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Le vendredi 2 octobre s’est tenu au Sénat, au Palais du Luxembourg, le colloque « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient », organisé par l’iReMMO (Institut de Recherche et d’Etudes Méditerranée Moyen-Orient) et Orient XXI. Trois tables rondes se sont succédées au cours de la journée afin de débattre sur la place de la France dans la région moyen-orientale, « près de cinquante ans après la guerre de juin 1967 et l’inauguration par le général de Gaulle de ce que l’on a appelé ‘une politique arabe de la France’ » (1) .
Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne (Basse Normandie), vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, souligne, en guise d’introduction, la pertinence de la tenue de ce colloque au Sénat. En effet, dans la mesure où cette institution parlementaire est « consultée à retardement » et pratique par conséquent « une politique du fait accomplie », poser et débattre de cette question au sein d’une telle maison, est selon la sénatrice, non seulement « un besoin vital et substantiel » afin d’« éclairer » le travail de ses membres, un moyen dans un second temps, d’acquérir une « prise sur ce qui est du domaine réservé de l’Etat », mais également une possibilité de donner à la France « une seule et même voix ».
Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO et professeur des Universités, introduit la journée par trois remarques afin de mieux appréhender la question posée par le colloque. La première consiste à signaler que le terme de « crise » ne semble plus approprié pour décrire la situation du Moyen-Orient et plus précisément du Proche-Orient. Jean-Paul Chagnollaud opte pour le terme de « basculement historique ». Il illustre son choix par les propos d’Antonio Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres ». Cependant, ces monstres semblent être en fin de compte les créatures du passé et plus précisément de la « remise en question lente et incertaine de ce qui a été mis en place au lendemain de la Première Guerre mondiale », c’est-à-dire le produit de trois contradictions encore à l’oeuvre. La première consiste en la création, au lendemain de 1918, d’« Etats nations illusoires », à l’image de l’Irak qui n’a jamais généré une construction nationale citoyenne. La deuxième réside dans le fait que des nations ont été privées d’Etat, ou simplement contentées par la « perspective » de ce dernier. Enfin, la troisième contradiction demeure dans l’établissement de tensions profondes entre « citoyennetés et communautés », les acteurs occidentaux ayant appliqué le principe de divide et impere, en s’appuyant par exemple sur les minorités pour ancrer leur influence dans la région.
Dans l’ordre de gauche à droite : Michel Duclot, François Nicoullaud, Denis Sieffert, Yves Aubin de La Messuzière et Jean-Paul Chagnollaud
Crédits photo : Louise Plun
Le produit né de ces trois contradictions se révèle finalement être « un retour de l’histoire », et peut-être même une « revanche de l’histoire » (2). Cette revanche se traduit actuellement par le « déchirement des sociétés sur des bases confessionnelles », par des « projections sectaires » incarnées par Daesh, ou bien par l’épanouissement d’organisations totalitaires. Cette introduction permet de bien cerner les actuels « enjeux considérables » et par conséquent la complexité de la politique à mener. Selon Jean-Paul Chagnollaud, de « nouvelles formules politiques sont à inventer » pour résoudre les conflits, une « reconstruction » de la région est à imaginer et la dialectique du soldat et du diplomate est à régénérer. Enfin, au-delà de la simple symbolique que peut apporter le drapeau palestinien flottant à l’ONU, il faudra selon lui, mettre en marche la réalité, c’est-à-dire, la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Cette « nouvelle donne géopolitique contraint l’action de la France », d’autant plus que l’on observe actuellement que la dimension internationale en mouvement dans la région moyen-orientale n’est que le pâle reflet de la guerre froide. On comprend par là le retour de l’opposition entre des Etats-Unis tachés et une Russie ressurgissante. Jean-Paul Chagnollaud conclut que cette politique moyen-orientale n’est en aucun cas « étrangère » à la France. En effet, « il n’est pas possible d’empêcher ici sans intervenir là-bas ». Enfin, il s’agit également de défendre des valeurs françaises « parce que si là-bas elles sont piétinées, parce que si là-bas elles sont ignorées, un jour elles le seront aussi ici ». Pour conclure, il faut résister à opposer morale et politique, puisque cette opposition conduirait au « désastre politique et au naufrage moral ».
« La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient » est la question traitée tout au long du colloque via un traitement en terme de transversalité. Ainsi, les trois interrogations et thématiques menées sont : « Reconnaître, dialoguer ? », « Intervenir ? » et « Agir seule ? ».
« Reconnaître, dialoguer ? », un point sur lequel se sont penchés en premier, Denis Sieffert, directeur de la rédaction de Politis, Yves Aubin de La Messuzière, ancien ambassadeur de France, aujourd’hui président de la Mission laïque française, Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à Damas entre 2006 et 2009, conseiller diplomatique au cabinet du ministre de l’Intérieur entre 2009 et 2012 et ambassadeur de France à Berne entre 2012 et 2014, et François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran et spécialiste de la politique internationale de l’Iran et des questions nucléaires.
Denis Sieffert souligne tout d’abord que, si la France est aujourd’hui confrontée à un renouvellement de la réflexion sur sa politique moyen-orientale, cela est due au fait que son « paysage social, sociologique, politique et culturel est confronté à des réalités qui viennent du Moyen-Orient », à l’exemple du conflit syrien. A partir de ce constat, Denis Sieffert explique l’opposition entre deux « grilles de lecture » : celle de la géopolitique et celle de la réalité. Ce dernier pose ainsi la question suivante : peut-on faire la paix en Syrie, à Genève, à Moscou, à New York, sans les Syriens ? Non. Dès lors, il met en lumière la perversité résidant dans la seule approche géopolitique avant de dégager deux thématiques centrales. La première porte autour du terme de « terrorisme ». En effet, qu’est-ce-que cette catégorie signifie et dans quelle mesure son instrumentalisation, de la part de la Russie ou de la Syrie, colle-t-elle une étiquette irréversible sur l’entité désignée, une étiquette qui est synonyme d’interruption du dialogue, une étiquette que la France ne peut pas combattre et transgresser seule. Cette constatation mène à la deuxième thématique relevée par Denis Sieffert, qui est celle de l’autonomie de la France, celle de sa capacité de prise de décisions en terme de politique au Moyen-Orient.
Sur cette exposition de deux thématiques, Yves Aubin de La Messuzière rebondit, tout d’abord sur la question du conflit israélo-palestinien. Il souligne « l’antériorité » de ce conflit sur les autres, puis revient sur la tenue de l’assemblée générale de l’ONU et sur la levée du drapeau palestinien, et sur les deux faits majeurs qui s’y sont déroulés : tout d’abord l’annonce par le président palestinien Mahmoud Abbas que l’Autorité palestinienne ne continuera plus d’être liée par les accords d’Oslo et qu’Israël devrait assumer ses responsabilités en tant que puissance occupante. Ensuite le fait qu’aucune puissance n’ait mentionné la question israélo-palestinienne. Cette question pourtant considérée comme la « mère des conflits », a donc perdu sa nature de « centralité », alors même que celle-ci se trouve aujourd’hui teintée de nouvelles réalités et tragédies : la présence dans la bande de Gaza de l’acteur Organisation de l’Etat islamique, le problème des ressources en eau, le constat de la suffocation de la bande de Gaza. « S’installe depuis quelques années une forme de régression par rapport aux négociations de Camps David de 2001 ». Dès lors, on ne peut plus parler de « processus » de paix, mais de « récéssus ». La négociation s’est épuisée. Il faut donc penser à une nouvelle forme de résolution, tel est l’avis et l’ambition de la France. Alors que la paix est devenue « fiction », comment se définit la politique de la France vis-à-vis de cette question, la France, en tant que « puissance de paix », en tant que « puissance disant le droit », possède-t-elle encore cet « effet d’entrainement » qu’elle avait détenue lors du vote de la reconnaissance de la Palestine ?
Michel Duclos prend ensuite la parole sur la question syrienne et plus particulièrement sur cette « question lancinante » : doit-on parler avec Bachar al-Assad ? Afin d’y réponde, l’intervenant rappelle cinq facteurs auxquels les différents acteurs et la France en premier lieu, ne peuvent échapper. Tout d’abord, selon Michel Duclos, la position française vis-à-vis du gouvernement syrien, est à replacer dans une « ambiance » et dans un contexte circonstanciel général à l’échelle européenne, prônant la demande d’un départ du président syrien. Le deuxième facteur découle du jugement porté face à la situation, et qui consiste à dire que du départ d’Assad découlait la stabilité de la région ainsi que la réduction des menaces pour la France. Ce deuxième facteur est donc lié à la sécurité intérieure du pays français. En tant que troisième facteur, s’impose le bilan français de la situation. S’impose en effet le bilan de deux tentatives françaises de négociations qui ont échoué. « C’est avec ces expériences en tête que nos dirigeants approchent leurs homologues étrangers ». Le quatrième facteur prend en compte la lutte contre le terrorisme : le régime de Bachar al-Assad peut-il constituer un allié dans la lutte contre le terrorisme ? Michel Duclos souligne également la prise en compte de la question des réfugiés, puisque la majorité des réfugiés syriens fuit les massacres du président syrien et non l’avancée djihadiste. Enfin, le dernier facteur réside dans le défi suivant : ancrer la politique syrienne de la France dans le respect des fondamentaux qui sont les siens.
Pour conclure cette première table ronde, François Nicoullaud aborde un dossier vieux de 12 années : le dossier iranien et la question du nucléaire. Pourquoi 12 années pour parvenir à un accord ? En raison d’une profonde méfiance entre l’Iran et les pays occidentaux. En effet, « l’objet [politique] non identifié » que représentait la République islamiste au lendemain de 1979, instaure en France par exemple, une crainte qui va perdurer. De plus, la politique extérieure et étrangère iranienne dans les années qui suivirent, marquées par un anti-israélisme puissant et une utilisation systématique du terrorisme, confirmèrent cette position occidentale. Cette méfiance s’est également installée dans le sens inverse : de l’Iran envers les acteurs européens. C’est donc dans ce contexte de méfiance que se dessine la question nucléaire. Se pose par la suite la question « du bon format des négociations ». En effet, il s’agissait pour les puissances européennes d’inventer celui-ci, alors que les Etats-Unis n’entendaient aucunement s’inquiéter de ce sujet. Au lendemain du déblocage de la situation, il est possible de se demander quelle a été la politique française vis-à-vis de l’Iran au cours de ces années et quel a été le rôle de la France dans ce déblocage. François Nicoullaud distingue deux phases : la première a été la période « Chirac, Villepin », laissant place à la seconde à partir de 2007 : la période « Sarkozy, Kouchner, Juppé, Hollande, Fabius ». Après une période chiraquienne pendant laquelle le dossier iranien est saisi, sous Sarkozy, la France s’aligne sur la « ligne dure » tracée par Bush.
De gauche à droite : l’Amiral Edouard Guillaud, Claire Talon, Christian Jouret, Bertrand Badie, Justin Vaïsse
Crédits photo : Louise Plun
« Intervenir ? » La deuxième table ronde est présidée par Christian Jouret, ancien chef d’Unité Moyen-Orient, Golfe, Méditerranée au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne. Quatre intervenants participent à cette deuxième table ronde : Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris, contributeur de l’ouvrage Palestine : le jeu des puissants ; Claire Talon, ancienne correspondante du Monde au Caire et de Mediapart et responsable du Bureau Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) ; l’Amiral Édouard Guillaud, ancien chef d’état-major des armées, et ancien chef d’état-major du Président de la République ; Justin Vaïsse, directeur du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS).
Selon Bertrand Badie, « l’intervention est en diplomatie ce que serait une opération non maitrisée en chirurgie. L’intervention existe depuis longtemps mais la communauté internationale ne sait pas en faire usage sur les plans juridique politique et stratégique ». Dès lors, une intervention dans le contexte actuel serait selon Bertrand Badie, vouée à l’échec. Se pose ensuite la question de la nature de cette intervention : militaire, politique, médiatique, soutenue par une légalité internationale, puis de sa connotation négative ou positive. En effet, pendant la guerre froide, l’intervention était synonyme d’ingérence. Bertrand Badie explique qu’au cours des années, une « mutation a été amorcée » pour donner à l’intervention une nouvelle notion synonyme qui n’est autre que celle de la « responsabilité de protéger ». Ce faisant, le rôle de la diplomatie préventive est oublié. Le spécialiste poursuit en posant trois questions : qui doit intervenir, quand et pourquoi ? Selon Bertrand Gadie, l’intervention ne fait sens que si elle est promue par une impulsion multilatérale, mandatée par le Conseil de sécurité des Nations unis. A l’inverse, l’intervention unilatérale « de puissance » perd cette notion importante : « la réponse de tous à un défiant international ». De plus, de cette nature multinationale de l’intervention, dépend la rationalité et la logique du système international d’aujourd’hui. Se pose subséquemment la question du comment. Ici, Bertrand Badie met en lumière le nouveau sens de la guerre actuelle : elle ne trouve plus son origine dans la rivalité entre Etats puissants, mais dans le défaut « d’Etats et la décomposition de sociétés ». Dès lors, « l’instrument militaire est-il efficace face à la décomposition sociale et face à la souffrance ? » Quel sens donner à l’intervention ? Une instrumentalisation ou bien une régénérescence des acteurs locaux ? Selon lui, « la finalité politique n’existe plus ». Dès lors, la rationalité politique de l’intervention n’existe plus. Même « les néo-conservateurs avaient au moins la clarté de leur finalité », ce qui est loin d’être le cas du débat actuel concernant la Syrie ou le Moyen-Orient en général. Bertrand Badie termine par cette citation : « Nul ne peut raser la tête de quelqu’un en son absence ». En d’autres termes, l’intervention correspond à une « nouvelle technique de coiffure sur quelqu’un que l’on ne connait pas, que l’on ne voit pas et que l’on cherche à humilier. »
Claire Talon poursuit en abordant la question sous un angle différent : intervenir mais avec quels partenaires ? Comment choisir ses partenaires ? La France a-t-elle des partenaires au sein du Moyen-Orient ? Non, répond Claire Talon. De surcroit, se tromper de partenaire peut avoir des « coûts terribles pour les sociétés civiles arabes ». L’intervenante revient ensuite sur le mal fait aux sociétés civiles arabes qui constitueraient pourtant des interlocuteurs cohérents et légitimes. Elle soutient en effet l’idée que ces sociétés civiles constituent un nouvel acteur de la résolution du conflit moyen-oriental. Claire Talon poursuit sur la nécessité de prendre en compte dans la définition d’une intervention, les notions de droit de l’homme et de réalité humanitaire. Pour conclure, elle soutient que le principe de l’universalisme dont la France est la mère, doit constituer le pilier pour penser une intervention française.
L’Amiral Guillaud prend ensuite la parole en tant que « praticien des interventions ». Il rappelle en premier lieu quelques principes concernant les interventions. En effet, « dans un monde de sablier », avec un avant et un après, l’intervention « est un tout petit instant ». Oublier ceci à des conséquences, comme lors de l’après intervention américaine de 2003 : « une césure complète ». Deuxièmement, oublier de définir la finalité de l’intervention, en langage militaire « l’état final », conduit à l’échec. L’Amiral Guillaud poursuit en retraçant les différentes grilles de lectures présentes au Moyen-Orient : religieuse, ethnique, sociétale, géographique, politique (anciens empires) et celle des bédouins. La superposition de ces dernières empêche la nature symétrique et cohérente de toute intervention. L’Amiral enchaine sur la nécessité pour une intervention d’être couverte de la légalité, c’est-à-dire mandaté par le Conseil de Sécurité de l’ONU, mais également de prendre en compte la population locale. Ce dernier rebondit par conséquent sur la question aujourd’hui omniprésente concernant la Syrie : « une intervention purement aérienne peut-être être par elle même, un succès ? » Non, affirme t-il. Dès lors, quel relais au sol ? A cela, l’Amiral répond en rappelant que la prise en compte de la réalité du terrain reste la nécessité première.
Justin Vaïsse commence par nuancer la métaphore de la « chirurgie » exposée par Bertrand Badie, tout d’abord en soutenant que tout patient est différent, puis en argumentant qu’un patient malade non traité, risque la mort. Justin Vaïsse poursuit par une question : l’intervention par rapport à quoi ?, quelle serait aujourd’hui la situation si elle était restée vierge de toute intervention ? Il donne ainsi en exemple le cas de la Syrie où l’intervention n’a pas eu lieu et où le nombre de mort s’élève aujourd’hui à plus de 250 000. La complexité de la question posée par le colloque est donc vivement rappelée. Le « conséquentialisme » de Raymond Aron est également avancé en tant que preuve à l’appui : il faut juger selon les conséquences de toute intervention ou de toute non intervention. Justin Vaïsse conclut en rappelant qu’un dilemme se pose à ceux qui sont en capacité d’intervenir : un dilemme moral et un dilemme politique.
De gauche à droite : Isabelle Avran, Monique Chemillier-Gendreau, Agnès Levallois, Anis Nacrour
Crédits photo : Louise Plun
« Agir seule ? » est la question posée lors de la dernière table ronde, présidée par Agnès Levallois, journaliste et consultante. L’accompagnent Isabelle Avran, journaliste et historienne, spécialiste de l’histoire du Proche-Orient et du conflit israélo-palestinien ; Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite des universités ; Anis Nacrour, diplomate français, chef de la délégation de l’Union européenne en Syrie. La présidente introduit cette question en prenant deux exemples récents. Le premier est de nature diplomatique et concerne « la volonté de la France de promouvoir un projet de résolution à l’ONU, fixant les paramètres de la négociation entre Israéliens et Palestiniens, une volonté comprenant un fait nouveau : ajouter une date butoir de 18 mois ». Finalement, Paris choisit la solution du « pragmatisme », se traduisant par l’établissement d’un déjà vu : la mise en place d’une groupe de contact. Le deuxième est de nature militaire : la France peut-elle agir seule ?
Selon Monique Chemillier-Gendreau, la raison d’être de l’ONU, c’est-à-dire le maintien de la paix, a échoué. Elle joue par la suite un rôle se rapprochant de celui d’avocate de la paix en exposant des paradoxes extrêmes : comment universaliser la démocratie par la guerre ? Comment prôner la paix en désignant aux économies nationales la voie de l’industrie militaire ? Comment remplacer un dictateur autrement que par le chaos ? La question même d’« agir seule » porte intrinsèquement un paradoxe : agir seule veut dire agir dans un intérêt national et donc individuel, ainsi le reflète l’argument de Monsieur Le Drian qui s’appuie sur « la légitime défense ». Dès lors, la seule solution possible selon l’intervenante est de ressourcer et de réinventer les mécanismes de paix basés sur la sécurité collective, conçus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Monique Chemillier-Gendreau énonce les principes de ces mécanismes : la légitime défense relayée au plus vite par l’intervention de l’ONU, la qualification par le Conseil de sécurité de l’ONU de la nature du conflit, puis le choix de l’action appropriée mise en oeuvre par une armée onusienne. Or, le texte a été manipulé et s’est par conséquent désintégré. Le troisième principe consistait en la réglementation des armements avec le minimum des ressources. Renouveler ces mécanismes, telle devrait être l’action de la France, en corrigeant les carences et les travers de ces derniers. Renoncer à l’intérêt personnel pour se mettre au service du collectif : voici le devoir de la France, dans une cadre européen peut-être, selon Monique Chemillier-Gendreau.
Isabelle Avran pour sa part s’exprime sur la situation de la Palestine.
La parole est donnée, pour conclure cette troisième et dernière table ronde, à Anis Nacrour. Comment et pourquoi la France peut-elle ou ne peut-elle pas agir en Syrie ? Il commence son intervention en rappelant que le « temps long », qui serait malgré tout nécessaire à la résolution des conflits, est quelque chose que le contexte actuel de crise n’offre plus. Le diplomate - toujours en fonction - insiste sur le fait que la France ne peut intervenir seule, elle ne le peut seulement dans le cadre d’une action commune européenne ou onusienne. Cependant, la France a un rôle a jouer puisqu’elle a un poids et qu’elle incarne une parole entendue, forte d’un certain écho. « Comment peut-on faire collectivement ? » voilà la véritable question posée par la France. Pour conclure Anis Nacrour souligne son regret « de prendre l’angle d’attaque de tous les bouleversements qui se passent dans la région, par la crise syrienne, et qu’on le prenne parce que l’on a pris conscience de l’impact de la crise des réfugiés ».
De gauche à droite : Christian Jouret, Agnès Levallois, Hubert Védrine et Jean-Paul Chagnollaud
Crédits photo : Louise Plun
Afin de conclure ce colloque, Jean-Paul Chagnollaud, Christian Jouret et Agnès Levallois sont accompagnés d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Celui-ci vient ajouter ses réflexions, cependant teintées de profondes désillusions par rapport à la survie d’une politique française au Moyen-Orient. Selon Hubert Védrine, la précédente présidence française a rompu la continuité d’une politique étrangère française active dans le monde arabe. Sous la présidence actuelle, elle peine à revivre, au vue de la renaissance active de la politique étrangère russe, et au vue de l’entremêlement d’une multitude d’intérêt, propres à une multitude d’acteurs. Elle peine à se réaffirmer également puisque ce que la France a connu jusqu’ici, ce qu’elle avait elle même impulsée, est totalement en cours de désintégration, on comprend par là l’ordre mis en place au lendemain de la Première Guerre mondiale, à l’image des accords Sykes-Picot. La politique française parait aujourd’hui « tâtonnante » et « pas toujours très claire ». Mais ne peut-on pas en dire autant de la politique étrangère d’autres puissances ? En effet, la politique française et européenne dont le pilier était la demande de départ d’Assad a échoué. L’intervention française contre l’Etat islamique limitée à l’Irak a finalement démontré une incohérence flagrante et s’est élargie à la Syrie. L’hésitation règne. Cette isolation mènera-t-elle à une politique d’intervention totale, ou au contraire à une politique d’isolationnisme ? La menace terroriste motivera-t-elle à elle seule la France pour rester présente au Moyen-Orient ? Cependant, la question qui demeure est encore est toujours la suivante : que faire après ? La reconstruction de la Syrie et de l’Irak est-elle encore possible ? Hubert Védrine conclut par cette remarque : « le plus probable est que l’on restera entre les deux » encore une fois, puisque la reconstruction d’une politique arabe française s’annonce être « un long chemin […] laborieux ».
(1) Dossier de presse du Colloque du 2 octobre au Sénat « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? »
(2) Pierre Jean Luizard, Le Piège de Daesh ou la revanche de l’Histoire. La Découverte, 2015.
Louise Plun
Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.
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