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Dans le cadre du cycle de conférences Midam Mounira organisé par le CEDEJ et l’Institut Français du Caire, est intervenu dimanche 13 mars Wahid Abdel Maguid, chercheur en sciences politiques et longtemps acteur de la vie politique égyptienne. Il a écrit de nombreux ouvrages d’analyse politique, s’appuyant principalement sur la situation égyptienne. Son ouvrage L’attitude arabe face à la violence fut traduit en 2007 par Fouad Nohra et publié aux éditions de L’Harmattan. La conférence qu’il a prononcée à l’Institut Français du Caire portait sur « les racines du terrorisme au Moyen-Orient » et cherchait à comprendre deux choses : d’une part, de quoi étaient issues ces organisations terroristes qui menacent aujourd’hui le monde musulman et occidental, et d’autre part dans quel imaginaire sont puisées les idées qu’elles défendent.
Pour Wahid Abdel Maguid, l’acte terroriste a précédé la mentalité terroriste au Moyen-Orient et dans le monde arabe. Selon lui, le terrorisme est né dans les campagnes égyptiennes et arabes à la fin du XIXe siècle. Il insiste ainsi en introduction sur l’idée que la réalité du terrain et des attaques terroristes précède et prépare la doctrine elle-même, qui, dispersée par des voix populaires, provoque elle-même par la suite la naissance du phénomène terroriste que l’on connaît aujourd’hui. Il annonce ainsi prendre en considération les résultats de cette pensée terroriste, notamment sur le recrutement. La volonté de changer la chose politique par la force est pour lui née des temps modernes ; il s’agit d’un violent contrecoup de la colonisation qui marque l’histoire de la plupart des pays arabe, dont l’Égypte, qui reste tout au long de son argumentation au cœur de son sujet. L’aspiration de ces pays arabes aux civilisations modernes de type européennes a selon lui amené une certaine forme de résistance, qui s’est manifestée dans la société sous différentes formes – et notamment par la violence. C’est une violence qui visait au-delà des colons, puisqu’elle s’attaquait également sans mesure aux alliés arabes des colons ; première attaque du peuple contre le peuple, cette violence initiale dont on peut faire état tout au long de la période coloniale marque pour Wahid Abdel Maguid l’origine d’un radicalisme religieux qui usera de cette pratique de la violence à des fins politiques, et dont il déduira a posteriori une justification religieuse destinée à démocratiser et légitimer cette pratique-même de la violence.
Les premières marques de ce qui se transforma en terrorisme dans le monde arabe fut donc cette violence, portée par l’étendard du nationalisme. Plus qu’une manière de réunifier la nation autour de la revendication d’une identité arabe indépendante, cette violence aurait provoqué la division de la société sur la base d’un manichéisme dangereux, qui confronte les combattants légitimés par la cause à tous ceux qui s’opposent aux idées défendues par les nationalistes. Dès lors, certaines tendances extrémistes se font sentir, témoignant d’une vision de la violence qui nierait la réalité politique et sociale effective du pays et qui considèrerait l’autre, l’opposant, comme quelqu’un d’inférieur.
Par la suite, l’environnement socio-politique favorisa le développement de cet embryon de terrorisme né des luttes pour l’indépendance. L’indépendance acquise, deux choix se posaient en effet sur la table des dirigeants : entériner cette violence, ou la laisser se développer. Selon Wahid Abdel Maguid, les autorités ayant essayé de mettre un terme aux idées libérales qui commençaient à se développer aux lendemains de l’indépendance, le pouvoir en place a établi l’exercice d’une politique autoritariste et totalitaire. En obligeant ainsi la société à suivre une pensée unique et uniforme, il poursuivit la pratique d’une violence sur le peuple. Cette violence s’est exercée sous différentes formes : l’on pouvait accuser d’infidélité à la nation comme l’on pouvait condamner comme espion un homme ayant des pratiques plus occidentalisées et davantage tendues vers un libéralisme inspiré des politiques européennes ou états-uniennes. Pour le chercheur égyptien, cette violence de l’État a instillé la peur dans les campagnes égyptiennes. Le terrorisme n’en est qu’une résultante, en tant de pratique défensive contre une nation liberticide. Un terrorisme de plus en plus religieux et radical se développe ainsi dans les années 1960. En quête d’une référence légitime, cette violence pris d’abord les couleurs de l’enseigne gauchiste, qui avec un parcours pacifiste enthousiasmait les jeunesses de l’époque ; il s’agissait d’une violence des marges, à l’image des grands mouvements de gauche qui se sont développés en Amérique Latine et en Europe. Le paradoxe arabe sur cette question demeure que la gauche n’y était pas inconnue, puisque Staline y imposait son influence : plus gauchistes que Staline, ceux que l’on considérera plus tard comme terroristes pratiquaient une violence qui cherchait encore sa justification.
La frustration imposée par la défaite de 1967 mit fin au rêve nationaliste et ébranla l’identité même de l’homme arabe. Perdus, ils ont cherché dans la religion un guide nouveau ; ils y trouvèrent également des justifications à la violence qui se déployait depuis quelques décennies déjà. La voix du jihad est devenue claire pour ceux qui souhaitaient recourir à la violence.
Wahid Abdel Maguid remet en question l’idée commune que les débats sur les violences dans la religion ont été lancés par Sayyid Qotb. Ses ouvrages sur la question religieuse abondent et servent effectivement de référence, mais comme le note le chercheur égyptien, on n’y trouve que très peu de références à la violence. Pour lui, l’influence de Chokri Mostafa (fondateur des Jama’at el Muslimin, communément appelée Takfir wal Hijra) fut déterminante, et marque selon Wahid Abdel Maguid de début de l’accumulation des interprétations du concept de jihad, présenté en opposition au régime qui dirigeait alors la société.
Les textes sur cette question se sont multipliés, et on en compte aujourd’hui des centaines. Wahid Abdel Maguid regrette que l’environnement sociopolitique de la région n’ait pas entériné ces violences, qui secouent par vagues et depuis des dizaines d’années différents pays de la région, dont l’Égypte, sans cesse touchée par des attaques terroristes, principalement de groupes locaux (à l’image par exemple de la Jamia Islamia). Les situations sont différentes dans chaque pays arabe, et les groupes religieux extrémistes n’ont pas eu les mêmes parcours. Il semblerait cependant que les États en place pouvaient éviter l’émergence de ces violences : il cita notamment l’Algérie, qui connut une décennie noire dont elle a encore aujourd’hui du mal à se relever.
Le terrorisme qui nous menace, conclut-il, n’est pas né du néant : il n’est que la remontée à la surface d’un processus qui trouve ses premières marques historiques à la fin du XIXe siècle. Lutter contre le terrorisme serait, selon lui, d’abord de prendre conscience du rôle de la politique dirigeante dans l’encadrement des pratiques de violence, et de changer les lignes politiques suivies sur ces questions-là ; la lutte par les armes est inutile si elle n’est pas accompagnée d’une transformation structurelle. Contre les mots hâtifs de George W. Bush en 2003, qui en quittant l’Irak s’était exclamé que la mission des États-Unis – celle de démanteler le terrorisme – était « accomplie », Wahid Abdel Maguid appelle à se rendre compte pleinement du fait que le problème du terrorisme ne relève pas seulement du phénomène mais qu’il est bien structurel. De là l’importance de remonter jusqu’aux racines sociopolitiques de ces mouvements de violence, seul moyen sûr de pouvoir saisir les difficultés incombant aux sociétés arabes qui appellent et provoquent ce besoin de destruction et de vengeance de quelques groupes d’hommes vaincus par des discours extrémistes, contre la société dont ils sont issus et celles dont ils ont subi l’influence.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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