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Compte rendu de la table ronde du 7 juin 2014 organisée à l’Institut des Cultures d’islam, en partenariat avec l’association Ila Souria : « Patrimoine et constructions identitaires en Syrie »

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Sixtine de Thé
Publié le 19/06/2014 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 14 minutes

Conférence de Mohamed Taha, archéologue

En Syrie, on trouve des musulmans sunnites et chiites ; des chrétiens répartis en plusieurs confessions ; des Yazidis, religion non liée à l’islam ; des juifs. Notre identité culturelle comme Syrien représente-t-elle une identité sociale ou géographique ? C’est la première question. Représente-t-elle une identité nationale, ethnique ou religieuse ? C’est la deuxième question. Il est très difficile d’y répondre. En Syrie, toutes ces identités peuvent rentrer dans le cadre de l’identité culturelle. Cette identité a été créée après les accords Sykes-Picot, mais n’a pas tenu compte des considérations géographiques et ethniques. Les pouvoirs en place sur le pays de Cham, qu’ils soient politiques, économiques ou militaires ont tenté de reproduire cette identité culturelle. La force qui contrôle la Syrie impose sa langue, son idéologie, et nous pouvons voir très clairement ces indications dans le patrimoine historique en Syrie (on peut voir les traces des Grecs par exemple).

Le patrimoine culturel matériel syrien subit des actes de sabotage et de destruction pendant le conflit armé, sur toute la Syrie, par des bombardement, des pillages, des installations d’armes lourdes, par des occupations armées des deux camps, aussi bien du régime que de l’opposition. En outre, les situations de guerre sont propices aux voleurs, qui le sont généralement de père en fils, et qui volent des antiquités. Ainsi, beaucoup de sites ont été détruits ou endommagés par des bombardements, par l’artillerie, par l’aviation de l’armée du régime, par des barils d’explosifs utilisés par le régime de Assad. Les forces de Assad se sont concentrées dans les sites archéologiques et ont utilisé des missiles, lieux idéals pour en faire un terrain de bataille entre les deux camps. L’installation des armes et des véhicules lourds, protégés par des tranchées, a aussi causé de graves dommages aux sites. La plupart des grands centres anciens des villes ont fait ou font l’objet de combats et de bombardements. Presque tous les sites classés patrimoine mondial par l’Unesco ont été soit détruits soit endommagés. En outre, le pillage de ces sites archéologiques est devenu une source de revenus pour certains groupes combattants ou certains habitants soutenus par de riches trafiquants internationaux d’œuvres d’art. Ajoutez la destruction récente de quelques bâtiments et statues par l’EIIL qui tente de contrôler la Syrie et de diffuser son idéologie extrémiste, qui utilise les mêmes méthodes que les puissances militaires, à savoir l’utilisation du patrimoine pour servir l’idéologie. C’est une nouvelle menace assez préoccupante pour le patrimoine syrien car l’idéologie de ce groupe est basée sur la suppression de tout ce qui n’est pas lié à l’héritage islamique salafiste.

Ces risques réels qui menacent le patrimoine syrien nous font poser cette question : est-ce que l’identité culturelle syrienne est en danger ? Nous avons posé cette question ainsi que d’autres dans un questionnaire, auprès d’un échantillon de la population de Palmyre (20 personnes, car les gens ont eu peur de répondre, en raison de la présence des forces du régime dans la région de Palmyre). Les personnes qui ont répondu à ces questions ont entre 18 et 35 ans, et sont aussi bien des opposants que des personnes favorables au régime.
Question 1 : Comment voyez-vous la destruction du patrimoine syrien ? Question 2 : Qui est responsable de la destruction et du vandalisme de Palmyre ? Question 3 : Pensez-vous que votre identité culturelle est menacée ? Question 4 : Comment voyez-vous l’avenir du patrimoine ?
Pour la première question, 16 personnes ont répondu qu’il y a une relation de complémentarité entre le peuple et le patrimoine ; 3 personnes ont répondu qu’il n’y a pas de relation entre le peuple et le patrimoine ; une personne ne sait pas.
Question 2 : 11 personnes ont répondu que le régime est responsable de la destruction et du vandalisme de Palmyre ; 4 personnes estiment que l’opposition est responsable ; 5 personnes ne savent pas.
Question 3 : 19 personnes estiment que leur identité culturelle est menacée ; une personne a répondu non.
Question 4 : 15 personnes ont répondu c’est un avenir douloureux ; 5 personnes ne savent pas.

Cet échantillon ne peut pas être représentatif de l’impact psychologique de la destruction du patrimoine sur les habitants de la ville. Mais il donne cependant une indication de l’ampleur de la préoccupation concernant la disparition de ce patrimoine qui est la base de la présence de ces personnes dans ce lieu. Ainsi, si nous revenons sur l’histoire de la ville de Palmyre, nous retrouvons des cas de destruction du patrimoine qui ont eu des effets sur la population. Par exemple, au X ème siècle, un tremblement de terre dévastateur a frappé la ville de Palmyre, détruisant la plupart des bâtiments et le paysage archéologique, poussant les habitants à quitter la ville, qui est restée sans habitants pendant un siècle. Ces événements sont toujours dans la mémoire et appartiennent au patrimoine oral de la population. C’est pourquoi la jeunesse de Palmyre a lancé un cri de détresse pour la protection du patrimoine, lors d’un sit-in organisé le 28 octobre 2011, c’est-à-dire quelques mois après le début de la révolution, pacifique à ce moment là. Ils ont notamment lancé un appel à l’Unesco et aux organismes qui s’occupent des sites archéologiques pour essayer de protéger le patrimoine de Palmyre. Très vite, des hommes et des femmes ont tenté de sauver les trésors de leur ville, ont surveillé les sites archéologiques, et ont enregistré tout mouvement suspect vers l’exploration non légitime par les forces du régime ou les voleurs d’antiquité connus dans la région. Tout sabotage a été documenté et envoyé aux archéologues, aux associations en dehors de la Syrie afin de protéger les antiquités syriennes, et aux médias. D’autres ont posté des articles sur les réseaux sociaux pour démontrer la valeur du patrimoine de la Syrie et de la ville de Palmyre en particulier. Ces personnes, qui ne sont pas des archéologues mais sont des gens ordinaires ont ainsi mis en évidence la relation entre le patrimoine et le peuple.

En effet, le patrimoine culturel, s’il n’est pas simplement des pierres ou des fouilles archéologiques, est l’histoire des entités qui sont ciblées. Le rôle joué par ces habitants qui risquent leur vie contribue à la préservation du patrimoine syrien. Au contraire, les autorités, depuis plus de 50 ans, ont mis la population locale en marge de tout avantage économique, de tout investissement de ce patrimoine. En même temps, ce patrimoine a été sacrifié pour l’intérêt économique de gens de l’entourage du régime. On a vu cela à Palmyre, lors de la construction d’un hôtel, près de la source d’Arka qui signifie « l’origine de la vie ». Sans ces sources, il n’y aurait pas eu d’habitants. Lors de la construction de cet hôtel, la source a été touchée est s’est tarie. Le résultat en a été que les arbres auraient pu mourir. Le roi d’Espagne a donné 20 millions d’euros pour amener l’eau de l’Euphrate jusqu’à Palmyre.

Malgré tout cela, nous trouvons une merveilleuse attention chez les habitants de Palmyre et chez les habitants d’autres villes d’ailleurs. Cela donne raison d’espérer pour l’avenir de l’identité culturelle de la Syrie, l’identité semblable à son peuple, à savoir la diversité des formes d’unité. Pour terminer, Mohamed Taha cite que qu’a dit un grand théoricien de l’identité culturelle : on a l’identité de sa conscience et de sa mémoire, le plus remarquable dans l’identité culturelle n’est pas sa réalité mais son efficacité.

Conférence de Martin Makinson, archéologue et doctorant à l’université de Genève, « le patrimoine syrien et l’instrumentalisation du passé »

Martin Makinson souhaite rebondir sur les notions de patrimoine, de territoire et d’identité et parler de comment, avec l’histoire récente de la Syrie, en particulier avec le régime actuel, il y a eu instrumentalisation de ce patrimoine et de certains vestiges au détriment d’autres. Il pose la question des perspectives futures de ce patrimoine ou de ce qu’il en restera après la situation que connaît la Syrie actuellement.

Il y a quelques années, il a vu une expression qui lui a parue exacte pour le Liban, que l’on pourrait appliquer à la Syrie : « il s’agit d’un très vieux pays très jeune ». Très vieux par son histoire, par ses racines, par sa diversité culturelle qui plonge dans la préhistoire ; très jeune par ses institutions, son indépendance qui date du 17 avril 1946. Il y a eu un discours élaboré par tous les philosophes et historiens syriens et levantins sur la détermination d’une identité proprement syrienne. Ce discours date de l’époque de la Nahda. Un penseur en particulier, Boutros al-Bustani, a cherché à établir les traits de civilisation qui caractériseraient une Syrie immanente, éternelle, immuable, et ces trois adjectifs sont importants, car ils seront utilisés, instrumentalisés par le régime baasiste.

Le régime actuel date du coup d’état de Hafez al-Assad du 7 novembre 1970, et s’est approprié des références identitaires, des lieux de mémoire dans une stratégie de légitimation de son pouvoir et une certaine forme de dissimulation de son caractère communautaire. Martin Makinson ne dit pas que le régime syrien est exclusivement un régime alaouite comme on le dit trop souvent, mais certainement cette communauté est au cœur même de l’assise qu’a ce régime depuis 43 ans. Le régime actuel s’est appuyé sur trois piliers pour légitimer son discours et utiliser les vestiges du passé syrien pour se valoriser : une notion d’arabité ; l’islam laïcisé et désacralisé, qui devient purement une donnée culturelle qui alimente cette notion d’arabité ; une syrianité. Arabité et syrianité permettent au régime de s’inscrire dans un cadre territorial, de dresser des cartes de ce qui a été arabe depuis des temps immémoriaux.

Martin Makinson cite ici Stéphane Valter, maitre de conférence à l’université du Havre, qui a été à l’Ifpo à Damas, et qui explique dans son ouvrage La légitimation de la nature communautaire du pouvoir par le discours historique que « pour le régime, le rôle du vestige est de renforcer un discours sur le passé surtout lointain, antéislamique, en contribuant à son affirmation par rapport à un passé islamique plus proche et mieux documenté, mais potentiellement encombrant pour la légitimité du régime. Donc l’archéologie contribue dans ce sens à prouver l’ancienneté et l’immuabilité du cadre territorial syrien. Toutefois c’est bien dans le discours historique que se révèle de manière organisée des stratégies de représentation du passé et de construction subséquente du cadre territorial ». Le dernier pilier, la syrianité, a été alimenté par une idéologie qui est celle du parti social nationaliste syrien qui est né au Liban, et dont le théoricien principal a été Antoun Saadé. Ce parti, comme le parti Baas, a attiré nombre de minorités, chrétienne et alaouite. Le discours de ce parti est la recréation d’une syrianité qui sortirait du cadre purement de l’arabité, du cadre arabe. Ce parti est donc rival de celui qui est au pouvoir depuis les années 1960, c’est un parti qui dans les années 1950/1960 a été persécuté, et on connaît les exilés libanais au Liban de ce parti, dont le poète Adonis, et la nature violente des conflits entre ces deux partis. Beaucoup de notions idéologiques, de notions d’histoire ont été reprises par le parti Baas dans son discours sur l’identité, sur l’arabité immuable et éternelle. Martin Makinson précise que son propos n’est absolument pas de dire que la Syrie n’est pas un pays arabe, la Syrie n’a pas été marquée depuis plusieurs millénaires par une notion d’arabité et qui ne doit pas être une recréation contemporaine qui plonge les racines dans le passé, qui doit être une étude en soit, et qui ne doit pas être un placage idéologique tel que l’a fait le régime de Bachar al-Assad.

L’islam est utilisé d’une manière désacralisée, le parti Baas et le régime d’Assad utilisent l’islam simplement comme une manifestation culturelle du génie arabe et utilisent l’histoire millénaire de la Syrie comme une série de régénérescence de cette arabité. Il y a l’arabité qui plonge ses racines dans l’Age du Bronze et qui a une écriture. On ne parle pas de langue sémitique, c’est un terme qui est a proscrire dans le langage baasiste puisque c’est un terme qui renvoie peut-être à la Bible mais surtout à l’Occident et donc à la puissance mandataire qui a occupé la Syrie dans les années 1920 et 30. On voit l’histoire syrienne comme une série de régénérescence régulière. Une des régénérescences est la bataille du Yarmouk de 636 qui a permis à l’islam de se répandre en Syrie, et dans ce discours de légitimation du parti Baas, la dernière dégénérescence est celle du coup d’état du régime actuel en 1970 qui a conduit à l’emprisonnement des membres du Baas qui ne suivaient pas la lignée de Hafez al-Assad.

Ce discours sur l’histoire, s’agit-il d’un endoctrinement ou s’agit-il de propagande ? Il s’agirait d’endoctrinement si effectivement l’ensemble de la population et de la société civile y était perméable et le reproduisait dans son intégralité. Martin Makinson ne le pense pas. A son sens, la révolution a montré qu’il y avait une société civile dynamique en Syrie, qui avait son propre regard sur l’histoire, sur les événements passés et présents. Martin Makinson parlerait plus de faisceaux de propagande de la part d’un régime qu’il qualifie aussi de totalitaire dans le sens ou il cherche à dominer tous les pans de la société et tous les aspects de la vie sociale et politique. Ainsi, des trois piliers, l’arabité est le référentiel historique principal du régime des Assad. Cela a conduit à valoriser certaines cultures, certaines époques et certains récits au détriment d’autres.

Martin Makinson présente d’abord ce qui a été valorisé, ce qui a été déformé, ce qui a fait l’objet d’une distorsion, d’une transformation par le régime. Au préalable, il rappelle le rôle qui a été celui de l’historien, de l’archéologue pendant les 43 dernières années du régime de la famille Assad. Dans l’optique d’une démocratie ou de celle de la plupart des pays occidentaux, l’historien est celui qui analyse de façon critique les sources, l’histoire est quelque chose qui se réécrit en permanence avec un enrichissement des données. Il en est de même avec l’archéologie. Dans le cadre baasiste syrien, les historiens et les écrivains sont des fonctionnaires qui relaient un ensemble de valeurs promues par le régime, dans un cadre qui ne doit pas dépasser certaines limites.

Martin Makinson évoque ainsi une période totalement dévalorisée par le régime. En Syrie, il y a des vestiges de la préhistoire et du néolithique qui sont révélateurs de la place du pays en tant que premier lieu de sédentarisation au monde. La sédentarisation avant l’agriculture. Cela remonte à 10 000 ans. Il y a 40 ans de découvertes faites par des équipes syriennes et internationales, notamment sur le site de Mureybet sur l’Euphrate, un autre site dans la banlieue est de Damas appelé Tell Assouad, et surtout des vestiges conservés de façon fabuleuse, découverts lors de fouilles de sauvetage dans les années 1990 à Jerf el-Ahmar, où des maisons sont conservées sur 2,5 mètres, des plaquettes sur lesquelles sont inscrits ce que l’on peut appeler des pictogrammes (dessins d’aigles, de vautours, de serpents) qui remontent à plus de 11 000 ans. Comme il s’agit de vestiges découverts en général sur des sites qui sont peu impressionnants sur le plan architectural, ou dans des zones assez reculées de la Djézireh, du désert de Palmyre, du Hauran (où les Espagnols ont découvert récemment un village de cette époque là), le régime n’a pas instrumentalisé cette période alors qu’il aurait pu mettre en avant ce critère de sédentarisation, qui s’est déroulée en Syrie avant tout le reste du Moyen-Orient, voire de la planète. Autre période qui n’a pas été valorisée, celle des premiers villages dans lesquels l’on trouve les premiers essais d’élevage et d’agriculture.

En revanche, dès que l’on passe à l’histoire, aux périodes où l’écriture apparaît, on a un discours de réappropriation identitaire qui commence avec une arabisation de toutes les cultures sémitiques ou autres qui se sont développées dans la Syrie du III ème millénaire avant Jésus-Christ.
Martin Makinson présente ici quelques illustrations qui montrent le degré de coopération internationale qu’il y avait cependant dans les dernières trente années, coopération motivée aussi dans la construction de barrages et donc dans la destruction de sites archéologiques. Il évoque la ville de Nagar, peut-être la plus ancienne ville de Syrie, en 3500 avant JC, avec des maisons en briques crues sur un site qui fait plus de 100 hectares, à 4 km de la frontière irakienne, en pleine Djézireh, loin des circuits touristiques. Il y a les villes de Mari et Ebla. A Ebla, 17 000 tablettes ont été découvertes en 1974, qui ont manifesté, malheureusement à titre trop ténu car beaucoup de tablettes sont en sumérien, la présence d’une langue sémitique que l’on appelle l’éblaïte. Le nombre d’hôtel, de restaurant et d’institutions qui s’appellent Ebla montre en fait la fierté qu’ont les Syriens sur ce patrimoine du III ème millénaire avant JC (2400 avant JC), mais démontre également que c’est un site qui a beaucoup servi le régime et qui a permis d’inscrire l’arabité qui remonte dans un cadre avant l’islam.

Deuxième période où l’on considère que ce sont des Arabes qui dominent la Syrie, alors que c’est effectivement des peuples qui parlent une langue sémitique, qui ont des empires territoriaux et qui développent la ville de Damas : ce sont les Araméens, qui parlent une langue du groupe sémitique occidental, liée à l’arabe mais aussi à l’hébreu et au sud arabique. Les Araméens permettent également d’inscrire cette notion d’arabité éternelle, immuable (nos ancêtres les Arabes) dans le passé.

Les périodes classiques : on ne valorise pas ce syncrétisme qu’il y a eu entre cultures grecque et romaine. On légitimise ce qui est l’apport des Arabes à ces empires romain et hellénistique, à savoir des figures particulières : celle de Julia Domna qui appartient à une famille arabe de Homs ; celle de Philippe l’Arabe, arabe du Hauran, fils d’un soldat romain ; et évidemment la Jeanne d’Arc de Syrie, Zénobie, qui parlait le grec, le latin, et qui souhaitait récupérer au nom de son fils la couronne de l’Empire romain.

Quand on arrive à l’islam, à la suite de la bataille du Yarmouk qui permet aux armées sorties du Hedjaz, aux armées des généraux du prophète, on a une libération de la Syrie. Ce que le discours officiel ne met pas en avant, c’est que les Arabes des armées byzantines sont aussi composées d’Arabes chrétiens, appelés Ghassanides, et que les populations locales sont parties prenantes du conflit des deux côtés. Les populations locales sont essentiellement araméophones et pas seulement hellénophones, c’est l’administration byzantine qui emploie le grec. Araméens, Syriaques dont la langue est décrite par le régime comme une langue arabe et non sémitique.

On arrive finalement à la période omeyyade. Ce n’est pas tout le Moyen Âge islamique, ce n’est pas toute la période médiévale qui est glorifiée, c’est une période qui a duré 80 ans, la période omeyade, qui a laissé la grande mosquée de Damas, mais également des châteaux splendides localisés pour l’essentiel dans la steppe de Palmyre.

Au final, pour Martin Makinson, le régime a fait des choix exclusifs qui à son sens sont un discours caricatural qui n’a pas été repris par l’ensemble de la population, même si cette population est en majorité arabe et partagerait une notion d’arabité qui serait un peu plus ouverte et un peu plus citoyenne. Une autre période pour clore le chapitre qui n’est absolument pas valorisé, c’est une période beaucoup plus récente et qui a laissé des vestiges : la période ottomane. L’Empire ottoman n’est pas un empire exclusivement turc, exclusivement ethnique, mais ce que retient le discours du régime c’est le XIX ème siècle, le coup d’état des Jeunes Turcs, l’exclusivisme racial des Turcs du début du XX ème siècle qui conduit à exclure cette période du débat.

En conclusion, Martin Makinson rappelle que la Syrie est un Etat pluri-ethnique (dont 1,2 millions de Kurdes, la communauté assyrienne parlant une langue araméenne, les Yazidis), pluri-religieux. Dans le contexte de la révolution syrienne, Martin Makinson souligne avoir le parti pris de l’autodétermination du peuple syrien quant à ceux qui le gouverne, un parti pris qui veut établir une citoyenneté partagée par l’ensemble du peuple syrien. Il pense qu’un nouveau discours sur le patrimoine permettrait de recréer et de renforcer une notion de citoyenneté, de partage qui pourrait éviter la situation actuelle dans laquelle certaines personnes ne se reconnaissent pas dans ce patrimoine. Il pense que c’est important car la Syrie est un pays qui a été démembré par l’histoire et aux frontières floues, mais il existe une syrianité, une histoire partagée, un faisceau de valeurs partagées qu’il faudrait renforcer pour garder la Syrie dans son cadre d’unité territoriale et d’unité populaire.

Publié le 19/06/2014


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Normalienne, Sixtine de Thé étudie l’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et à l’Ecole du Louvre. Elle s’intéresse particulièrement aux interactions entre l’Orient et l’Occident et leurs conséquences sur la création artistique.


 


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