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Compte rendu de la conférence « Les Grands musées du Caire », tenue à l’Institut français du Caire, Egypte, le 6 décembre 2015

Par Mathilde Rouxel
Publié le 15/12/2015 • modifié le 03/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

The Cairo Museum building at Tahrir Square. In front of the building is a Sphinx sculpture.

Natalia Seliverstova / Sputnik / AFP

Un centre de documentation pour le Musée égyptien du Caire

Yasmine El Shalzy est directrice du centre de documentation au Musée égyptien du Caire. Elle est venue présenter les nouvelles modalités de recollement (1) des œuvres du grand musée de la civilisation égyptienne. L’ampleur de ce nouveau programme dépasse cependant le seul musée égyptien, puisqu’il concernera à terme l’intégralité des institutions muséales du pays, qui voit ses structures et ses administrations se refonder en une muséographie plus moderne que celle que nous pouvons parcourir aujourd’hui.

Le projet de recollement des œuvres du musée du Caire a débuté en 2007, avec le soutien financier des États-Unis et de l’Allemagne pour former les premières équipes qualifiées sur ce programme, et devait durer jusqu’en 2015. Cependant, comme pour la plupart des institutions égyptiennes, tout s’est arrêté avec la révolution de 2011, et les activités n’ont repris qu’en 2014. En août 2015, le Bureau d’enregistrement et de la documentation compte cependant déjà dix employés à l’enregistrement et une directrice générale, qui travaillent aujourd’hui principalement sur le programme de documentation de ce projet ambitieux.

Ce programme de documentation doit répondre à cinq grands axes : l’accessibilité de l’information, l’enregistrement total des œuvres sur la base de données, la création de dossiers reliés à chaque objet du musée, des fichiers documentant spécifiquement chaque objet, des fiches de gestion de la sortie des œuvres (pour des expositions notamment), et la conception des panneaux et des cartels. Le musée seul a lui-même développé quatre systèmes conjoints : un journal d’entrée, qui donne à chaque œuvre du musée un numéro d’identification, un catalogue pour les œuvres temporaires, un registre général et un registre spécial pour les œuvres en transit.

La base de données, lancée en 2005, est établie sur le programme KAMV, programme très sécurisé, qui permet de présenter des informations scientifiques précises. Yasmina El Shalzy insiste sur l’aspect scientifique de cette documentation : chaque information bénéficie d’une double vérification et, si nécessaire, de l’intervention des experts de chaque période répertoriée.
Ce prototype est destiné à être appliqué dans de nombreux autres musées d’Égypte.

Le secteur « musée » du Ministère des Antiquités égyptiennes

Est ensuite intervenue la directrice du secteur « musée » au Ministère des Antiquités égyptiennes – qui remplace depuis 2013 le Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes, organisme autrefois dépendant du ministère de la Culture égyptien – pour présenter les grands projets d’aménagement ou de réaménagement des musées égyptiens. Selon Elhan Salah El Din, la muséographie et l’organisation logistique des musées égyptiens sont toujours demeurées les mêmes depuis leur création, il y a cent cinquante ans. Le défi qu’elle doit aujourd’hui relever est considérable. Elle note tout d’abord un important problème de maintenance dans ces institutions ; problème lui-même lié aux faiblesses de gestion de ces dernières, corrélé à son tour à des ressources humaines peu qualifiées dans le domaine de l’archéologie. Ce sont donc à ces trois points que s’attaque depuis l’an dernier Elhan Salah El Din.

Une première urgence : la rénovation et la maintenance. Le musée égyptien tout d’abord, classé 3e plus grand musée du monde, nécessite de nombreux efforts de revalorisation et de requalification du personnel. Un grand ouvrage de nettoyage, de recréation des éclairages et de réécriture des cartels est d’ores et déjà en cours.

Le musée copte compte pour sa part principalement un problème dans la conception des cartels ; le musée de Louxor nécessite davantage de maintenance ; le musée de la momification a des problèmes d’éclairage ; le musée du textile rencontre des problèmes d’humidité dus à l’eau souterraine.

La directrice du secteur « musées » s’occupe également des grandes constructions de musée, à l’image du musée de Sharm el-Sheikh, qui a encore besoin de 600 millions de livres égyptiennes pour achever sa construction, ou le grand musée du Caire, consacré à la vie d’Akhenaton et à la vie au Caire à cette époque, qui cherche encore 40 millions de livres.

Quelques grands musées sont également en rénovation : c’est le cas notamment du musée islamique, du musée de Malawi (musée de l’artisanat égyptien), le musée de Beni Haçan, le musée gréco-romain, qui cherchent eux aussi de quoi financer leur reconstruction. Le rôle de la directrice du secteur « musées » est donc de constituer des équipes de travail, qui procèderont à l’enregistrement des œuvres, à sa documentation ainsi qu’à proposer au personnel des formations en sciences de l’archéologie afin de favoriser leur proximité aux œuvres. L’objectif principal de ce travail est de pousser, par l’organisation d’activités et la mise en place de partenariats avec le milieu scolaire, de pousser les Egyptiens à visiter ces musées, et renforcer leur sentiment d’héritage culturel.

Le musée égyptien : ses défis, ses collections

Cette intervention est suivie par celle de Mahmoud El Aouagi, directeur des grands musées provinciaux au ministère des Antiquités et ancien directeur du musée égyptien de la place Tahrir dont il fait la présentation. Il évoque tout d’abord les constructions des grands musées de Fustat (musée de la civilisation égyptienne) et de Gizeh (le grand musée égyptien, bientôt le plus grand musée du monde), et rassure à ce propos les auditeurs : s’il était en effet prévu de déplacer les collections du musée de la place Tahrir dans ces deux nouveaux emplacements, les discussions ont été réouvertes suite à la demande de l’opinion publique.

Le musée de la place Tahrir est l’un des plus importants musées du monde sur le plan historique et culturel, riche de plus de 160 000 objets archéologiques témoins d’une histoire foisonnante. Il a été décidé d’accorder une attention plus particulière à la maintenance et aux infrastructures notamment électriques afin de protéger le musée, qui a célébré le 16 novembre 2015 son 113e anniversaire.

Comme beaucoup d’autres projets, les travaux d’aménagement se sont arrêtés en 2011 avec la Révolution, le budget consacré à ces initiatives ayant été coupé. En outre, le musée à été confronté à la chute du tourisme, et aux conséquences de la révolution de janvier 2011 : la sécurité du musée a été en particulier compromise, des malfaiteurs ayant pu s’infiltrer par le toit, détruisant 70 objets et 13 vitrines, et volant 54 pièces. Entre 2011 et 2014, l’état du musée s’est dégradé et de gros problèmes d’infrastructure sont apparus (liés notamment au toit, au sol, aux vitrines). Les principaux efforts de restauration se sont pour l’instant centrés sur la salle Akhenaton, salle Est ; si l’ancien directeur se plaint de la lenteur de l’entreprise engagée, il planifie néanmoins les travaux sur cinq ans. Il a en particulier été décidé de retirer le lino du sol et de dévoiler les peintures originelles sur les murs afin de rendre au bâtiment son éclat originel.

Collections et activités du musée copte

Le docteur Atel Naguib est ensuite intervenu pour présenter le musée copte. Créé en 1910, le musée bénéficie d’un nouveau bâtiment en 1947. Il note lui aussi des problèmes d’entretien, notamment d’éclairage, mais constate que le musée conserve 90% de ce qui faisait sa beauté en 2006. De nouvelles équipes de spécialistes ont été formées afin de protéger les collections, notamment les pièces de textiles, très nombreuses et très importantes dans l’histoire de l’art copte, et qui sont menacées par les insectes qui affluent vers ces pièces fragiles. Par ses nombreuses activités pédagogiques et ses expositions temporaires, le musée copte a quintuplé son nombre de visite pour l’année 2015.

Programme de reconstruction du musée d’art islamique après l’attentat du 24 janvier 2014

Le directeur du musée d’art islamique, Ahmed Shoky, est ensuite intervenu pour présenter le programme de restauration du musée, créé en 1882, et peu à peu enrichi jusqu’à devenir l’un des plus grands musées de la civilisation islamique. Il réunit en effet des pièces datant du premier siècle de l’hégire jusqu’à la fin du XIXe siècle chrétien. Lancée en 2003, la restructuration du musée a permis de renforcer le système de sécurité, d’adapter les vitrines, de construire une histoire de l’art islamique. La muséographie, très contemporaine, avait fait l’unanimité, malgré quelques problèmes logistiques pour la bonne conservation des œuvres. Le 24 janvier 2014 cependant, une bombe TNT lancée devant le musée a provoqué la destruction de plusieurs salles. Les équipes du musée se sont employées, durant trois jours consécutifs, à récupérer, déplacer et enregistrer chaque objet. Les restaurations engagées sont impressionnantes : de nombreuses œuvres ont pu retrouver leur éclat. Sur les 1471 pièces touchées, seules 79 ont été totalement détruites.
Aujourd’hui, le défi est celui du financement des restaurations - des soutiens financiers des pays arabes sont notamment attendus pour permettre la réouverture du musée dans les plus brefs délais - et celui de la qualité des restaurations : doit-on reconstruire le musée tel qu’il était avant sa destruction, ou en corriger les faiblesses ? Il a d’ores et déjà été planifié de transformer l’entrée ; en outre, l’ouverture d’une salle multimédia, à destination pédagogique, a également été décidée.

deux nouveaux musées d’histoire pour l’Égypte

Les deux dernières interventions ont présenté les deux grands projets en cours : la construction d’un musée à Gizeh et celle du Musée National.

Tarek Tawfik a présenté pour sa part le projet monumental de construction de l’un des plus grands musées du monde, situé place Rimaya à Gizeh, non loin des pyramides. Le projet est né d’un concours d’architecture lancé en 2002. Les travaux ont débuté en 2012, et devraient provoquer l’extension de nombreuses infrastructures (élargissement de l’autoroute pour désengorger la ville, création d’une quatrième ligne de métro…). Le bâtiment, dont la construction est aujourd’hui achevée à 80% (soit 35% du projet global) est une structure très moderne, conçue en dialogue avec les pyramides. Les dirigeants égyptiens ont montré un grand intérêt dans ce projet, pour lequel ils ont prévu le déblocage de 300 millions de dollars pour ces cinq prochaines années, l’ouverture du lieu étant prévue pour 2018.
Les objectifs de ce musée sont les suivants : davantage de sensibilisation culturelle pour la civilisation et l’archéologie égyptiennes, avec une idée de préservation et de valorisation de l’héritage culturel. Tarek Tawfik présente ce projet comme une aventure des antiquités qui s’adresse aux enfants du XXIe siècle – laissant donc derrière lui la tradition muséale héritée du XIXe et que connaissent encore de nombreux musées locaux. Le musée exposera les magnifiques collections de Toutankhamon, œuvres-clés dans l’histoire de l’art et de la civilisation mondiale ; plus de 4000 pièces présenteront ainsi son histoire, et l’histoire du peuple qui, à l’époque, l’entourait.
Cet espace de plus de 491 000 m² ouvrira son hall sur la monumentale statue de Ramsès II ; les collections de Toutankhamon seront par ailleurs présentées selon un procédé novateur, alliant à l’antique les technologies numériques.

Khaled El Enany, également modérateur de cette rencontre, clôt la conférence en évoquant le Musée National – lui aussi en cours de construction – de la Civilisation Égyptienne, dont il est le directeur. Le musée donne sur le grand et unique lac naturel du Caire, à Fustat, une région connue pour son artisanat légendaire. Initialement prévue à Zamalek, près du prestigieux Opéra du Caire, la construction fut déplacée au moment de la Révolution dans cette région plus tranquille, à proximité de l’aéroport. En suspens depuis 2011, les constructions ont été relancées, et le musée devrait être inauguré en 2017 ou en 2018.
Le musée se compose de deux bâtiments, et s’étend sur 134 000m². Il dispose du laboratoire de recherche le plus grand et le plus avancé d’Égypte, ainsi que d’un théâtre, un auditorium et un cinéma, où ont été organisées de nombreuses conférences, qui avaient pour but de rendre sa légitimité au projet lorsqu’il fut suspendu en 2011.
L’objectif du musée est de recréer une histoire, à partir premiers hommes ayant vécu en terre d’Égypte. Aux galeries thématiques s’ajouteront donc les galeries de momies, animées par des hologrammes sortis des tombes, et une ambiance sonore adaptée.

Tous ces grands projets mettent en évidence le travail des musées d’Égypte à intéresser la population et à moderniser les infrastructures, en espérant sensibiliser les enfants et former de nouveaux spécialistes. L’énergie déployée, malgré des moyens financiers restreints, est de bon augure : le travail fourni pour l’entretien de ces musées ne pourra qu’être bénéfique au patrimoine culturel du pays, ainsi qu’à l’identité de sa population.

(1) Le recollement consiste en l’enregistrement des œuvres. Elles sont alors répertoriées à partir d’un modèle de classification et d’information très scientifique qui permet une bonne connaissance des collections et une juste estimation de leur valeur.

Publié le 15/12/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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