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Caroline Kurhan, Palais oubliés d’Egypte

Par Claudine Serre
Publié le 04/04/2016 • modifié le 27/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Caroline Kurhan, historienne, publie un nouvel ouvrage, Palais oubliés d’Egypte (Riveneuve éditions), fondé sur des archives inédites des membres de la famille royale d’Égypte. Elle a vécu quinze ans en Égypte où elle a dirigé le département culturel de l’Université Senghor d’Alexandrie et est l’auteur chez le même éditeur de Princesses d’Egypte (2009), Une saga égyptienne 1805-2010, et Le Roi Farouk, un destin foudroyé (2013). Le livre est préfacé par Jean-Yves Marin, archéologue, médiéviste, directeur des Musées d’art et d’histoire de la Ville de Genève. Il est également professeur associé de l’université d’Alexandrie depuis 1994.

Tous les souverains de la dynastie de Méhémet Ali ont construit des palais impressionnants à travers le territoire. Cependant, comme le constate un voyageur en 1910, « l’Egypte est couverte de palais qui tombent en ruine ». Jean-Yves Marin rappelle à cet égard qu’il a fallu attendre 1993 pour qu’un décret du gouvernement égyptien, encore en vigueur aujourd’hui, interdise la démolition des « palais et villas de grande valeur ». Les élites égyptiennes prennent enfin conscience de l’intérêt et de la valeur de ce patrimoine immobilier, et de sa mise en péril. Le poids et le rayonnement historique de l’Antiquité en Egypte a fait oublier le patrimoine « foisonnant exceptionnel » de ces constructions du XIXème siècle souvent laissées à l’abandon.

Dans son précédent ouvrage, consacré aux Princes et princesses du Nil, Caroline Kurhan montrait comment les rois et vice-rois, issus de la dynastie fondée par Méhémet Ali en 1805 et qui règne jusqu’à l’abdication du Roi Farouk en 1952, ont essayé de restaurer l’indépendance et le prestige de l’Égypte, notamment à travers la construction de palais fastueux. Cet ouvrage est donc la suite logique de son analyse de l’histoire égyptienne du XIXème et de la première moitié du XXème siècle.

Les palais jouent en effet un rôle symbolique et politique considérable, symboles de pouvoir, de richesse et de modernité à l’égard de l’Occident qui fascine. Nous découvrons d’abord les palais hérités de la tradition ottomane. Sous le règne du premier fondateur de la dynastie, Méhémet Ali, ces grands palais, cette fois hérités de la tradition occidentale, témoignent de ce que Caroline Kurhan appelle « l’orgie de la truelle », et où l’on construit une demeure somptueuse pour une soirée ou une après-midi, comme ce fut le cas sous le règne d’Ismaïl pacha entre 1863 et 1879. Les temps modernes et la réalité économique, plus difficile, changent cependant la donne : il n’est plus possible d’entretenir ces palais, parce qu’ils sont trop grands, et que l’art de vivre à l’intérieur de ceux-ci imposait un personnel qualifié, qui disparaît progressivement. De plus, la monogamie des souverains à partir du khédive Tewfik (1879-1892) n’impose plus d’avoir des palais immenses pour abriter un harem. Les transformations sociales et économiques font ainsi apparaître des palais de taille plus modeste.

Caroline Kurhan explique d’autre part que, dans la tradition égyptienne, il n’est pas coutume d’entretenir un palais ni de l’utiliser si celui-ci a été construit par un prédécesseur. Ainsi le palais d’Ismaïlia, l’un des plus imposants, construit par le khédive Ismaïl pour les fêtes de l’inauguration du canal de Suez en 1869 et disposant d’un lac artificiel et d’un jardin tropical exceptionnel, n’a servi que pour donner un bal le 18 novembre 1869. Le surlendemain de l’événement, les meubles et plantes sont transportées au Caire et éparpillées dans d’autres palais, celui d’Ismaïlia tombe dans l’oubli. Le khédive Ismaïl fait également construire un palais pour sa mère, celui de Mansourah, à qui les médecins avaient recommandé le climat doux de la région. Celui-ci ne lui convient pas, aussi repart-elle aussitôt pour Le Caire. Le palais tombe dans l’oubli, et sera transformé en palais de justice dans les années 1900.

Dans tous ces palais, l’influence de l’architecture et de la décoration occidentales, en particulier française, est manifeste. Plusieurs monarques égyptiens sont en effet empreints de la culture française, en particulier lors du Second Empire, et engagent de nombreux fournisseurs français, comme architectes, jardiniers, ébénistes, antiquaires notamment. Les travaux du baron Haussmann, et son choix dans la création de gigantesques compositions florales, sont à l’origine de la décision des monarques égyptiens de créer des serres immenses dont les plantes décorent, parfois pour seulement quelques jours, les palais.

Une autre catégorie de palais concerne les palais dits « dynastiques ». Ceux-ci sont des indicateurs précieux de l’art de vivre des souverains égyptiens, et servent avant tout de palais de réception, comme le palais de Ras el Tin à Alexandrie et celui d’Abdine au Caire. Le mobilier provient souvent de maisons ayant leur siège rue du Faubourg Saint-Antoine, tant le travail d’orfèvres parisiens est synonyme de bon goût. A présent, certains d’entre eux ont été transformés en bâtiments administratifs, écoles, palais de justice, bibliothèques.

Les années 1860 à 1867 marquent le point culminant de l’influence française en Égypte. Saïd Pacha fait ainsi de nombreuses commandes à Paris, pendules, écritoires, baromètres, miroirs, et un service de table en or et en pierreries, composé de quarante-deux couverts en or et en émaux couverts de diamants et de pierres précieuses. Saïd Pacha fait ainsi l’honneur de ce nouveau service de table à Napoléon III et à l’impératrice Eugénie lorsqu’il offre un dîner en leur honneur aux Tuileries, où il est leur hôte. En prévision de l’inauguration du Canal de Suez, en 1869, il passe des commandes majeures à Christofle. En 1867, sur le Champ de Mars, lors de l’Exposition Universelle, le khédive Ismaïl fait construire une copie du palais où il est né au Caire.

Durant ces années, la rivalité entre les deux empires coloniaux, la France et la Grande-Bretagne, connaît un nouveau tournant en 1879 lorsque l’Egypte se retrouve en faillite. En 1879, le khédive Ismaïl est déposé et en 1882, les Anglais occupent le pays. En réaction, la haute société égyptienne se tourne plus encore vers la culture, l’art, l’architecture et la décoration en provenance de la France. Il s’agit là d’une forme d’acte de résistance contre l’occupant anglais. A Paris, les devantures du bijoutier français Cartier portent à leur fronton les armes royales d’Egypte. Dans les palais, le personnel engagé est français, tout comme les décorateurs et le mobilier. Le « bon goût français » est plus manifeste encore.

Cette résistance se traduit aussi à travers la littérature et le tourisme littéraire des écrivains français Roland Dorgelès, Pierre Benoit et Paul Morand. Invités à effectuer des conférences en Égypte dans le cadre de la diplomatie d’influence, ceux-ci transmettent un regard critique sur les réalisations des monarques égyptiens. Jean Cocteau effectuera une tournée théâtrale en 1949. L’histoire des palais est donc un miroir de la monarchie égyptienne qui permet de réaliser une autre lecture politique de l’histoire de ce pays.

Caroline Kurhan, préface de Jean-Yves Marin, Palais oubliés d’Egypte, Paris, Riveteuse éditions, 2015.

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 Caroline Kurhan, Le roi Farouk, Un destin foudroyé
 Caroline Kurhan, Princes et Princesses du Nil
 Farouk, un roi égyptien

Publié le 04/04/2016


Après une jeunesse entre la France et les Etats-Unis, Claudine Serre, diplomate honoraire, a occupé des postes au Quai d’Orsay tant dans les secteurs politiques et stratégiques qu’économiques et culturels portant sur les différentes régions du monde ou traitées dans le cadre des organisations internationales du système des Nations unies. Par ailleurs titulaire d’un doctorat de troisième cycle en histoire, elle est ancienne auditrice de l’IHEDN (40ème session nationale). Claudine Serre était jusqu’à fin 2014 Deuxième Conseillère à la Délégation Permanente de la France auprès de l’Unesco.


 


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