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Compte rendu de la revue « Moyen-Orient » numéro 27, juillet-septembre 2015, « Bilan Géostratégique 2015 »

Par Louise Plun
Publié le 17/08/2015 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’EHESS (Ecoles des hautes études en sciences sociales) et auteur de l’ouvrage Radicalisation, introduit le nouveau numéro en proposant son « regard » sur la radicalisation en islam, teinté du « phénomène violent ». Pour commencer, ce dernier définit la radicalisation comme la « conjonction d’une idéologie extrémiste et d’une action violente ». Après un rapide panorama historique du terme, dont l’origine remonte selon lui à septembre 2011, Farhad Khosrokhavar souligne sa progression au genre féminin, reflet des « acquis du post-féminisme » puisque les femmes verraient désormais en la violence un moyen de s’affirmer. L’auteur pose ensuite la question du « lien [entre] la violence et le sacré ». Pour lui, il consiste en une « sacralisation de la haine » par les djihadistes, prônant l’illusion de « l’impavidité devant la mort », ainsi que l’impression de devenir un martyr ou un héros au combat. Le sociologue précise l’importance d’internet pour la mouvance terroriste, puisqu’internet est devenu « le support » de la propagande djihadiste, « il est donc devenu facile de se radicaliser ».

La rubrique « Atlas » du magazine plante ensuite le décor du bilan géostratégique de l’année 2015, portant pour titre « l’heure de Daesh ». Face à ce « moment Daesh », Guillaume Fourmont présente deux types d’acteurs : les Etats qui tentent de résister, comme la Tunisie, et ceux qui s’engouffrent dans la blessure béante du Moyen-Orient pour « réaffirmer [leur] vision autoritaire et confessionnelle de la région », comme l’Arabie saoudite et l’Egypte.

Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’EHESS et auteur de l’ouvrage paru récemment, Révolutions et état de violence, poursuit avec la mise en perspective de la désintégration des Etats et l’effondrement des sociétés. L’auteur analyse l’utilisation de la violence par les acteurs du pouvoir à partir d’une vision khaldunienne pour mettre en évidence la superposition des conflits intimement imbriqués au sein de la région, des conflits qui mènent, au delà de la guerre civile, à la dislocation de toute notion d’identité, de citoyenneté, de souveraineté, de territorialité et de droit. En effet, l’effondrement de ce que l’auteur appelle le « Leviathan arabe », c’est-à-dire l’ensemble des anciens régimes totalitaires tombés après 2011, a laissé place à des « fragmentations » de multiples natures, « confessionnelles, tribales, régionalistes… ». En tant que nouvel acteur sur cette scène, l’Etat islamique et le « religieux radicalisé », « convertit la violence en force étatique » et construit désormais sur les ruines des anciennes structures, un Etat de toute pièce. Ce modèle traverse les frontières du Moyen-Orient jusqu’en Afrique. Enfin, au coeur de cette complexité, l’islam « apparait de plus en plus comme une religion de la violence » et devient la victime d’une profonde instrumentalisation à des fins hégémoniques.

La section « Atlas » se poursuit par un tableau complet de la situation et de l’évolution de chaque pays du Moyen-Orient. Jean-Luc Racine, directeur émérite de recherche au CNRS revient sur la situation en Afghanistan, au sortant d’une transition politique « pacifique », qui a vu arriver sur la scène politique Ashraf Ghani. Le pays est également témoin du départ des troupes de l’OTAN présentes depuis 2001, mais reste confronté à de nombreux défis économiques, politiques, dépendant directement du défi sécuritaire.

L’article de Thomas Serres, Docteur en sciences politiques à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne et spécialiste de l’Algérie, peut se résumer par cette phrase introductive : « On serait tenté de dire que peu de choses changent », à l’image du président algérien, Abdelaziz Bouteflika. L’appareil étatique tente en effet de maintenir le fragile équilibre de la paix sociale, très dépendante de la situation économique intrinsèquement liée au cours du baril de Brent, au verdict à venir sur les procès Sonatrach, à la situation régionale et enfin à l’illusion démocratique soigneusement donnée par le régime.

Guillaume Fourmont souligne les profonds changements politiques au sein de l’appareil étatique saoudien depuis la mort du roi Abdallah en janvier 2015, un appareil politique apparaissant désormais comme régénéré. En revanche, celui-ci fait face à de nombreux défis : la crise pétrolière, l’encerclement par des ennemis politiques, aussi bien l’Iran que l’Etat islamique… A cela, le régime répond principalement par la « soudeïrisation » du régime, c’est-à-dire le colmatage des failles par un patriotisme actif.

Jean-Paul Burdy, maître de conférence à Sciences Po Grenoble, revient principalement sur la situation de transition économique de Bahreïn, puisque le pays est aujourd’hui entré dans une situation « post-pétrolière », sur les grincements engendrés face aux violations des droits de l’homme, ainsi que sur l’alignement de l’archipel sur l’Arabie saoudite en terme de politique extérieure.

Clément Steuer, chercheur en sciences politiques aborde le cas de l’Egypte. Le pays se trouve actuellement fragilisé par des oppositions politiques internes (entre partisans et opposants aux Frères musulmans), faille dans laquelle s’engouffre les problématiques régionales, comme la menace directe que représente l’Etat islamique.

La situation des Emirats Arabes Unis est analysée par Franck Tétart, docteur en géopolitique de l’Institut français de géopolitique (Université Paris 8). Il revient sur une politique étrangère particulièrement active cette année, d’abord d’un point de vue militaire, puisque les Emirats sont engagés sont l’EI et contre les rebelles houthistes au Yémen, économiquement ensuite, puisque le gouvernement a pour ambition de faire des Emirats un véritable « hub touristique », et stratégiquement pour finir, via le lancement de la première mission dans l’espace effectuée par un pays arabe.

Politologue, arabisante et spécialiste de l’Irak et du Moyen-Orient, Myriam Benraad, docteur en science politique de Sciences Po, revient sur l’année irakienne, une année de guerre où les problématiques de la « survie de l’Etat irakien » et de l’« intégrité territoriales sont plus que jamais posées », dans le contexte de lutte contre l’Etat islamique. L’Irak balance entre suprématie sunnite incarnée par l’EI et tentative de reprise du pouvoir chiite, représentée par le gouvernement irakien et Téhéran en arrière plan.

Bernard Hourcade, géographe, directeur émérite de recherche au CNRS et spécialiste de l’Iran, résume l’actuelle situation du pays via deux grands axes de réflexion : « la normalisation » de la politique iranienne ayant débouché sur un accord concernant le nucléaire et ainsi la levée progressive des sanctions internationales, et la rivalité du pays avec l’Arabie saoudite, dessinant dans la région du Moyen-Orient une sorte de « guerre froide ».

Israël apparait comme « marqué par une succession d’épreuves altérant [sa] représentation comme havre de tranquillité ». Le politologue Denis Charbit met en avant et en cause la réélection de Benjamin Netanyahu en tant que Premier ministre, une coalition plus conservatrice que jamais, la « recrudescence de la violence », bloquant ainsi tout processus de paix et de dialogue.

Caroline Ronsin, doctorante de l’Université européenne Florence Musset, présente la Jordanie comme étant « au coeur de la tourmente moyen-orientale », engagée depuis septembre 2014 contre l’EI, mais également victime de problèmes politiques, sociaux et économiques plus profonds.

Suivant par la suite un ordre alphabétique des différents pays, les spécialistes, en passant par le Liban et son défi majeur face à l’afflux des réfugiés, la Syrie, pays qui entre en 2015 dans sa cinquième année de conflit meurtrier, les Territoires palestiniens toujours sous les feux israéliens et le Yémen, plongé dans une « crise politique et humanitaire », terminent ce panorama moyen-oriental, où les terme « fragmentation », « défis » et « conflits » demeurent des réalités.

Le magazine ouvre ensuite un dossier géopolitique axé autour des deux organisations que sont l’Etat islamique et le Hezbollah. Olivier Hanne, chercheur associé à Aix-Marseille université et spécialiste de l’islam revient dans un premier temps sur les structures et sur le fonctionnement de l’EI. L’auteur commence la présentation de l’organisation par celle de son « calife », Abou Bakr Al-Baghdadi, devenu Ibrahim. Il présente ce dernier comme le pivot, cultivant le secret, d’un pouvoir aux mains de ses « émirs », dont la mort ne bouleverserait en rien l’assise de l’EI. La réalité du pouvoir réside en réalité dans les mains de personnages clés, forts des victoires militaires, ainsi que dans celles du « cabinet », c’est-à-dire « le gouvernement central ». L’autorité est ensuite divisée entre la Syrie et l’Irak. L’article se poursuit par le décorticage méticuleux des rouages de l’organisation, plus complexes qu’il n’y parait : « l’EI offre un visage administratif complexe car non défini : les structures aux prétentions étatiques […] cohabitent avec la hiérarchie propre à l’organisation terroriste […] laquelle doit composer avec son projet idéologique qui impose un système islamique imité du Moyen Age. »

La spécialiste du Liban et du chiisme politique, Aurélie Daher s’intéresse quant à elle au Hezbollah, organisation atteignant en 2015 trente ans d’existence en tant que « Parti de Dieu ». Les actions menées par l’organisation contre Israël sont connues, en revanche, la vie au quotidien reste ignorée. Aurélie Daher pose alors la question suivante : « a quoi ressemble la vie en « Hezbolland » ? »

Le volet « Histoire » du magazine s’intéresse à l’Empire ottoman dans la Grande Guerre et à la campagne des Dardanelles qui pris place d’avril 1915 à janvier 1916 dans la péninsule de Gallipoli. Pour finir, un entretien avec Vincent Duclert, historien, chercheur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron (EHESS) et auteur de nombreux ouvrages sur le génocide arménien, est proposé, revenant ainsi sur cette épisode tragique considéré comme le premier génocide du XXème siècle.

Le magazine se termine avec des suggestions de lectures, allant de la bande dessinée au livre historique. Le numéro prend également soin de noter quelques initiatives, comme les « Voyages géopolitiques » de l’iReMMO, ou encore l’exposition « Mésopotamie, carrefour des cultures » présentée aux Archives nationales de Paris, grâce à des moines dominicains de Mossoul ayant entrepris, devant les actes entamés par l’EI, de sauver une collections de plus de 800 manuscrits arabes (poésie…).

Publié le 17/08/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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