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Le califat est une institution spirituelle et temporelle qui plonge ses racines dans l’origine même de l’Islam et qui a organisé la communauté musulmane pendant près de treize siècles. Le calife est le successeur du Prophète Muhammad, le « remplaçant de l’Envoyé de Dieu ». Il symbolise alors l’unité de la communauté, l’Oumma.
La naissance de l’Islam et l’organisation de la communauté musulmane naissante bouleversent totalement le système socio-politique qui structurait les populations d’Arabie préislamique. La mort du Prophète en 632 pose immédiatement le problème de sa succession. En effet, ni le Coran ni Muhammad ne précisent les conditions de reprise du pouvoir et aucun héritier mâle ne pourrait prétendre à cette responsabilité. Après trois jours de délibération entre les compagnons du Prophète, Abu Bakr est finalement désigné comme calife, khalifa, « successeur » en arabe, et tous les croyants lui prêtent allégeance. Ce noble de la tribu des Koraïchite, la tribu de Muhammad, et compagnon de la première heure, semblait alors digne d’organiser et de protéger la nouvelle foi. De plus, Muhammad, affaibli par la maladie, lui aurait demandé de faire la Prière à sa place. Il s’agit alors d’assurer le développement et la continuité de l’Islam.
Il faut attendre les écrits d’auteurs tels que le légiste Al-Mâwardî (mort en 1058) ou encore l’historien et sociologue Ibn Khaldoun (1332-1406) pour découvrir les premières définitions précises du système califale. On peut remarquer qu’ils insistent tous les deux sur le double rôle, politique et religieux, du lieutenant du Prophète. En effet, le calife, en tant que successeur de Muhammad, se voit attribuer l’ensemble de ses fonctions, mis à part bien sûr, la réception de la Révélation coranique. Une fois installé à Médine en 622, Mohammad, messager de la Révélation divine, a rapidement acquis par sa sagesse et son charisme une position d’arbitre sur les populations nouvellement islamisés qui lui prêtent allégeance. Il cumule ainsi le statut de chef d’Etat et de chef spirituel qu’il lègue au calife. Toutefois, la Révélation apporté par le Prophète est considérée comme complète et ce dernier ne peut en aucun cas modifier les dogmes.
Sur le plan religieux, le calife est le guide suprême de la communauté dont il doit assurer l’unité. Il est chargé de protéger le message divin et de le diffuser dans la mesure du possible. Il est le premier officiant de la Prière collective et est responsable de la conduite du pèlerinage à la Mecque. C’est donc le gardien de la religion et le protecteur des Lieux Saints de la Mecque et de Médine.
Par ailleurs, en ce qui concerne le domaine politique, le calife est chargé d’administrer l’empire et de nommer des subordonnés dans les différentes provinces. Il est responsable de l’exercice de la justice ainsi que de la gestion du Trésor public. Le calife est également le chef suprême des forces armées et décide donc des différentes expéditions militaires.
Enfin, le calife représente l’ensemble de l’oumma. Sa portée symbolique est donc très importante. Ainsi se doit-il d’avoir une attitude morale et spirituelle exemplaire. Il devrait même, en théorie, être dépourvu de toutes imperfections physiques. Cependant, force est de constater que les prérogatives du calife ont évolué au fil du temps et que son rôle, notamment temporel tend finalement à s’affaiblir toujours plus. Il s’agit alors du développement du concept califal tout au long de l’histoire.
L’histoire du califat regroupe, dans un premier temps, les quatre premiers califes, Abu Bakr (632-634), Omar (634-644), Othmân (644-656) et Ali (656-661), sous la désignation de califes « Bien guidés » ou « orthodoxes ». Ils ont été soumis au suffrage des différents compagnons du Prophète et organisent la communauté depuis Médine. Mais déjà les rivalités entre les différents clans divisent le monde musulman. Les partisans d’Ali, cousin et gendre de Muhammad, accusent les trois premiers califes d’avoir usurpé le pouvoir en éloignant Ali. Pour eux, il aurait du être le premier successeur du Prophète et ses fils auraient dû hériter de la fonction. Ils forment alors la branche du chiisme et ne reconnaissent pas le pouvoir de Mo’awiya en 661. Mo’awiya rend alors le califat héréditaire et forme la dynastie des Omeyyades. Le cœur de l’empire se déplace alors à Damas. En 750, la califat des Abbassides (750-1258) se met en place et prend pour capitale Bagdad.
Cependant, à partir du IX siècle, le calife abbasside ne dirige plus l’ensemble de l’oumma. Le Maghreb notamment, se scinde en une multitude de dynasties qui ne dépendent plus de l’autorité du calife. Le califat omeyyade de Cordoue (928-1038), formé par Abderrahman Ier, refuse également de prêter allégeance à Bagdad. Le pouvoir califal est fortement affaibli et représente alors plus un symbole religieux que temporel.
Au moment de la prise de Bagdad par les Mongols en 1258 et l’exécution du calife abbasside, le califat semble être une institution oubliée et sa mort a finalement peu d’impact sur la région. Baybars, sultan mamlouk qui régnait sur l’Egypte, juge alors important de rétablir cette fonction et fait venir au Caire un survivant de la lignée abbasside pour assurer cette fonction. Son pouvoir est cependant très limité et ce calife n’est finalement reconnu que dans les territoires mamlouks. Après une vacance califale entre 1453 et 1517 liée à des troubles de succession, le titre de calife est finalement récupéré par l’Ottoman Selim Ier, lorsqu’il conquiert les terres arabes. Dans les moments les plus glorieux de l’Empire ottoman, la fonction califale regagne peu à peu son prestige. Mais, à la fin du XIXeme siècle, plusieurs penseurs arabes commencent à dénoncer l’usurpation du califat par les Ottomans, alimentant ainsi les thèses nationalistes antiturques.
Le califat est finalement aboli par Mustapha Kemal (1881-1938) le 3 mars 1924, jugeant l’institution dénuée de sens au XXème siècle et responsable de la dégradation des valeurs de l’Islam. Par ailleurs, plusieurs personnalités, dont Mustapha Kemal, ont alors cherché à mettre en avant son caractère illégitime, rappelant que cette forme gouvernementale n’est pas d’origine divine mais une pure invention humaine. La volonté de réunir l’ensemble des musulmans sous un même pouvoir s’est finalement révélée très utopique. Le monde islamique sunnite se retrouve alors sans chef. Le chérif de la Mecque Hussein tente alors de se proclamer calife mais son ambition est immédiatement stoppée par Ibn Saoud qui le chasse du Hedjaz. D’autres personnalités ont également cherché, en vain à rétablir le califat tel que le roi égyptien Fouad I ou encore l’intellectuel syrien Rashid Rida qui le défend ardemment. Un congrès général islamique est même organisé au Caire pour discuter de cette possibilité en 1926. Mais personne n’arrive à s’accorder sur un candidat. Aujourd’hui, le califat n’a toujours pas été rétabli mais certains mouvements islamistes comme les Frères musulmans ou le Hizb ut-Tahrir continuent à appeler à sa restauration.
A LIRE SUR LES CLES DU MOYEN-ORIENT :
– Vers un nouveau califat ? Une mise en perspective historique
Bibliographie :
Vincent Cloarec, Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005
Ali Mérad, Le Califat, une autorité pour l’Islam ?, Paris, Desclée de Brouwer, 2008
W. Montgomery Watt, La pensée politique de l’islam, Paris, Presses Universitaire de France, 1995
Aboubekr Rahal, Le Califat, de sa naissance à son abolition, Alger, Entreprise Nationale du Livre, 1992
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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