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Compte rendu de la conférence de Wissam Halabi-Halawi « La Taqiyya chez les Druzes - Quand le sacré est secret », tenue le 15 mai 2013 à la Bibliothèque Orientale de l’Université Saint Joseph de Beyrouth, dans le cadre du séminaire d’études arabes, médiévales et modernes : les sources et leur interprétation.

Par Félicité de Maupeou
Publié le 16/05/2013 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Au sein de la communauté druze, les textes du dogme et du canon druzes sont inaccessibles aux non-initiés. Longtemps gardés secrets, ils sont aujourd’hui disponibles et édités, malgré l’opposition druze, et donc accessible au reste de la société.

Le travail de Wissam Halabi-Halawi (Wissam Halabi-Halawi, Université Paris 1 / IFPO, prépare une thèse sur la fondation du druzisme identitaire) se base sur ces textes. Il propose dans une première partie un aperçu historique du druzisme, avant d’étudier la notion de la Taqiyya, la dissimulation, à partir de plusieurs textes de la doctrine druze.

Aperçu historique

La fondation du druzisme primitif et la rédaction du dogme druze au Caire. La date la plus connue et reconnue de l’émergence des Druzes est celle de 1017 au Caire qui marque le début de la da’wa, la prédication druze. Mais le mouvement druze est déjà enclenché au Caire avant cette date par quelques fondateurs, restés inconnus, car en 1017 Hamza prend les rennes du druzisme sans laisser de place à une possible concurrence. Il est le fondateur des principes dogmatiques de la religion druze et le chef de la prédication jusqu’en 1021, date à laquelle il disparaît.
Darazi, dont le nom serait à l’origine du terme « druze », est un autre fondateur du druzisme. Dans les textes, il est un adversaire de Hamza. Il disparaît en 1018, éliminé ou exilé. Dans les textes théologiques, il est tué par Hamza pour avoir professé une autre forme de druzisme.
Le calife Al-Hàkim a fortement marqué l’histoire druze. Les rédacteurs des Epîtres (les textes sacrés) en font un être divinisé, considéré comme le représentant de Dieu sur terre par les Druzes. Si Al-Hàkim a fortement soutenu le druzisme, son fils, qui lui succède, est un farouche opposant au mouvement druze. Il est à l’origine des massacres des Druzes qui entrainent un mouvement de migration de ces populations vers les montagnes syriennes.
Al-Muqtanà, nouveau chef druze, continue alors la da’wa. La théorie de la dissimulation, la Taqiyya, aurait commencé à cette époque. A partir de 1042, date de clôture de la da’wa, plus personne ne peut se convertir au druzisme.

La période syrienne : l’exil et la constitution du canon druze. La période syrienne suit l’exil des Druzes dans les montagnes pendant les persécutions. Les sources manquent sur cette période mais c’est à ce moment que le druzisme tel qu’il existe aujourd’hui se construit. Après la rédaction des dogmes et la clôture de la da’wa, la période dans les montagnes syriennes est le temps de la création du druzisme communautaire durant lequel est rédigé le canon druze : al-Hikma, règles de conduites issues du dogme. Aujourd’hui le canon druze est constitué de 111 épîtres-traités. On sait qu’ils ont été écrits en Syrie sans savoir la date de leur rédaction ni leurs auteurs. La rédaction de ces épîtres témoigne cependant de la présence d’une communauté druze, désireuse de s’organiser et de vivre autour d’un canon. Cette période est majeure dans l’histoire du druzisme pour l’organisation religieuse et sociale, mais aussi pour les textes et la théologie qui se font jour notamment au XVe siècle mais qui sont le résultat de cette période peu connue.

Pendant cette période, la distinction entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux s’opère au sein de la société druze. La dissimulation, la Taqiyya, s’affirme progressivement. Elle est justifiée de façon différente au sein des sphères religieuse et politique. Les chefs politiques druzes pratiquent la Taqiyya car ils veulent donner l’image d’être de bons musulmans pour s’approcher du pouvoir central. Ainsi, les émirs Buhtur, qui ont eu une place politique importante chez les Druzes, adoptent la vie religieuse et culturelle de leur époque, et de la majorité de leur société : celle de l’Islam. Les chefs religieux pratiquent une Taqiyya plus dure et plus marquée. Elle peut s’expliquer par l’inscription de la religion druze dans un contexte syrien dominé largement par le pouvoir musulman qui incite à la prudence, notamment alors que les massacres des Druzes sont toujours dans les esprits. De plus les chefs religieux sont conscients que la doctrine druze ne pourra être acceptée par l’Islam qui la considère comme une hérésie.

Etude de la Taqqiyya à travers la lecture de trois Epîtres-traités du Livre de la Sagesse

Il s’agit ici de se demander si la Taqiyya est un principe dogmatique relevant du druzisme primitif ou un développement doctrinal tardif justifié par le contexte. La Taqiyya est un terme que l’on ne trouve pas dans les textes druzes. Il s’agit du principe selon lequel le sacré est gardé secret : les doctrines et les écrits religieux (canoniques et non canoniques) sont transmis de manière manuscrite aux seuls religieux qui en ont les codes. Les écrits sont ainsi sacralisés. La Taqiyya est tournée à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur : elle concerne les non-Druzes mais également les Druzes non-initiés. Ceux-ci n’ont pas accès aux textes car ils sont considérés comme n’étant pas suffisamment formés intellectuellement pour comprendre la religion druze. Les textes de la doctrine et du canon druzes sont en effet difficiles d’accès : ils nécessitent de connaître la philosophie grecque, ismaélienne, mais aussi le christianisme. Outre la justification politique de soumission au pouvoir pour éviter la répression, ou l’idée de l’acclimatation culturelle des Druzes au contexte musulman dominant, la Taqiyya s’explique aussi par la volonté de ne pas risquer de déformer la pensée contenue dans ces textes difficiles en les rendant accessibles à tous.
Le fondement textuel de la Taqiyya est cependant incertain : les textes sont difficilement datables, fragmentaires et sans auteur identifié. En outre, la part importante de la tradition orale rend difficile la vérification des fondements historiques de la Taqiyya.
L’étude de trois épîtres druzes, espacés de quelques années, montre cependant assez clairement l’apparition progressive de la Taqiyya dans le canon druze.
Le traité 18 date de l’époque de gloire de Hamza, il condamne la dissimulation qui rend coupable ses auteurs d’« associationnisme ». Le traité 33 est rédigé au début des épreuves pour les Druzes, lorsque la situation politique se tend. Apparaît alors dans le texte l’idée de la dissimulation : « Cachez la Sagesse à ceux qui n’en sont pas dignes ». Le traité 41 date de la grande épreuve et des massacres subis par les Druzes après la mort du calife al-Hàkim et l’arrivée au pouvoir de son fils. Il légitime le mensonge vis-à-vis des non-Druzes.
La notion de « méchants » apparaît progressivement dans les Epîtres pour qualifier les non-Druzes. Ceux-ci sont considérés comme des réincarnations des persécuteurs des Druzes d’autres époques, ou comme des apostats réincarnés. Ainsi, le traité 41 enjoint les Druzes à ne pas porter « un regard bienveillant, serein, admiratif » envers les non-Druzes. Il demande cependant aux Druzes de leur montrer du respect « pour ménager le cours du temps ». Le fait de cacher la vérité et de montrer son contraire est institutionnalisé sous le terme de tadlis.
La Taqyyia ne figure donc pas dans les dogmes primitifs, elle entre dans le canon dans un contexte de persécution des Druzes.

Conlusion : la relation du druzisme avec l’Islam et les autres religions

Le druzime est né sous les Fatimides, dynastie califale musulmane chiite. Il est donc possible qu’il existe un lien entre chiisme et druzisme. Cependant, les schismes provoqués au sein de l’Islam par l’apparition des ismaéliens ou des alaouites ne se sont pas caractérisés par une rupture avec le Coran et les piliers de l’Islam comme l’a fait le druzisme. La doctrine druze abroge la loi islamique ainsi que les piliers de l’Islam qui sont remplacés par des préceptes connus des religieux seuls. En outre, Allah est considéré comme un démiurge par les Druzes.
Cependant, le druzisme se présente comme une synthèse de plusieurs sagesses et religions. En effet, pour les Druzes, la part accessible et incarnée de la nature de Dieu s’est manifestée plusieurs fois sur terre au cours de cycles où apparaît la divinité. Ces cycles de révélation peuvent donner lieu à des passages légitimes dans le Coran ou la Bible car produits par l’incarnation de Dieu sur terre. Ainsi le Prophète n’est pas entièrement renié par les Druzes qui considèrent qu’une partie de son discours est apporté par Dieu au cours d’un cycle de révélation. Il en est de même pour Jésus ou pour les quatre évangélistes.

Publié le 16/05/2013


Félicité de Maupeou est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, après une formation en classes préparatoires littéraires. Elle vit actuellement à Beyrouth où elle réalise un stage dans l’urbanisme.


 


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