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Bahman Mirza Kadjar (1810-1884) : victime et observateur avisé des mutations socio-politiques de la Perse des Kadjars (1/2)

Par Alban Claude
Publié le 08/06/2018 • modifié le 11/06/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Villa of the Shah of Persia, Qajar Dynasty. Illustration by Mounier from Guillaume Antoine Olivier (1756-1814) Travels in the Ottoman Empire, Egypt and Persia, 1801. Copperplate engraving by Dell’Acqua handcoloured by Lazaretti from Giovanni Battista Sonzogno’s Collection of the Most Interesting Voyages (Raccolta de Viaggi Piu Interessanti), Milan, 1815-1817.

©Florilegius/Leemage / AFP

1. De la couronne impériale à l’exil

A l’aune des règles dynastiques kadjares, Bahman Mirza Kadjar est de la plus haute noblesse. Son père est le prince héritier de la couronne, le fils le plus puissant de Fath Ali Shah. Sa mère, Assiyeh Khanom, est quant à elle issue du puissant clan kadjar « Davalu », concurrent du clan au pouvoir des « Qovanlu ». Comme son frère aîné, le futur Mohammad Shah, et son frère cadet Ghahreman, Bahman Mirza Kadjar est en première ligne dans l’ordre de succession à l’empire. En effet, de nature tribale, la succession kadjare repose moins sur la primogéniture que sur la noblesse de la mère, ainsi que la capacité de l’héritier à s’affirmer comme le chef de famille.

Très vite, Bahman Mirza Kadjar apparaît comme un bien meilleur candidat au trône que son frère. Il est de robuste constitution, tandis que Mohammad Shah semble avoir hérité de la maladie qui a emporté prématurément son père Abbas Mirza en 1833. Bahman Mirza Kadjar commence sa carrière politique en 1831 lorsqu’il est nommé gouverneur d’Ardabil, un poste enviable à la tête d’une riche province du nord, bastion de la dynastie. Il se signale déjà pour sa bonne gouvernance, et il tire parfaitement parti de son poste à la mort de Fath Ali Shah en 1834. Son frère Mohammad, sérieusement concurrencé par un de ses oncles, arrive à s’imposer à Téhéran grâce à l’apport décisif de ses troupes ainsi que d’une division britannique. Sous la protection de sa mère, désormais reine douairière, Bahman Mirza Kadjar est récompensé pour ses services rendus en étant nommé gouverneur de Téhéran et général en chef de l’armée impériale.

Lorsque son frère Ghahreman, nommé à la tête de la province d’Azerbaïdjan, décède brutalement en 1841, c’est Bahman Mirza qui lui succède. Dans le même temps, Mohammad Shah s’enfonce dans la maladie et son pouvoir chancelle. Sous la pression de son harem, il déshérite son premier fils, le futur Nassereddin Shah, au bénéfice d’un autre de ses fils qu’il a eu avec sa concubine préférée. Dans ce contexte troublé, où les Russes comme les Britanniques font pression pour imposer leur candidat au trône, Bahman Mirza Kadjar apparaît comme la figure la plus puissante de la dynastie. Il administre avec talent sa riche province, qui lui fournit argent et soldats en abondance. Il est d’autant plus populaire auprès de ses administrés qu’il remporte plusieurs succès militaires contre les Turcs qui lui permettent de regagner des territoires perdus le long de la frontière. Mais si la Russie et la Grande-Bretagne refusent tous deux de reconnaître les droits du deuxième fils de Mohammad Shah, ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la succession de la couronne. La Grande-Bretagne soutient fermement les droits de Nassereddin Shah tandis que les Russes plaident pour une régence de son oncle Bahman Mirza Kadjar, le temps que le jeune prince grandisse. Un argumentaire qui ne convient pas du tout aux diplomates britanniques, qui sont de plus en plus persuadés que Bahman Mirza Kadjar est le pantin des Russes. Il est difficile de confirmer ces allégations : Bahman Mirza Kadjar les a toujours réfutées. Toujours est-il que dans l’état de faiblesse dans laquelle se trouve la Perse des Kadjars à la même époque, il finit par se faire emporter par le Grand Jeu auquel se livre les deux puissances sur le territoire iranien. Il devient le candidat des Russes, tandis que Nassereddin bénéficie sans cesse davantage du soutien britannique.

Aux intrigues étrangères viennent bientôt se superposer les vieilles haines tribales au sein de la famille Kadjar, autour d’un Shah désormais incapable de gouverner. Les « Qovanlu », clan auquel appartient la mère de Nassereddin, font corps autour du prince héritier. L’homme à la manœuvre est le grand vizir Haji Mirza Aghassi, qui rassemble de plus en plus le pouvoir entre ses mains. Les « Davalu » quant à eux se regroupent autour d’Asaf-od-dowleh, le puissant gouverneur du Khorassan. Ce dernier choisit de soutenir les droits de Bahman Mirza Kadjar, et prend les armes pour tenter de renverser Mohammad Shah ainsi que son premier vizir. Il est impossible de déterminer dans quelle mesure Bahman Mirza Kadjar, ayant montré une loyauté sans faille jusque là, était au courant des menées d’Asaf-od-Dowleh. Toujours est-il qu’il incarne désormais la résistance au pouvoir central et devient l’homme à abattre pour Haj Mirza Aghassi. Ce dernier, ayant eu vent du complot, prend les devants en envoyant une puissante armée dans le Khorassan. Asaf-od-Dowleh, défait, fuit en Irak, tandis que le grand vizir réussit à convaincre Mohammad Shah de la duplicité de son frère Bahman. L’eunuque Khosro Khan, redouté dans tout l’empire, est chargé d’arrêter le gouverneur d’Azerbaïdjan à tout prix. Bahman Mirza Kadjar, connaissant la cruauté de l’homme de main d’Aghassi, abandonne ses Etats pour essayer de plaider sa cause directement auprès de son frère. Ce faisant, il perd le contrôle de son armée et de son territoire, tandis que ses appuis à Téhéran sont maigres. Les Davalus influents sont réduits au silence, tandis que sa mère elle-même a jugé préférable de partir en pèlerinage aux lieux saints chiites d’Irak.

Incapable d’obtenir une audience, craignant pour sa vie, Bahman Mirza Kadjar prend le parti désespéré de se réfugier à la légation de l’Empire russe avec femmes et enfants. Trop contents de pouvoir s’immiscer dans les querelles dynastiques, les diplomates russes lui assurent sa protection et font pression sur Mohammad Shah pour obtenir son retour en cour. Mais l’opposition ferme des Anglais conduit Bahman Mirza Kadjar sur les routes de l’exil. Il trouve refuge dans le Caucase russe, sur les territoires anciennement persans perdus lors des deux guerres russo-persanes de 1804-1813 et de 1826-1828. En résidence à Tiflis (aujourd’hui Tbilissi), Bahman Mirza Kadjar subsiste grâce à une pension du Tsar, tandis que toutes ses terres en Perse deviennent biens de la couronne.

Cet exil n’est pas pour autant synonyme d’abandon des prétentions de Bahman Mirza Kadjar. Les Russes n’ont de cesse de pousser en avant la candidature de leur protégé lors de la succession délicate de Mohammad Shah Kadjar qui décède en septembre 1848. Le nouveau Premier ministre Amir Kabir, nommé par Nassereddin Shah à la place du vizir Aghassi, est un fervent défenseur de l’autonomie politique persane vis-à-vis des puissances étrangères. A ce titre, il s’oppose vigoureusement à tout retour de Bahman Mirza Kadjar. En mars 1849, plusieurs régiments fidèles au gouverneur déchu d’Azerbaïdjan encerclent la propriété du Premier ministre à Téhéran pour réclamer son départ, mais cette rébellion est désamorcée par l’intermédiaire du représentant diplomatique britannique. La mort successive de trois héritiers du trône entretient cependant jusqu’en 1857 l’hypothèse d’une possible régence de Bahman Mirza Kadjar à la mort de son neveu. La bonne constitution du nouvel héritier, Mozzafareddin Shah, tout comme celle de son père, réduisent peu à peu les perspectives politiques de Bahman Mirza Kadjar à néant. Celui-ci finit sa vie à Susha dans le Karabagh, où il meurt en 1884, sans jamais avoir cessé de négocier son retour en Iran et la restitution de ses biens confisqués.

Lire la partie 2 : Bahman Mirza Kadjar (1810-1884) : victime et observateur avisé des mutations socio-politiques de la Perse des Kadjars (2/2)

Publié le 08/06/2018


Alban Claude est étudiant en master d’histoire antique à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Il étudie les échanges entre monde romain et monde perse antique dans le cadre de son mémoire portant sur la légion III Cyrénaïque. Son autre centre d’intérêt est l’usage de la référence à l’antiquité dans le cadre de la construction des identités nationales au XIXe siècle.


 


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