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Compte rendu de la conférence tenue à l’iReMMO le 19 mai 2016, Louis Blin, « La Mission militaire française au Hedjaz (1917) »

Par Louise Plun
Publié le 13/06/2016 • modifié le 15/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Les séquences filmées sur place en 1917 par deux réalisateurs français envoyés dans le cadre de cette mission militaire, probablement des opérateurs des sociétés Pathé et Gaumont, montrent les opérations de la Mission militaire française au Hedjaz ainsi que les troupes de l’émir Fayçal. Elles représentent des documents historiques précieux, selon les auteurs du film, Louis Blin et Philippe Pétriat (maître de conférences à l’Université de Paris I). Ces derniers ont redécouvert ces séquences disparates et muettes, autrement dit des rush d’une durée de 55 minutes, et en ont réalisé un montage d’environ 35 minutes. Nous voulions « raconter une histoire », souligne Louis Blin. L’« un [des] enjeux pour les historiens que nous sommes, était de reconnaître les lieux et les personnages du film ». Est ensuite ajoutée à ces séquences muettes une musique d’époque du Hedjaz (1). L’historien souligne tout d’abord la valeur technique du film, les images étant de très bonne qualité d’une part et constituant le premier film jamais tourné dans la Péninsule arabique d’autre part. Il met également en avant la valeur historique de ce film, qui forme un témoignage unique et précieux. En effet, on n’avait jamais vu d’images filmées de la Grande révolte arabe lancée en 1916. Celles-ci représentent des soldats français au Hedjaz aux côtés des troupes arabes, dans une fraternité d’armes franco-arabe exceptionnelle.

La Mission militaire française au Hedjaz (1916-1920) est décidée en août 1916 afin de soutenir la Révolte arabe lancée en juin de la même année dans la région du Hedjaz. Hussein Ibn Ali (1856-1931), membre de la famille des Hachémites qui descend du Prophète et garde les lieux Saints, devient Chérif de La Mecque en 1908. En 1916, dans le contexte de la Première Guerre mondiale, il se révolte contre le sultan calife d’Istanbul. Son objectif est de transformer son pouvoir religieux, émanent du rôle attribué à sa famille, en pouvoir politique dans le but de créer un Etat arabe. Il se fait à cette fin le porte-parole et le chef des nationalistes arabes. C’est cependant l’un de ses fils, Fayçal, qui mène les troupes arabes. Soutenue par la Grande-Bretagne et la France, la Grande révolte arabe est lancée en juin 1916. Elle part du Hedjaz pour gagner la ligne de chemin de fer reliant Damas à Médine, élément central de la présence militaire ottomane dans la région. Les troupes de l’émir Fayçal font ensuite la jonction avec les forces britanniques venues d’Egypte, avant de participer à la campagne franco-britannique en Syrie-Palestine. Les archives ayant servi à la réalisation du film proviennent des séquences tournées au Hedjaz, les opérateurs n’ayant pas suivi les troupes qui se sont ensuite dirigé vers le Nord.

Le soutien et l’implication des Britanniques dans cette révolte sont restés dans les mémoires grâce notamment à l’action de l’officier britannique Thomas Edward Lawrence, le légendaire Lawrence d’Arabie. Cependant, selon Louis Blin, la présence et le rôle de l’armée française n’ont pas été négligeables. La Grande-Bretagne était, selon lui, moins présente sur le terrain et se manifestait d’avantage par des interventions aériennes. Les Français ont ainsi joué « un rôle aussi important que Lawrence auprès des Hachémites ». Il existait même un « Lawrence français », le Capitaine Rosario Pisani (1878-1947). Ce dernier a commandé le détachement français d’Aqaba à partir du 16 août 1917.

À partir de mai 1916, le gouvernement français renforce sa « politique musulmane ». Est alors organisée aux frais de la République laïque une colonne de pèlerins français à La Mecque. Le Parlement vote les crédits pour l’achat d’hôtelleries françaises à La Mecque et Médine. En effet, les autorités françaises, face à la concurrence britannique, aspirent à disposer d’une solide assise au Moyen-Orient et plus précisément sur les Lieux saints de l’Islam. Cette assise représentait plusieurs enjeux de taille pour la France. Il s’agissait tout d’abord de contrebalancer la politique anglaise dans la région, de prévenir la stratégie militaire de l’Empire ottoman, alors allié de l’Allemagne et enfin de véhiculer l’image d’une « France amie de l’Islam » (2) dans le but de conforter le pouvoir français dans ses propres possessions coloniales, dans la mesure où ces dernières comprenaient une forte population musulmane, mais aussi pour recruter des troupes coloniales à envoyer sur le front de l’Est. De surcroît, la région du Hedjaz constituait pour les Français comme pour les Britanniques un terrain stratégique d’un point de vue militaire, dans la perspective de leurs projets d’implantation au Moyen-Orient. Des officiers instructeurs français furent donc envoyés auprès de Fayçal afin d’encadrer ses troupes, avec un corps expéditionnaire composé majoritairement de soldats appartenant aux troupes coloniales françaises, notamment d’origines algériennes et tunisiennes.

Le film s’ouvre sur les images d’une cérémonie se déroulant à Port Saïd, porte méditerranéenne du Canal de Suez. En effet explique Louis Blin, la Mission militaire française dépendait d’un Etat major basé en Egypte. Dès janvier 1915, une Mission militaire française installée au Caire existe donc. Le lieutenant-colonel Édouard Brémond (1868-1948), est placé à sa tête. Les premières images du film montrent le défilé des troupes de la mission. Son siège administratif et politique se déplace par la suite à Djeddah et sa base militaire dans le port d’al-Wejh, ville située à proximité des troupes de la révolte arabe qui assiégeaient alors Médine. C’est en novembre 1916 que les troupes de la Mission militaire française partent pour le Hedjaz rejoindre le camp de Fayçal. Ainsi, les images suivantes ne montrent pas les troupes du Chérif Hussein, mais un camp appartenant à son fils Fayçal. Lui-même apparaît sur la pellicule, ainsi que ses principaux officiers, dont Djaafer Pacha, un officier irakien déserteur des troupes de l’Empire Ottoman et futur Premier ministre de Fayçal une fois sur le trône d’Irak (1921). La caméra filme également le drapeau du royaume du Hedjaz, composé de trois bandes horizontales noire, verte et blanche, ainsi que d’un triangle rouge sur le côté, drapeau qui deviendra un symbole panarabe. Louis Blin souligne le « dénuement des recrues bédouines qui viennent à pied au camp » de l’émir.

Une grande partie du film est ensuite consacrée à un grand défilé de l’armée chérifienne en 1917. Ce défilé fut sans doute répété et mis en scène. En effet, il fut probablement réalisé pour les besoins des réalisateurs français, précise l’historien. Les images montrent la variété des troupes de la révolte arabe, composées de bédouins, de tribus, de troupes régulières etc. En présence de l’émir Fayçal et de son officier Djaafer Pacha, défilent ainsi troupes, fanfares et drapeaux, bataillons de sapeurs, mulets, convois d’explosifs, batteries de campagnes, cavaleries et chameaux ambulances. Les soldats, souvent déserteurs de l’armée ottomane, étaient déjà formés puis rééquipés avec des uniformes et du matériel français et britannique, comme l’explique Louis Blin. Ainsi, continue t-il, les images veulent mettre en avant le visage d’une armée moderne, correspondant aux normes européennes en la matière et par conséquent identifiable par les publics européens. Cette mise en scène n’est donc pas représentative de l’essentiel des forces arabes composant les troupes de la révolte. Quelques images montrent par exemple des troupes bédouines ne portant pas d’uniformes. Les réalisateurs de l’époque filment également quelques scènes de la vie quotidienne des militaires : des soldats faisant leur toilette dans un ruisseau, des soldats d’un détachement français préparant le thé et le pain, etc.

Les images suivantes montrent la visite d’inspection du général Bailloud au Hedjaz en août 1917. L’enjeu de cette visite fut de décider du maintien de la présence des troupes françaises. À la suite des images de cette visite, les réalisateurs se sont attardés sur Djeddah, à laquelle ils ont consacré de longs plans montrant : le tombeau d’Ève, aujourd’hui disparu, les faubourgs africains, mais aussi la vie quotidienne à Djeddah dans les magasins, dans les rues commerçantes et dans les souks ainsi qu’aux terrasses des cafés, mais également l’activité principale de la ville, le commerce caravanier. Comme le souligne Louis Blin, les prises de vues cadrées mettent en valeur l’architecture de Djeddah, qui rivalise avec les plus belles villes yéménites. Les séquences furent projetées en France et dans les colonies françaises d’Afrique du Nord, mais aussi au Hedjaz en décembre 1917. L’émir Fayçal les a probablement vues.

Pour conclure, le film réalisé par Louis Blin et Philippe Pétriat constitue un document d’une grande valeur historique faisant contrepoids au film Lawrence d’Arabie de David Lean, « un film romancé sur une histoire romancée » (3). Ce travail d’historiens représente aussi, selon Louis Blin, le souvenir d’une fraternité d’armes franco-arabe restée méconnue jusqu’à présent. L’historien souligne en effet que l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs, c’est-à-dire en ce qui concerne le Moyen-Orient, la Grande-Bretagne. Ainsi, la question de l’aide européenne apportée à la Grande révolte arabe fut écrite à 95% en anglais et par des Britanniques. Le film constitue donc, via les images de la Mission militaire française au Hedjaz, une « réhabilitation du rôle de la France » dans cet épisode majeur de l’histoire du monde arabe au XXème siècle. La Mission militaire fut dissoute en 1920 par le général Catroux. Enfin, ce film constitue un témoignage d’un « passé révolu qui vibre encore auprès de beaucoup. » Premièrement en Arabie (4), pays récemment formé à partir de plusieurs provinces anciennement ottomanes et notamment celle du Hedjaz qui a une personnalité propre, selon Louis Blin. Mais également en dehors d’Arabie, notamment dans les pays dont le pouvoir est anciennement ou actuellement hachémite, comme l’Irak ou la Jordanie.

Notes :
(1) Fasail Saeed al Omari
(2) « La mission du Lieutenant-colonel Brémond au Hedjaz, 1916-1917 ». Guerres mondiales et conflits contemporains, 2006/1 (n° 221).
(3) Inspirée des Sept piliers de la sagesse de Thomas Edward Lawrence.
(4) Arabie Saoudite depuis 1932.

Publié le 13/06/2016


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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