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Compte rendu de la conférence d’Alain Gresh à l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth « DE QUOI LA PALESTINE EST-ELLE LE NOM ? » Mercredi 19 janvier 2010

Par Olivia Blachez
Publié le 24/01/2011 • modifié le 10/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Lors d’une conférence donnée le 19 janvier autour du dernier ouvrage qu’il a publié, « De quoi la Palestine est-elle le nom » (Editions Les Liens qui libèrent, 10/09/2010), Alain Gresh s’interroge sur la perception du conflit israélo-palestinien dans l’histoire. Force est de constater que le conflit israélo-palestinien n’est pas l’un des plus meurtriers de l’histoire guerrière du XXe siècle. Il ne s’agit pas non plus un conflit d’une importance stratégique majeure : la Palestine n’est plus cette terre incontournable de la route de la soie. Pourquoi alors ce conflit occupe-t-il tant le champ médiatique ? Quel est vraiment l’enjeu du conflit israélo-palestinien dans l’histoire ?

Pour répondre à ces questions, Alain Gresh propose de replacer le conflit israélo-palestinien dans l’histoire des guerres de l’époque contemporaine. Il revient sur la façon dont l’histoire a été enseignée à des générations en France et en Europe : l’histoire du monde a été écrite pendant des années comme l’histoire de l’Europe occidentale et des Etats-Unis, voire même comme l’histoire de l’aboutissement de la domination européenne depuis l’invention de la démocratie en Grèce.

Dans cette façon de raconter l’histoire, la Seconde Guerre mondiale a occupé une place majeure. Pourtant, s’il s’agit d’un événement présenté comme « mondial », l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale se fonde sur une conception selon laquelle le reste du monde n’était pas présent. D’ailleurs, constate Alain Gresh, si la Seconde Guerre mondiale est le symbole même d’une guerre juste en Occident, cette conception n’était pas évidente ailleurs. Les Japonais ont été perçus comme des libérateurs en Asie en 1942, au moment de l’effondrement des colonies. Dans certains pays arabes, comme en Egypte, l’ennemi n°1 était d’abord le colon britannique ou français.

Pour Alain Gresh, « l’histoire de la Seconde Guerre mondiale a été avant tout l’histoire de la libération des peuples colonisés ». Or, l’histoire coloniale de la Seconde Guerre mondiale a été totalement occultée dans l’historiographie du conflit. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on commence à étudier cet aspect pourtant essentiel du conflit.

En fait, selon Alain Gresh, l’événement structurant du XXe siècle est justement la chute des empires coloniaux. Or, aujourd’hui, un basculement du monde est en train de se produire, ou en tout cas un basculement de la perception de l’histoire du monde autour du conflit israélo-palestinien. Le conflit israélo-palestinien est en fait le dernier conflit colonial majeur.

D’ailleurs, Alain Gresh note que la question palestinienne n’est considérée en tant que telle que depuis très peu de temps. Depuis les années quarante, la question palestinienne a été occultée – et avec elle l’aspect proprement colonial du conflit – pour ne considérer que la question juive à proprement parler.

Pourtant, le problème palestinien a bien une origine coloniale. Théodore Herzl, dans son ouvrage Nouveau pays ancien présentait l’utopie d’un Etat qui serait essentiellement européen, et il ne mettait que peu en avant les traits propres au judaïsme. Il n’y avait pas vraiment de différenciation par rapport au projet colonisateur européen dans le discours sioniste de Théodore Herzl.

Le mouvement sioniste se présente alors comme colonial – il repousse les populations palestiniennes de leur territoire – mais cela n’a pas une connotation négative : il s’agit également pour le sionisme de porter lui aussi le « fardeau de l’homme blanc », selon l’expression de Kipling. Si la colonisation s’appuie au départ sur le travail des Palestiniens, elle va vite évoluer vers une tendance à repousser les populations locales.

Alain Gresh aime à rappeler que si le sionisme se voulait alors comme une solution au problème juif, beaucoup de Juifs ont pourtant refusé d’émigrer en Palestine pour préférer d’autres destinations, en particulier les Etats-Unis. Certains Juifs ont choisi de rester en Europe où ils occupaient souvent des positions économiques et politiques importantes. L’émigration vers la Palestine n’a commencé que lorsque les Etats-Unis ont mis en place des politiques migratoires restrictives à partir des années 1920. « On ne peut donc pas affirmer, comme le fait Bernard-Henri Lévy, que les Palestiniens ont participé au génocide en refusant d’accueillir des immigrants juifs ! » explique Alain Gresh.

La politique de colonisation qui consiste à acheter les terres des Palestiniens commence donc dans les années 1920 et va atteindre son paroxysme avec la première guerre israélo-arabe de 1947-48, où les Israéliens en viennent aux armes. A partir de ce moment-là, la politique de colonisation mise en place de la part d’Israël ne va jamais cesser. Elle prendra un nouvel essor avec l’annexion de la bande de Gaza et de la Cisjordanie en 1967. Aucun gouvernement israélien n’a arrêté la colonisation. Alain Gresh rappelle qu’il y a aujourd’hui 500 000 colons israéliens (300 000 en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est).

« Cette histoire coloniale du conflit israélo-palestinien revient avec beaucoup de force aujourd’hui ». Pour Alain Gresh, « la Palestine est le dernier conflit colonial, et donc le symbole d’une époque qui se termine ». Ce conflit marque les esprits car son cadre symbolique dépasse largement la question palestinienne en tant que telle. Sous le mandat britannique, il y avait six millions de Juifs et six millions d’Arabes en Palestine. La colonisation s’est d’abord fondée sur le travail des Palestiniens, mais ce n’est plus un élément essentiel aujourd’hui. Les données économiques et morales du problème palestinien ont changé. Aujourd’hui, ni la solution de la partition en deux Etats, ni celle d’un Etat pour tous n’apparaissent comme des alternatives crédibles. Toutes les propositions pour une résolution du conflit israélo-palestinien semblent limitées et/ou utopiques.

Pour envisager une sortie de crise, Alain Gresh propose une comparaison historique entre l’expérience sud-africaine, que l’on peut percevoir comme l’exemple même d’une résolution réussie d’un conflit colonial, et la Palestine. Mais en Afrique du Sud, il y a dès le départ une association de certains Blancs et métisses à la lutte pour la libération. La question palestinienne est bien différente : la proposition du Fatah de 1969, prônant un Etat unique, va devoir être abandonnée du fait de l’absence d’alliés du côté israélien. D’autre part, la stratégie militaire et politique menée par le Fatah, qui n’exclut pas les actions terroristes à l’époque, n’est pas en adéquation avec cette proposition, contrairement à l’ANC en Afrique du Sud, qui préfère le sabotage car il est jugé cohérent avec les solutions proposées pour la résolution du conflit. Aujourd’hui, la situation apparaît d’autant plus bouchée en Palestine que les Palestiniens sont divisés entre Fatah et Hamas et qu’il y a une véritable absence de stratégie politique.

Pour Alain Gresh, le mouvement colonial se fonde sur le refus de considérer l’autre comme égal à soi-même : c’est bien cette vision coloniale qui a dominé la politique israélienne et qui a empêché l’aboutissement des accords d’Oslo. Au contraire, la réussite de la sortie de crise sud-africaine s’explique parce que la conception de l’autre comme égal s’est imposée. « C’est cette vision coloniale du conflit israélo-palestinien qu’il faut changer », conclut Alain Gresh.

Publié le 24/01/2011


Olivia Blachez est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a suivi les cours du politologue libanais Joseph Bahout. Elle vit actuellement à Beyrouth et travaille au sein du journal L’Orient-Le Jour.


 


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