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Compte-rendu de la conférence « La révolution syrienne dans l’impasse : défis, perspectives et interactions avec le Liban », organisée le 28 octobre 2013 par Sciences Po Monde Arabe

Par Pierre-André Hervé
Publié le 31/10/2013 • modifié le 19/12/2013 • Durée de lecture : 6 minutes

La révolution syrienne écrasée et isolée, par Jean-Pierre Filiu

Premier intervenant, Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po, est notamment l’auteur de Je vous écris d’Alep – Au cœur de la Syrie en révolution (2013). Pour introduire la conférence, il propose une analyse des deux années de crise politique en Syrie. A ceux qui tendent à l’oublier aujourd’hui, il rappelle tout d’abord qu’il s’agit d’une révolution, sur laquelle d’autres considérations se sont posées par la suite. Ce soulèvement révolutionnaire a un temps menacé de renverser le régime de Bachar el-Assad mais, quand celui-ci s’en est rendu compte, il a envoyé les chars contre les manifestants et libéré des islamistes de ses prisons pour radicaliser l’opposition. Face à lui, une opposition politique pluraliste et représentative s’est organisée au sein du Conseil National Syrien mais son pluralisme, précisément, a considérablement compliqué son unité. La « communauté internationale », à travers la Ligue arabe puis l’ONU, a proposé deux plans de paix mais ceux-ci n’ont pas été mis en application et le régime syrien a, au contraire, lancé une double offensive meurtrière à Alep et Damas. Le président Obama a évoqué une ligne rouge, l’usage des armes chimiques, qui provoquerait une réaction militaire américaine si le régime la dépassait. Mais cela a été interprété par le régime comme l’autorisation de pratiquer toutes les autres formes de répression à l’égard de l’opposition. Ainsi, entre autres exemples, le régime a utilisé des missiles balistiques contre sa propre population, une première historique. L’usage avéré des gaz par le régime n’a même pas suscité la réaction attendue de l’administration américaine, mises à part la protestation et la menace. Paradoxalement, c’est à l’opposition qu’on demande désormais des comptes. Celle-ci est jugée trop faible, trop peu unie, pas assez coopérative… Pendant ce temps, les forces djihadistes montent en puissance et les Syriens se retrouvent pris entre deux feux. Pour Jean-Pierre Filiu, qui revient d’un séjour à Alep, les discussions internationales sur l’organisation d’une conférence de la paix à Genève brassent beaucoup d’air. Il invite les acteurs de la crise qui souhaitent parvenir à une solution pacifique à regarder plutôt ce qui se passe sur le terrain et agir en fonction pour y instaurer des mesures de confiance. Selon lui, c’est à Alep que se joue l’avenir de la Syrie, pas à Genève.

Pour un soutien aux rebelles « pro-démocratie » et une solution politique sans Bachar el-Assad, par Bassma Kodmani

Deuxième conférencière, Bassma Kodmani, directrice de l’Arab Reform Initiative, vient de publier dans ce cadre un rapport sur l’opposition armée syrienne « pro-démocratie ». Pour Madame Kodmani, l’impasse diplomatique renforce le régime syrien et conduit au développement de groupes rebelles toujours plus radicaux. Elle incite les puissances internationales à agir au plus vite pour contrarier cette évolution de la crise syrienne. De ce point de vue, elle estime que la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne est une solution relativement peu couteuse qui permettrait de protéger les populations tout en facilitant la mise en place d’une administration sur les territoires contrôlés par l’opposition. Elle regrette également que des armes antichars ne soient pas suffisamment disponibles. S’intéressant à l’opposition, Bassma Kodmani indique qu’il s’agit d’un mouvement à l’origine apolitique et qui le reste encore largement. Selon elle, 80 % des groupes qui la composent n’ont pas d’affiliation politique. C’est une opposition plurielle, qui représente le spectre de la société syrienne, mais elle est peu expérimentée et désunie. Madame Kodmani juge qu’unir ces groupes aurait été possible s’il y avait eu un cadre, un objectif, un vrai processus crédible, impliquant le recours au chapitre VI (règlement pacifique des différends) puis au chapitre VII (action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression) de la Charte des Nations Unies. L’auteure du rapport de l’Arab Reform Initiative sur l’opposition armée démocratique identifie deux types d’opposition principaux, l’opposition politique et l’opposition armée. Au sein de cette dernière, les groupes ont surtout reçu un financement de sources islamistes. Les groupes pro-démocratie continuent d’exister mais ils pâtissent d’un faible soutien des démocraties occidentales. Au contraire, les groupes djihadistes sont montés en puissance. Ils ne veulent pas d’un nouveau régime politique qui assure la pluralité des opinions et des communautés. Ils ont besoin du régime d’el-Assad comme celui-ci a besoin d’eux. L’accord sur les armes chimiques a stabilisé ce dernier et donné la possibilité à la Russie de revenir sur ses engagements de 2012. On observe une régression qui est le produit d’un rapport de force sur le terrain.

Deux solutions sont aujourd’hui envisageables : une solution militaire ou une solution politique. Dans le meilleur des cas, la solution militaire signifierait la victoire des rebelles démocrates mais celle-ci sera longue à venir – plusieurs années probablement – et la Syrie en sortira exsangue. Une solution politique serait susceptible de rallier une partie suffisamment importante de la population pour assurer la continuité de l’Etat syrien. Mais cela passe par le départ du clan Assad car celui-ci ne coopérera jamais. Les conditions de cette solution politique ne sont cependant pas réunies aujourd’hui.

Le Liban, victime collatérale de la crise syrienne, par Ziad Majed

Dernier intervenant, Ziad Majed est un politologue libanais, professeur à l’American University of Paris. Il s’intéresse ici aux interactions entre la crise syrienne et le Liban. Le système politique libanais est aujourd’hui paralysé et les clivages communautaires très affirmés mais ce n’est pas la première fois. Les crises au Liban sont cycliques. Chaque bouleversement régional crée des clivages dans le pays. Or, pour fonctionner, le système politique libanais, appelé « consociatif » ou « consociationnel », qui consiste à garantir le partage proportionnel du pouvoir entre les différents groupes communautaires, nécessite l’établissement d’une grande majorité rassemblant ces derniers. Le consensus national est d’ordinaire difficile à trouver mais les bouleversements régionaux amplifient le problème en donnant parfois l’opportunité à un groupe suffisamment fort de paralyser le système. Le système « consociatif » ne peut fonctionner qu’avec une élite de notables modérés. Or, les représentants communautaires sont aujourd’hui très militants. De plus, on observe un phénomène de monopolisation de la représentation confessionnelle, par le Hezbollah au sein de la communauté chiite et le clan Hariri chez les sunnites, qui crée plus de clivages. La crise syrienne se surajoute à tout cela : les différents groupes libanais sont solidaires des différents groupes syriens desquels ils se considèrent proches. Dans ce contexte, le système politique libanais n’arrive plus à gérer les conflits de manière institutionnelle. La ville de Tripoli, en particulier, pâtit d’un faible contrôle de l’armée et est devenue un lieu de règlements de comptes entre groupes. Ziad Majed explique ensuite que la Syrie exerce depuis longtemps une influence sur le Liban. Bachar el-Assad a été chargé de gérer le dossier libanais dès 1998, deux ans avant de prendre la succession de son père à Damas. Il y a ensuite eu des tensions liées à une série d’assassinats commandités par la Syrie. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a contraint cette dernière à retirer ses troupes du Liban en 2005 et un tribunal international a été mis en place. Ainsi, le Liban est aujourd’hui à la fois otage de ses clivages internes, de son système politique et de la situation régionale.

Monsieur Majed évoque ensuite la grave crise humanitaire qui secoue le Liban. Plus d’un million de Syriens ont trouvé refuge dans ce pays de seulement 4 millions d’habitants. Parmi ces réfugiés, se trouvent des Palestiniens de Syrie, qui viennent grossir le contingent de réfugiés palestiniens dans le pays. Cet afflux suscite des peurs et un certain racisme mais aussi des actions de solidarité. Il pose en tout cas de gros soucis en termes d’infrastructures d’accueil. Les réfugiés payent, quant à eux, un double prix, celui de la perte de leur maison et celui des problèmes qui accompagnent la vie de réfugié. Cela est d’autant plus préoccupant que l’hiver approche.

Enfin, le politologue s’insurge contre la théorie du complot qui est puissante s’agissant de la crise syrienne. Il met en garde contre la simplification, le sentiment qu’on nous ment et la volonté de prendre du recul. Il pointe notamment l’analyse géostratégique qui conduit à effacer la société syrienne, à ne voir dans la Syrie qu’un acteur politique régional. Ce sont les Syriens qui payent tout cela. Ils vivent une grande injustice depuis deux ans.

En conclusion, Ziad Majed invite à soutenir les rebelles pour modifier le rapport de force sur le terrain afin d’influencer et pousser les Russes et les Iraniens à modifier leur posture de soutien à Bachar el-Assad.

Publié le 31/10/2013


Pierre-André Hervé est titulaire d’un master de géographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et d’un master de sécurité internationale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Il s’intéresse aux problématiques sécuritaires du Moyen-Orient et plus particulièrement de la région kurde.
Auteur d’un mémoire sur « Le Kurdistan irakien, un Etat en gestation ? », il a travaillé au ministère de la Défense puis au Lépac, un laboratoire de recherche en géopolitique associé à ARTE, pour lequel il a notamment préparé une émission « Le Dessous des Cartes » consacrée aux Kurdes d’Irak (avril 2013).


 


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