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Auteur et porte-parole de la paix, Amos Oz meurt à l’âge de 79 ans

Par Ines Gil
Publié le 24/01/2019 • modifié le 24/01/2019 • Durée de lecture : 5 minutes

Portrait of Amos Oz (born Amos Klausner) - June 1999.

©Leonardo Cendamo/Leemage /AFP

Une vie qui résonne avec l’histoire de l’Etat d’Israël

Amos Oz, né Klausner, voit le jour le 4 mai 1939 à Jérusalem, en Palestine mandataire, neuf années avant la création de l’Etat d’Israël. Fils d’immigrants juifs originaires d’Europe de l’Est, il grandit dans un milieu sioniste très séculier.
A 12 ans, il est profondément marqué par le suicide de sa mère. Cette tragédie familiale est un tournant pour cet enfant, jusqu’ici adepte des thèses nationalistes de droite développées par Zeev Vladimir Jacobinsky, comme il le raconte dans « Une panthère dans la cave » et dans « La Colline du mauvais conseil ». Suite à cet épisode, en opposition aux thèses familiales, il se tourne vers le sionisme de gauche. Dans les années qui suivent, il cherche à expliquer l’acte de sa mère. Selon lui, cette quête pour comprendre l’autre a façonné à la fois son travail d’écrivain, mais aussi sa pensée politique.

Adolescent, il s’installe dans le Kibbutz de Houlda, situé au centre du pays. C’est à cette époque qu’il abandonne son nom Klausner, pour prendre celui d’Oz (עוז), qui signifie force en hébreu. En Israël, historiquement, les kibbutzim ne rassemblent qu’une très faible proportion de la population (moins de 2% aujourd’hui). Cependant, au lendemain du traumatisme de la Shoah, ces villages collectivistes incarnent le rêve sioniste d’un homme nouveau, façonné par la vie en collectivité et le travail de la terre. Amos Oz, comme les autres membres des kibboutzim, croit alors aussi en cette utopie de renouveau.

Réserviste dans l’armée israélienne, il participe ensuite aux guerres de 1967 (guerre des six jours), puis de 1973 (guerre de Kippour). Après 1967, avec le début de l’occupation (1), il commence à plaider pour une solution à deux Etats avec les Palestiniens.

Un poids lourds de la littérature israélienne

Auteur d’une vingtaine de romans et d’essais, et d’un grand nombre d’articles, Amos Oz est considéré comme un des auteurs israéliens les plus accomplis. Représentant de la génération dite “de l’Etat”, qui est née au début de la création d’Israël, l’écrivain a traversé toute l’histoire de son pays. Dans ses oeuvres, il se questionne sur les épisodes de sa vie, notamment dans le magistral « Une histoire d’amour et de ténèbres », mais aussi sur le sionisme, la société israélienne, les contradictions et les peurs de ce jeune pays (2).

Avec « La boite noire », paru en 1986, Amos Oz dépeint une société israélienne divisée entre les partisans du “Grand Israël” et les défenseurs d’une solution de compromis. Plus tard, dans son essai « Entre amis », véritable retour aux sources, au kibbutz de son adolescence, il questionne la place de l’individu dans la société et le désenchantement des idéaux sionistes. Enfin, dans son dernier roman, « Judas », l’écrivain interroge sur les relations entre le judaïsme et le christianisme, et propose un dialogue sur le sionisme et la question palestinienne. Le titre est évocateur, et pour cause, Amos Oz met en avant la figure du traître, qu’il incarne lui-même dans la vraie vie, aux yeux d’une partie de la droite israélienne.

Maître de la langue hébraïque, cet auteur a contribué à façonner la société israélienne autour d’une culture littéraire et linguistique. Élevé exclusivement en hébreu, même si son père parlait une dizaine de langues, il a enrichi l’hébreu moderne. Cet héritage est même applaudi par ses opposants, car à sa mort, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a salué la « contribution » de l’écrivain à « la langue hébraïque et au renouveau de la littérature en hébreu » (3).

Amos Oz a non seulement marqué la société israélienne par son oeuvre littéraire, mais aussi par sa pensée et ses actions politiques.

« Nous devons diviser ce petit territoire en deux plus petits territoires : un pour les Israéliens, un pour les Palestiniens, en paix, coexistence, et sans violence » (4)

Alors qu’Israël et l’Egypte sont en pleine négociation de paix à la fin des années 1970, plus de 300 officiers réservistes de l’armée israélienne publient une lettre au Premier ministre israélien Menahen Begin, pour l’inciter à poursuivre les efforts de paix. Dans la foulée, en 1978, Amos Oz fonde, avec quelques autres officiers de réserves l’organisation La Paix Maintenant, appelée Shalom Archav en Israël (5).
Ces dernières décennies, cette ONG est devenue l’organisation pacifiste la plus importante d’Israël. A certaines occasions, elle a réuni des centaines de milliers d’Israéliens dans les rues pour protester contre la politique du gouvernement à l’étranger et dans les Territoires palestiniens.

Bien qu’extra-parlementaire, La Paix Maintenant se situe sur la gauche sioniste du spectre politique israélien. L’organisation plaide pour une solution à deux Etats avec un retour aux frontières de 1967, la fin de la colonisation, et donc, la reconnaissance du droit d’Israël à exister et la création d’un Etat palestinien. Les années 1980 et 1990 sont deux décennies de consécration pour cette organisation.

En 1982, suite au massacre de Sabra et Chatila (camps palestiniens situés au sud de Beyrouth, Liban) entre le 16 et le 18 septembre, une manifestation monstre est organisée à l’appel de La Paix Maintenant et du Parti Travailliste israélien (centre gauche) (6), rassemblant 400 000 personnes, soit 8% de la population à l’époque. Les protestataires appellent à la démission du ministre de la Défense Ariel Sharon, et au retrait israélien du Liban (7). Jusqu’à aujourd’hui, c’est la plus importante mobilisation de l’histoire d’Israël. Ces manifestations, additionnées à de virulentes critiques de l’opposition à la Knesset (Parlement israélien), entrainent l’ouverture d’une Commission d’enquête israélienne, la Commission Kahane, dont l’objectif est de déterminer les responsables des événements survenus dans les camps de Sabra et Chatila. Après 4 mois d’investigation, la Commission rejette la responsabilité directe du massacre sur les phalangistes libanais. Elle affirme qu’aucun Israélien ne peut être poursuivi, mais qu’Israël est indirectement responsable, car l’armée encercle alors les camps (8).

En 1988, suite à la reconnaissance de l’Etat d’Israël par l’Organisation de Libération de la Palestine, La Paix Maintenant organise une manifestation rassemblant plus de 100 000 protestataires, pour appeler au retrait israélien de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, et à l’ouverture de négociations avec les Palestiniens. Ces actions ont en partie préparé la société israélienne à l’approche des Accords d’Oslo.
Cependant, suite à la Seconde Intifada (2000-2006), l’organisation perd considérablement en influence. Aujourd’hui, elle est devenue une des cibles privilégiées de la droite israélienne.

Amos Oz, en temps qu’écrivain de renom, a été une des voix de La Paix Maintenant, dont il a porté le message et propagé les idées pendant des décennies. Figure la plus connue parmi les co-fondateurs, il a considérablement contribué au rayonnement de l’organisation. Par la même occasion, l’écrivain est ainsi devenu l’un des représentants de la gauche sioniste israélienne.

Philosophie et héritage

Dans la tradition des travaillistes israéliens, Amos Oz ne se considère pas comme un pur pacifiste. Selon lui, l’usage de la force peut être nécessaire en cas d’agression. Très critique des utopies, il ne voit pas la paix comme un idéal politique, mais plutôt comme un compromis réaliste entre deux ennemis. Dans une de ses dernières entrevues, Amos Oz déclare, à propos de la solution à deux Etats : « Je rêve d’un monde sans nations, mais en attendant, tous les humains ont besoin d’une terre où ils puissent se sentir chez eux. C’est compliqué, mais réalisable ».

Notes :
(1) A l’issue de la guerre des 6 jours, l’armée israélienne occupe Jérusalem Est, la Cisjordanie, Gaza, le Sinaï et le Golan syrien
(2) https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2018/12/28/l-ecrivain-israelien-et-militant-pour-la-paix-amos-oz-est-mort_5403235_3382.html
(3) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(4) https://www.youtube.com/watch?v=4Bzhb3WLF84
(5) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(6) https://www.universalis.fr/evenement/15-30-septembre-1982-massacres-dans-les-camps-palestiniens-de-sabra-et-de-chatila/
(7) http://www.irenees.net/bdf_fiche-acteurs-111_fr.html
(8) https://mfa.gov.il/mfa/foreignpolicy/mfadocuments/yearbook6/pages/104%20report%20of%20the%20commission%20of%20inquiry%20into%20the%20e.aspx

Publié le 24/01/2019


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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