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Les rendez-vous de l’histoire du monde arabe se sont tenus à l’Institut du Monde arabe du 25 au 27 mai 2018. Pendant ces trois jours, des conférences, tables rondes, rencontres et présentations d’ouvrage ont été organisées sur le thème « Arabes, Français : quelle histoire ! », mettant en avant les liens historiques et actuels entre la France et les pays arabes. Ces relations sont culturelles, politiques et sociales, volontaires ou forcées. La table ronde « Les usages de l’Antiquité dans le présent, l’archéologie du Proche-Orient ‘’en guerre’’ » soulève les enjeux épistémologiques, politiques et éthiques de l’archéologie au Moyen-Orient et plus particulièrement en Irak et en Syrie. Elle est modérée par Pierre-Olivier Hochard, maître de conférence en histoire grecque à l’Université de Tours et réunit Véronique Grandpierre, assyriologue à l’Université Paris Diderot, Maurice Sartre, historien et professeur émérite à l’Université de Tours et Didier Vivier, directeur de la mission Apamée en Syrie et membre de l’Université Libre de Bruxelles.
Pierre-Olivier Hochard débute cette table ronde en évoquant les rapports idéologiques et idéologisés entre l’histoire, l’archéologie et la politique. Selon les intervenants, la protection des sites archéologiques ainsi que leurs destructions sont instrumentalisées par les différents régimes et sont au cœur de discours identitaires et politiques.
Véronique Grandpierre montre ainsi que l’Etat irakien s’est appuyé sur une histoire orientale. Saddam Hussein se plaçait dans la lignée de Saladin, vizir fatimide d’Egypte au XIIème siècle et de Nabuchodonosor, souverain de Babylone. Le régime de Saddam Hussein s’appuyait sur le prestige du site de Babylone, la plus grande ville au VIème siècle, surplombée par un palais construit sur les collines. Saddam Hussein souhaitait également reconstruire cette ville.
Pour Maurice Sartre, l’instrumentalisation de l’histoire par les régimes politiques se retrouve dans la manière dont on enseigne l’histoire en Syrie. Certains pans de l’histoire sont oubliés comme la période coloniale au profit d’un discours hyper-nationaliste qui s’appuie sur l’histoire des Araméens ou sur un âge d’or de l’ère islamique.
Pour Didier Viviers, le rapport à l’histoire se caractérise notamment par un découpage poussé à l’extrême entre les différentes périodes historiques et leur hiérarchisation qui valorise certains périodes et en dévalorise d’autres.
Pierre-Olivier Hochard évoque ensuite les destructions de sites archéologiques, notamment la destruction de Palmyre par Daesh qui a été la plus médiatisée et qui a suscité le plus de réactions.
Au-delà des discours médiatiques et des réactions de la communauté internationale vis-à-vis de Palmyre, Didier Viviers rappelle que d’autres sites ont été détruits. Il évoque en particulier Apamée, autre site archéologique en Syrie qui a été pillé mais dont on a peu parlé. Il s’agissait d’une des dix plus grandes villes de l’empire romain. Il explique que 14 000 trous ont été réalisés depuis 2011 par les paysans locaux, et que, dans ce contexte, la question de la responsabilité se pose. Selon Didier Viviers, le régime syrien a poussé ces paysans à piller en détruisant leurs commerces et leurs activités pendant la guerre, d’autant plus que ces paysans ne perçoivent pas la différence entre la fouille archéologique et le pillage. Ces pillages existaient également avant la guerre et ce, dès les années 1950. La guerre syrienne de 2011 ne constitue qu’un amplificateur des pillages et il existe une certaine continuité entre les périodes de guerre et de paix. Les pillages contribuent à alimenter un trafic d’antiquités.
Les destructions sont aussi l’objet d’instrumentalisation de la part de différents acteurs. C’est le cas notamment lorsque Daesh filme la destruction de sites archéologiques ou d’antiquités comme les taureaux ailés du musée de Mossoul. Selon Véronique Grandpierre, la destruction des taureaux ailés a des enjeux symboliques et identitaires mais également économiques. Ne pouvant pas être transportés pour être vendus sur le marché des antiquités, Daesh a utilisé ces destructions filmées pour entrer sur le marché de la vidéo.
L’intervention de Maurice Sartre est l’occasion de rappeler que les pillages et les destructions ne sont pas que l’œuvre de Daesh ou des populations locales mais également les régimes. En Syrie, 80% des destructions du patrimoine historique sont menées par le régime. Les sites sont bombardés, les proches du régime rachètent des vestiges en toute impunité. Selon Maurice Sartre, le régime syrien a instrumentalisé la destruction de Palmyre : il a notamment laissé Daesh s’approcher du site sans réagir, pensant que les Occidentaux interviendraient pour défendre le site, marquant ainsi un basculement en faveur du régime. Après sa libération, Palmyre est devenu le site de la représentation du pouvoir politique : des concerts ont été organisés dans le théâtre. Le régime a également mis sur liste noire les personnes qui s’opposent à la reconstruction du site : il s’agit d’en faire une ville virtuelle et touristique pour générer du profit.
Ces sites relèvent d’un patrimoine mondial de l’humanité. Leur destruction pose la question des responsabilités et de l’action de la communauté internationale. Dans le cas des destructions de mausolées au Mali, la Cour Pénale Internationale (CPI) avait été saisie par le gouvernement en 2012 et le coupable condamné à de la prison et des réparations. Pour Véronique Grandpierre, dans le cas de l’Irak et de la Syrie, il est difficile de saisir la CPI : il faudrait l’unanimité du Conseil de Sécurité, que la saisie de la CPI vienne d’un gouvernement et que les sites appartiennent au champ d’action de la CPI. Or, les destructions viennent parfois du gouvernement et certains sites sont des bases militaires comme la citadelle d’Alep, donc sortent du champ de saisie.
Pour Didier Viviers, les destructions en Syrie ne sont pas seulement l’occasion d’une émotion mais également d’un questionnement sur le métier d’archéologue, son engagement et sa déontologie. Les archéologies et les historiens doivent notamment refuser de rédiger une note scientifique sur des objets qui semblent avoir des origines douteuses. Pour cela, il faut s’attaquer aux réseaux de trafic d’antiquités qui existent entre l’Europe et la Syrie ou l’Irak, en temps de paix comme en temps de guerre. Selon Didier Viviers, la proposition par le Musée du Louvre d’accueillir certains objets venant des sites archéologiques ou musées syriens n’est pas une solution. A qui rendre les œuvres après le conflit ? Certaines ne reviennent jamais dans leur pays d’origine. Selon ce chercheur, il faudrait plutôt rendre essentiel ce patrimoine aux yeux des populations locales par l’éducation.
En Syrie, un enjeu éthique se pose sur l’implication des archéologues dans le pays. Pour Maurice Sartre, continuer à faire des fouilles en collaboration avec la Direction Générale des Antiquités qui est devenue un instrument entre les mains du pouvoir est une manière de soutenir le régime. Il invite ainsi à accueillir des archéologues syriens dans les universités françaises.
La protection ainsi que la destruction des sites archéologiques et des antiquités constituent des enjeux politiques, économiques et idéologiques aussi bien en temps de paix que de guerre. L’instrumentalisation, l’utilisation et le détournement politique de l’archéologie et de l’histoire par différents acteurs (Daesh, les régimes syriens et irakiens) invitent les chercheurs à se positionner politiquement et éthiquement pour ne pas y contribuer. Mais les solutions afin de protéger le patrimoine et de garantir la faisabilité des fouilles archéologiques ne doivent pas créer une relation de dépendance avec d’autres pays mais bien créer les conditions locales d’un attachement au patrimoine archéologique tout en luttant à l’international contre le trafic d’antiquités.
Lire également :
– Intervention de Daniel Rondeau prononcée lors du colloque sur la « mobilisation pour le patrimoine : Irak, Syrie et autres pays en conflit », le 6 mai 2015 à l’Unesco
– Entretien avec le Dr Mechtild Rössler, directrice de la Division du patrimoine et du Centre du patrimoine mondial à l’UNESCO – Les enjeux du patrimoine mondial
– Entretien avec Sophie Cluzan – Le patrimoine culturel syrien, « imbrication du passé et du présent »
– Entretien avec Cheikhmous Ali – Le patrimoine syrien en danger
– Patrimoine mondial de l’UNESCO : les sites du Moyen-Orient
– Comment l’histoire explique l’actualité d’Alep (1/3). Alep, ville pérenne dans l’Histoire
– Comment l’histoire explique l’actualité d’Alep (2/3). Quelles raisons historiques peuvent-elles expliquer que la ville soit un enjeu aujourd’hui ?
– Comment l’histoire explique l’actualité d’Alep (3/3). La destruction du patrimoine culturel de la ville et des monuments dans le conflit en Syrie depuis 2011 : zone ouest et zone est, un patrimoine contrasté
– Compte rendu de la table ronde du 7 juin 2014 organisée à l’Institut des Cultures d’islam, en partenariat avec l’association Ila Souria : « Patrimoine et constructions identitaires en Syrie »
– Le trafic d’antiquités au Moyen-Orient : du nettoyage culturel au financement du terrorisme international
– La protection internationale du patrimoine irakien sous les coups de l’État islamique
– Compte rendu de la rencontre organisée avec le Professeur Maamoun Abdulkarim, directeur général des antiquités et des musées de Syrie (DGAM), lors des Midis de l’iReMMO, le lundi 15 juin 2015 sur le thème « qu’advient-il du patrimoine en Syrie ? »
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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