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Après une longue lutte pour l’indépendance, et malgré son unification en 1990, le Yémen n’a su se fédérer autour d’un sentiment d’unité nationale. Aujourd’hui, c’est l’artisan même de l’unification du pays, l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui instrumentalise les fractures du Yémen en guerre pour conserver le pouvoir.
Le conflit qui oppose les rebelles Houtis venus du Nord du pays aux forces du nouveau président Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu comme seule « autorité légitime » par la communauté internationale (1), s’est complexifiée le 26 mars 2015 avec l’intervention d’une coalition internationale menée par Riyad. La stabilité du Yémen est depuis toujours considérée comme étroitement liée aux intérêts politiques et géostratégiques du Royaume des Saoud mais la propagande anti-chiite que ce dernier emploie pour légitimer la guerre tend à alimenter un nouveau clivage confessionnel sunnite-chiite au sein de la société yéménite.
Alors que l’ancienne « Arabie heureuse » est aujourd’hui en proie à une superposition de conflits et à l’emprise croissante des groupes djihadistes qui prolifèrent sur le chaos, retour sur les grandes dates qui ont marqué son histoire et qui peuvent éclairer la situation actuelle du pays.
1839. Aden, grand port du sud du Yémen contrôlé par les Ottomans depuis 1517, devient une colonie britannique. Les Britanniques souhaitent faciliter leur accès à l’Inde et étendent dans un second temps leur influence sur la région de l’Hadramaout (Est) et sur l’île de Socotra (Sud-Est).
1902-1904. Des accords entre les Empires ottoman et britannique fixent leurs possessions territoriales respectives.
1904. Une révolte des imams zaydites éclate et contraint le pouvoir ottoman à leur accorder l’autonomie dans la région des montagnes du Nord. Cette lutte historique de la minorité zaydite contre les puissances étrangères fait aujourd’hui partie du discours de légitimation des rebelles houtistes (2).
1918. L’imam Yahyâ Muhammad Hamid Al-Din (1918-48) instaure le Royaume du Yémen dans le nord du pays. C’est la fin de la domination turque mais l’Empire britannique résiste à Aden.
1934. L’armée saoudienne envahit le Yémen. Le monarque wahhabite Abd al-Aziz ibn Saoud qui a fondé le nouveau Royaume d’Arabie saoudite deux ans plus tôt, impose à l’imam Yahya le traité de Taëf. Ce dernier stipule que les trois provinces de l’Asir, du Najran et du Jizan (Nord) appartiennent désormais au Royaume des Saoud.
1958 - 1961. Le Yémen du Nord rejoint la République arabe unie avec l’Égypte et la Syrie.
1962. Un coup d’Etat mené par des officiers déclenche une guerre civile au Yémen. L’Egypte soutient le camp républicain tandis que l’Arabie saoudite décide d’aider les troupes royalistes qui bénéficient aussi de l’appui discret du Royaume-Uni depuis sa colonie d’Aden.
1963. Structuration de la lutte contre le Royaume-Uni. Création du Front de libération nationale (FLN).
1967. Le Yémen du Sud devient indépendant, cinquante ans après le Yémen du Nord. Naissance de la République démocratique populaire du Yémen d’inspiration marxiste.
1978. Ali Abdallah Saleh prend la tête du Yémen du Nord (1978-90). Les deux Yémen vont s’affronter à plusieurs reprises.
1986. Plus de 10 000 yéménites meurent dans la guerre civile qui oppose différentes factions rivales au Yémen du sud. Son président, Ali Nasser Mohammed, s’exile au Nord.
22 mai 1990. La République démocratique et populaire du Yémen (Yémen du Sud) et la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) s’unifient sous l’égide du leader du Nord Ali Abdallah Saleh. Il devient le président de la République du Yémen (1990-2012) dont la capitale est Sanaa. Selon l’accord conclu, le président du Yémen du Sud devient le Premier ministre.
1994. Les dirigeants du Yémen Sud tentent de refaire sécession. Une nouvelle guerre civile se termine par la défaite des socialistes du Sud.
2004. Début de la guerre du Saada. Des chiites zaydites entrent en conflit avec le pouvoir de Sanaa. Leur fief, le gouvernorat de Saada, se trouve au nord-ouest du pays à la frontière saoudienne. Les rebelles ont pris le nom de Houtistes en référence à leur leader tué par les forces gouvernementales. Ils se sentent marginalisés politiquement et économiquement et réclament plus d’autonomie. Ils s’opposent ainsi au président Saleh, issu de la même tribu zaydite mais perçu comme inféodé aux Etats-Unis du fait de son engagement dans la guerre contre le terrorisme depuis 2001. Les slogans des Houtis sont équivoques : « Dieu est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les juifs, victoire pour l’Islam ». Le conflit reste toutefois avant tout ancré dans des logiques tribales et locales et non dans une logique d’affrontement confessionnel avec les sunnites. C’est l’affaiblissement des structures traditionnelles et du rôle fédérateur des tribus avec l’avènement de la République du Yémen qui a déstabilisé la société yéménite (3).
2009. Le conflit prend une dimension régionale avec l’intervention de l’armée saoudienne sur le territoire yéménite. Riyad souhaite protéger sa frontière étant donné la présence de populations chiites de part et d’autre de cette dernière. Le royaume craint l’émergence d’un mouvement chiite pro iranien et accuse l’Iran d’aider la rébellion armée. Le conflit s’insère alors dans un affrontement entre les deux grandes puissances régionales.
Naissance d’Al-Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA). L’organisation naît de la fusion des branches saoudiennes et yéménites d’Al-Qaeda.
Avril-Mai. Des troubles agitent le sud du Yémen. Les sécessionnistes du Mouvement du Sud gagnent du terrain.
11 août. Lancement de l’opération « Terre brulée » par les autorités yéménites contre l’insurrection des Houtistes dans le nord du pays.
Janvier 2011. Début du « Printemps yéménite » à Sanaa. Les Houtistes rejoignent les manifestations contre le président Saleh. Ce dernier est contraint de signer un accord de transition à Riyad en novembre 2011. L’accord prévoit son départ et le transfert du pouvoir au vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi.
Janvier 2012. Des milliers de manifestants défilent dans la capitale pour réclamer le départ effectif de M. Saleh. Abd Mansour Hadi est élu président par intérim le 21 février avec 99,8% des voix. Le pays est alors gouverné par une coalition nationale dans laquelle le parti islamiste Al-Islah a une place importante. La situation économique du pays est désastreuse et le président Hadi doit réclamer une aide internationale.
12 mai. Une vaste offensive de l’armée yéménite contre le groupe AQPA est entreprise. Quelques jours plus tard, un attentat-suicide revendiqué par la même organisation fait une centaine de morts à Sanaa.
2014. La conférence du dialogue national pour la pacification du Yémen préconise une fédération de six provinces. Selon ce plan, le gouvernorat de Saada, fief des Houtistes, est intégré à la province d’Azal. Or, les Houtistes réclamaient une région propre au Nord avec un accès à la mer Rouge. Ils refusent l’accord et profitent de la vacance du pouvoir à Saada pour consolider leur assise territoriale. C’est le début de la guerre civile.
22 août. Des milliers de manifestants soutenant les Houtistes défilent à Sanaa pour réclamer la démission du gouvernement accusé de corruption.
21 septembre. Les rebelles conquièrent la capitale Sanaa.
Janvier 2015. Les Houtistes prennent le palais présidentiel à Sanaa. M. Hadi présente sa démission et fuit à Aden où il retire finalement sa démission. Aden, la grande ville du sud sunnite, devient la capitale de facto.
Mars 2015. Les Houtistes continuent leur offensive vers le Sud avec le soutien de l’ex président Saleh et des militaires qui lui sont restés fidèles. Après avoir pris la 3e ville du pays, Taëz, et atteint le port de Mocha sur la Mer Rouge, ils prennent la plus grande base aérienne du pays et l’aéroport d’Aden. Le président Hadi s’exile à Riyad. Les Houtistes contrôlent finalement tout l’ouest du pays qui est la région la plus peuplée.
26 mars 2015. Début de l’opération militaire « Tempête décisive » sous l’égide de Riyad à la tête d’une coalition internationale (4). La campagne de raids aériens a pour but le rétablissement du président Hadi et la neutralisation de la rébellion chiite qui menace de prendre le contrôle de l’ensemble du pays. Riyad dénonce un « complot iranien » ; l’Iran proteste. La propagande saoudienne anti-chiite entame une polarisation sunnites-chiites qui dépasse les clivages traditionnels de la société yéménite. Mais Riyad poursuit également des objectifs stratégiques. Il s’agit d’endiguer la présence houtiste sur le littoral de la mer Rouge et de sécuriser le détroit de Bab-el-Mandeb, « quatrième passage maritime le plus important au niveau mondial en termes d’approvisionnement énergétique ».
Premiers attentats de l’organisation Etat islamique (OEI) sur le sol yéménite (à Saada et Sanaa). L’OEI profite de l’intervention de la coalition internationale pour lancer une offensive dans le sud du pays. Elle multiplie les attaques mais ne peut encore se prévaloir d’une vraie assise territoriale contrairement à AQPA bien implanté dans le sud du pays.
22 septembre 2015. Le président Hadi revient à Aden. Les combats se poursuivent mais les lignes de front sont gelées autour de la ville de Taëz.
21 mars. Israël annonce avoir exfiltré 19 juifs yéménites dans le cadre d’une opération secrète (6).
Avril 2016. Ouverture de négociations pour la paix au Koweït sous l’égide des Nations unies. Les groupes islamistes sunnites qui combattent les Houtis ne sont pas inclus dans les négociations.
Al Mukalla, la capitale du gouvernorat de l’Hadramaout, plus grand gouvernorat du pays et le plus riche grâce à ses ressources pétrolière, est reprise à AQPA par les forces yéménites soutenues par des soldats émiratis et quelques soldats américains. L’Hadramaout, province frontalière de l’Arabie saoudite, est d’importance stratégique pour Riyad qui cherche à construire un oléoduc (de Ras Tanura jusqu’au port de Mukalla) pour exporter du pétrole sans passer par le détroit d’Ormuz (7).
8 octobre. Des raids aériens sur la capitale Sanaa tuent plus de 140 personnes et font plus de 525 blessés lors d’un rassemblement pour des funérailles. Quelques jours plus tard, Riyad reconnait une erreur militaire. Les Etats-Unis déclarent « examiner » leur soutien à la coalition.
Janvier 2017. Les Nations unies recensent 10 000 morts dont près de la moitié de civils mais le nombre exact de victimes de la guerre reste en réalité largement inconnu. Ces chiffres ne prennent pas non plus en compte les victimes indirectes de la famine et des maladies chroniques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare 80% de la population en besoin d’aide humanitaire d’urgence.
26 mars 2017. Deuxième « anniversaire » de la guerre au Yémen. Une centaine de milliers de Yéménites se rassemblent sur la place Sabine de la capitale Sanaa pour dénoncer l’interventionnisme de l’Arabie saoudite.
Avril 2017. Retour du choléra. L’épidémie frappe plus de 30 000 personnes selon l’OMS (8).
Juin 2017. Le Qatar est exclu de la coalition internationale pour son soutien supposé à des groupes terroristes et pour sa trop grande proximité avec l’Iran et les Frères musulmans. Sous l’influence de Riyad, les Emirats arabes unis, l’Egypte, Bahreïn et le Yémen coupent leurs relations diplomatiques avec l’Emirat (9).
Bibliographie
– Jean-Christophe Victor, « Yémen, La porte des larmes », Le Dessous des Cartes, https://www.youtube.com/watch?v=p3M1auXACjY&feature=youtu.be
– Le Monde diplomatique, Manière de voir n°147, Juin-Juillet 2016.
– Corentin Denis, « Yémen : des fractures toujours ouvertes », Les clés du Moyen Orient, 20 novembre 2014.
Pour aller plus loin
– Laurent Bonnefoy, Frank Mermier, Marine Poirier (dir.), Yémen le tournant révolutionnaire, Editions Karthala et CEFAS, Paris, 2012.
– Rémy Leveau, Franck Mermier et Udo Steinbach, Le Yémen contemporain, Karthala, Paris, 1999.
– Jean-Christophe Victor, « Yémen, Une République des tribus », Le Dessous des Cartes, https://youtu.be/1tETKtvLBgs
Notes :
(1) Selon la résolution 2216 du Conseil de Sécurité des Nations unies (2015).
(2) Corentin Denis, « Yémen : des fractures toujours ouvertes », Les clés du Moyen Orient, 20 novembre 2014.
(3) Ibid.
(4) La coalition internationale qui intervient au Yémen est composée de plusieurs pays arabes et africains alliés de Riyad (Egypte, Soudan, Emirats Arabes Unis, Maroc, Jordanie, Koweït, Qatar, Bahreïn). Le Qatar a été banni de la coalition en juin 2017 pour sa proximité supposée avec l’Iran et les Frères musulmans.
(5) Iris, Crise au Yémen : les enjeux du détroit de Bab-el-Mandeb, http://www.iris-france.org/57023-crise-au-yemen-les-enjeux-du-detroit-de-bab-el-mandeb/
et GÉOPOLITIQUE DU DÉTROIT DE BAB EL-MANDEB, par Simon Fauret, Les clés du Moyen-Orient, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Geopolitique-du-detroit-de-Bab-el.html
(6) Israël aurait accueilli 51 000 juifs du Yémen depuis sa création en 1948, dont la quasi-totalité entre 1949 et 1952 lors de l’opération « Tapis magique ».
(7) https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/010316/la-guerre-saoudienne-pour-l-oleoduc-du-yemen-renforce-al-qaida-par-nafeez-ahmed
(8) Déclaration conjointe de l’OMS et l’UNICEF face à l’aggravation de l’épidémie de choléra au Yémen, 24 juin 2017.
(9) « Accusé de soutenir le terrorisme, le Qatar mis au ban par l’Arabie saoudite et ses alliés », Le Monde, 5/06/2017.
Aglaé Watrin-Herpin
Aglaé Watrin-Herpin est diplômée d’une licence d’Histoire de la Sorbonne et d’un master de Sciences politiques – Relations internationales de l’Université Panthéon-Assas. Après une année d’étude aux Emirats arabes unis, elle a mené plusieurs travaux de recherche sur la région du Golfe. Son premier mémoire s’est intéressé aux relations franco-saoudiennes depuis 2011. Le second, soutenu dans le cadre de ses études de journalisme au CELSA, était consacré à la couverture médiatique de la guerre au Yémen.
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