer ». Lyttelton répond alors que l’objectif de la Grande-Bretagne au Levant est de « gagner la guerre et qu’elle n’y poursuit aucun autre but ». La question de l’indépendance de la Syrie et du Liban étant soulevée par Lyttelton, et étant considérée comme une condition essentielle au maintien de la paix intérieure, de Gaulle répond que la France est puissance mandataire et que c’est à elle de la donner [6].

A la suite de ses entretiens avec Lyttelton, de Gaulle obtient satisfaction le 24 juillet. Un accord « interprétatif de la convention de Saint Jean d’Acre » permet à la France libre d’entrer en contact avec les troupes de Vichy, d’évoquer la possibilité d’un ralliement de celles-ci, de récupérer leurs armes. Quant aux troupes spéciales, c’est-à-dire les troupes syriennes et libanaises, elles passent finalement sous le commandement des troupes françaises libres.
D’autre part, sur le plan de la coopération militaire, Lyttleton accepte le 25 juillet un accord « concernant la collaboration des autorités militaires britanniques et françaises libres dans le Moyen-Orient ». Ce texte, rédigé par de Gaulle, considère le Moyen-Orient comme un seul théâtre d’opération, où la politique de défense des deux armées doit être coordonnée. Cet accord insiste sur l’importance de l’action militaire conjointe entre les forces militaires britanniques et françaises libres. Les plans d’opérations seront fixés par les commandements français et britannique, mais en raison de la prépondérance des forces britanniques, les Britanniques en assurent le commandement militaire. Mais si, dans une opération, les forces françaises sont les plus nombreuses, un officier français prendra le commandement. Un dernier accord, dit « accord supplémentaire concernant la collaboration des autorités britanniques et françaises libres dans le Moyen-Orient » est également signé le 25 juillet. Reprenant les termes du précédent, il précise que la France libre reconnaît que des mesures de défense peuvent être prises par le commandement britannique au Levant contre l’ennemi commun. De Gaulle accepte en outre que des « troupes du désert » soient levées et commandées par des officiers britanniques, si des troupes supplémentaires sont nécessaires pour les opérations. Cet accord met enfin accent sur le rôle de l’officier de liaison entre les commandements britannique et français libre [7].

Ainsi, la Grande-Bretagne reconnaît la place de la France au Levant sur les plans politique et administratif, tandis que la France accepte le commandement militaire de la Grande-Bretagne, selon les conditions bien précisées dans les textes acceptés le 25 juillet. Cette reconnaissance est ainsi exprimée par Lyttelton, dans une lettre adressée à de Gaulle ce même jour : « Nous reconnaissons les intérêts historiques de la France au Levant. La Grande-Bretagne n’a aucun intérêt en Syrie et au Liban, excepté de gagner la guerre. Nous n’avons pas l’intention d’empiéter d’aucune façon sur la position de la France ». La question de l’octroi de l’indépendance, promise le 9 juin par Catroux et par les Britanniques est néanmoins rappelée, à l’issue de laquelle la France gardera des liens privilégiés avec les nouveaux Etats indépendants : « La France libre et la Grande-Bretagne ont, l’une et l’autre, promis l’indépendance à la Syrie et au Liban. Nous admettons volontiers, qu’une fois cette étape franchie et sans la remettre en cause, la France devra avoir au Levant une position dominante et privilégiée parmi toutes les nations d’Europe » [8].

Ce même jour, de Gaulle se rend en Syrie et au Liban, où il reçoit un accueil enthousiaste des responsables politique et des populations. Mais en dépit de la renégociation des accords d’armistice à la faveur de la France libre, et malgré les promesses de désintéressement de la Grande-Bretagne, sur le terrain, les relations entre les gaullistes et les Britanniques restent difficiles, ces derniers ne respectant pas, aux dires de de Gaulle, les accords passés avec Lyttelton. Celui-ci reconnaît d’ailleurs le 7 août, lors d’une visite à Beyrouth, que « les militaires anglais n’exécutaient pas nos accords des 24 et 25 juillet » [9]. Dans ce contexte, néanmoins, la France libre installe son administration et s’attache à remettre en marche les gouvernements syrien et libanais.

Lire également sur Les clés du Moyen-Orient : Guerre du Levant

Publié le 18/08/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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