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Dans le cadre de l’exposition « Et pourtant ils créent ! », l’Institut des Cultures d’Islam organise, en partenariat avec l’association Ila Souria, un cycle de conférences et tables rondes traitant du rapport de la Syrie avec l’art, et de l’impact qu’a eu la révolution de 2011 sur ce thème précis. Cette table ronde, intitulée, « Cultures émergentes et politique : Arts de l’image » est la première partie d’un thème choisi, les cultures émergentes. En présence d’Hala Al Abdalla, cinéaste syrienne, et de Maryam Samaan, artiste elle aussi syrienne, cette table ronde a eu pour but de montrer l’impact de la révolution syrienne sur la création artistique dans les arts visuels (vidéos, images, caricatures, films, créations plastiques, etc.)
Les deux intervenantes ont débuté cette table ronde sur leurs parcours personnels, mettant en exergue leurs liens particuliers avec la création artistique syrienne et leur suivi de la révolution de 2011. Maryam Samaan a suivi une formation en scénographie en Syrie, avant de venir en France, à Rennes, pour faire des études théâtrales et des beaux arts. De ce double enseignement, elle a souligné les différences de perception, d’évaluation et de considération universitaire. Son mémoire, intitulé « Murs d’images », est un travail sur la mise en scène des photos des images, voire même des objets. En rapport direct avec la révolution syrienne, son propos est de comprendre comment cette dernière a ouvert la création d’une multitude d’objets pour montrer une seule réalité. L’exemple le plus probant en est l’identité des objets, suite aux guerres chimiques : les masques prennent des formes différentes, pour dépeindre une même réalité. Hala Al Abdalla, cinéaste, n’a pas trop développé son parcours professionnel mais plus son appui aux jeunes artistes syriens.
Les deux intervenantes ont été unanimes sur un point : la révolution syrienne a libéré la création artistique, et a surtout permis de la diffuser hors des seules frontières syriennes. En effet, comme le souligne Hala Al Abdalla, avant la révolution, les images étaient « simplistes », comme si le régime considérait que le public visé ne pouvait pas penser par lui-même. Le régime, sans en être conscient, avait peur de l’image : la censure était le pain quotidien depuis 50 ans, que ce soit la censure directe ou l’auto-censure. Ainsi, les seules images auxquelles étaient réellement confrontés les Syriens avant cette révolution étaient les portraits de Bachar el-Assad. Toute leur vie, les Syriens ont en effet vécu avec ces portraits, devenus comme « normaux », ne s’apercevant plus de la présence quotidienne et incessante de cette image particulière. C’est à la banalisation de cette image que la jeunesse syrienne s’est en premier lieu attaquée, et les Syriens ont compris, avec l’arrachage des portraits et la destruction de la statue d’Assad, qu’il y avait une révolution. Cela a même, selon les propos d’Hala Al Abdalla, constitué le « moment le plus fort et le plus émouvant de la révolution ». Détruire une image lisse, unique et trop présente, pour en construire de nouvelles. Grâce à la révolution, les images prennent une dimension nouvelle, de même qu’un élargissement de leur terrain. Il s’est agi pour la jeunesse syrienne de résister avec l’image, de prendre le risque de prendre des images, et de les diffuser, pour raconter, derrière ce mur de silence, ce qui se passait. Pour Hala Al Abdalla, il y a eu une « soif incroyable, presque inhumaine » de cette jeunesse de toucher ce qu’ils voulaient, et ce, à travers l’image. Le régime de Bachar el-Assad a voulu « casser les bras de cette jeunesse qui brandissait son portable pour faire connaître la réalité », a montré dès le début de la révolution que les images ne devaient pas participer à la libération de cette jeunesse. Mais, la jeunesse a goûté ce rapport à la liberté par le biais de l’image, elle a compris l’importance et l’efficacité de ce biais particulier. Chaque Syrien a découvert qu’il avait le droit d’exister en tant qu’individu et citoyen, et aussi le droit de s’exprimer et de faire entendre sa propre voix (physiquement et métaphoriquement). En effet, les cris des manifestations sont des effets nouveaux : les Syriens découvrent qu’ils peuvent exprimer leurs revendications, les crier et les montrer.
Montrer et défendre des idées à travers l’image : voilà le nouveau crédo du peuple syrien. Il s’agit, au-delà de montrer, de diffuser, plus largement que sur le simple territoire syrien. Les deux intervenantes ont ici souligné le rôle important, voire essentiel, qu’ont joué pour cela les réseaux sociaux. En effet, média premier de la diffusion des événements pour la communauté internationale, les réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter, ont été d’un appui incontestable aux révolutionnaires syriens. La communauté internationale, par ce biais, découvre les effets de la révolution et de sa répression, d’une part, et le potentiel artistique et créatif du peuple syrien, d’autre part. Pourtant, les réseaux sociaux étant les seuls médias qui ont montré largement ces images (il y a en effet eu peu de diffusion sur les médias traditionnels), la diffusion en a été réduite. Pour les deux intervenantes en effet, seuls les personnes qui cherchent et qui veulent voir ont accès à ces images. Cela s’explique aussi selon elles par le fait que la profusion des images, le « bazar », en fait peut-être perdre le sens. Cette profusion a néanmoins été essentielle dans la nouvelle appréhension des images. Selon Maryam Samaan, elle a permis aux Syriens, mais aussi aux « spectateurs » de ces images, de faire un choix, premier pas pour elle dans la réinvention artistique syrienne.
Ce choix, on le retrouve également dans les thèmes mis en scène par les images. Toujours sous couvert de révolution, les Syriens ont découvert de nombreux photographes qui détaillent, en plus de la révolution, la vie de tous les jours en Syrie. Pourtant, les deux artistes syriennes soulignent des faiblesses de cette « renaissance artistique ». Selon elles en effet, il y a eu, et il y a encore une diffusion aveugle des images de la révolution : on ne sait ainsi ni le lieu, ni les protagonistes, etc. : la seule chose que l’on voit, c’est qu’on se trouve face à une image violente. Pour Maryam Samaan, il ne s’agit pas de mettre en lumière un seul moment de la violence, mais de bien comprendre la continuité de cette violence, signaler les répercussions de cette révolution en image. L’autre « faiblesse » de cette révolution en images est le focus pris en compte pour certaines photos par exemple. Maryam Samaan prend l’exemple de la photo « Le mangeur de cœur » qui a été mise en scène et mise en discours, comme si toute la révolution était pareille que sur cette seule photo.
Aujourd’hui, les artistes syriens sont un peu trop dans la révolution : il leur est difficile de sortir de ce sujet, de peur que cela passe pour un manquement à la révolution. Mais il y a aussi la pression internationale : montrer la révolution et ses conséquences, c’est également ce qu’on attend d’eux à l’extérieur.
Le débat suite aux interventions s’est orienté vers le passé et l’avenir de cette création artistique. Existait-il déjà une création artistique ou la révolution a-t-elle impulsé quelque chose de nouveau ? Les deux intervenantes sont précises à ce sujet : oui il existait une culture artistique forte en Syrie, et ce bien avant la révolution, mais la connaissance au grand public et leur appréhension ont changé avec le soulèvement de 2011. Avant la révolution, les artistes syriens appartiennent à une certaine élite, étudient dans des écoles d’art (rares mais prestigieuses), et leurs œuvres ont une diffusion limitée. Avec la révolution, tous les Syriens peuvent, à leur manière, créer : il y a un nouveau rapport à l’imagination que le régime cherche à réduire, il y a une découverte des œuvres anciennes, il y a un changement dans la manière de percevoir les images, grâce notamment aux nouvelles technologies.
La question qui se pose aujourd’hui est celle de l’aspect juridique de cette nouvelle profusion artistique : quelle préservation de ces images alors que la plupart sont diffusées sur les réseaux sociaux ? Quel droits d’auteur ?
Tout ce qui est fait aujourd’hui et depuis 2011, l’est dans le but de faire passer des informations, mais il convient de penser à l’avenir de ces images, diffusées en masse. Ne servent-elles qu’à montrer un moment précis qu’on ne peut préserver ? Il s’agit en fait de construire la mémoire, à travers ces images. Aujourd’hui pourtant, il y a une véritable perte de propriété des images pour ceux qui les ont produites. Par manque de moyens, ce sont des sociétés, en Turquie ou au Liban qui protègent ces images, ou tout du moins qui prétendent les conserver. Or, là aussi des choix sont faits, et tout cela n’est qu’une question de financements. La création artistique qui s’est fait jour avec la révolution syrienne est accaparée par des instances qui bafouent les droits d’auteur. Peut-on seulement parler de droits d’auteur ? Pour Hala Al Abdalla, au début de la révolution, « l’auteur voulait seulement rester vivant ». C’est cet aspect là que les deux artistes veulent souligner : oui, il conviendrait aujourd’hui que les artistes se professionnalisent pour pouvoir continuer et vivre de leurs créations, mais avant tout cela, ce qui les anime, c’est cette perception de l’art comme un moyen de contrer un régime qu’ils considèrent comme néfaste, tant pour eux, citoyens syriens, que pour la création artistique.
En conclusion, Hala Al Abdalla et Myriam Samaan tiennent toutes deux à souligner le fait que la révolution syrienne a permis de voir éclore une nouvelle génération d’artistes qui ont utilisé les images pour montrer et défendre leurs idées. Ces images précisément ont changé le regard, en Syrie, mais aussi en dehors des frontières, sur la manière dont est faite la guerre et dont elle est montrée. Pourtant aujourd’hui, l’on assiste à un essoufflement de cette création artistique, le problème étant que la non-professionnalisation de ces artistes leur fait abandonner l’art. Cultures émergentes, mais cultures éphémères ? La question reste encore aujourd’hui en suspens.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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