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Whitered Green (Akhdar yabes) de l’Égyptien Mohammed Hammad fait le tour des festivals de cinéma dans le monde entier. En France, il fut projeté à l’Institut du monde arabe à Paris en juin 2017, à Marseille dans le cadre des Rencontres cinématographiques d’AFLAM, après avoir remporté le Grand Prix du Festival de Film Arabe de Fameck, le 15 octobre 2017. Mais il fut avant tout remarqué dans les plus grands festivals internationaux, dans lesquels il a déjà remporté de nombreux prix : après le festival international de Dubaï, le film fut sélectionné au très prestigieux festival de Locarno, l’été dernier. Alors que le film poursuit sa course, nous nous proposons de revenir sur ce film émotionnellement puissant et courageux.
Le climat, au Caire, est sec. Les cactus blanchissent sous l’air poussiéreux d’une saison qui semble être l’automne. L’action doit se situer en banlieue de l’immense capitale égyptienne ; rien, de l’agitation qui anime habituellement les images que nous connaissons de cette ville tentaculaire de vingt-deux millions d’habitants, ne semble pouvoir animer du moindre mouvement les rues quasiment désertes des quartiers dans lesquels évolue Iman, le personnage principal du film de Mohammed Hammad. Cette dévitalisation de la ville est renforcée par le choix de longs plans fixes, silencieux et hantés par une absence qui dira rapidement son nom – et dont découle de nombreuses implications qui heurtent la vie des femmes dans l’Égypte d’aujourd’hui. Dans la pesanteur qui habite les images de ce film se trouve figurée toute l’inertie d’une société qui attache sans remords un carcan étouffant au cou de ses femmes.
Iman vit seule avec sa sœur Noha, jeune étudiante dont elle doit s’occuper depuis la mort de leurs parents. Elles sont issues d’une famille de classe moyenne, conservative et pratiquante. Iman, particulièrement, apparaît comme un personnage confiné au creux d’un univers dicté par les traditions, ne tentant simplement de se définir qu’en regard de ce qu’impose le strict chemin du normatif borné par les codes sociaux. La situation initiale, pourtant, sort déjà le destin de ces deux jeunes femmes des sentiers battus : même orphelines, il est rare, en Égypte, que deux femmes vivent seules comme vivent, isolées dans leur appartement, Iman et Noha. Toutes les souffrances liées à la violence quotidienne du patriarcat se trouvent ainsi dans cet espace démultipliées par l’absence même de l’homme, du père.
Deux histoires évoluent en parallèle, dans une attente lourde et inquiétante qui pèse sur la relation nouée entre les deux sœurs. Iman, vendeuse de pâtisseries dans une boutique qu’elle s’épuise à tenter de faire fonctionner, doit convaincre l’un de ses oncles de venir personnifier la présence du défunt père lors de la rencontre qui, selon la tradition, réunira pour la première fois sa famille à celle de l’homme qui demande la main de sa sœur. Parallèlement aux préparatifs de ce cérémonial, Iman se rend à l’hôpital pour se faire diagnostiquer les causes d’un retard de règles qui l’inquiète. Angoissée par l’attente des résultats médicaux et confrontée à la violence d’une situation précaire tant sur le plan matériel qu’humain, rares sont dans sa vie les moments de beauté et de simplicité. Le rose brillant de la robe destinée aux fiançailles de sa sœur, et qu’Iman enfile en secret, perce avec d’autant plus de luminosité un univers en demi-teinte qu’il souligne aussi, en épousant ses courbes féminines, toute la mélancolie de cette femme solitaire étouffée par le devoir.
L’image de Mohammed Hammad parle lorsqu’Iman reste sans voix. Certains détails sont mis en avant, construisant pour le spectateur la possibilité d’une profonde empathie pour ce personnage habité par l’angoisse du diagnostic médical et de sa solitude prochaine. Lorsque le cinéaste s’attarde, en gros plan, sur les vestiges d’une serviette hygiénique usagée gisant négligemment sur le sol de la salle de bain, il évoque tant la construction prochaine d’une famille par sa sœur que l’inquiétant présage qui plane au-dessus d’Iman depuis quelques semaines. La résolution est à peine suggérée, mais le discours, puissant par sa subtilité, dévoile sans insister les grands tabous de l’Égypte contemporaine.
La rupture s’impose par la force des choses, contre la volonté et malgré les efforts de cette femme solide, qui s’évertue à rétablir une certaine normalité dans ces vies abîmées. Face au choc d’une réalité inattendue et violente, l’attitude d’Iman se transforme. Les traditions doivent être contournées, et les tabous brisés, pour continuer à vivre. Le mariage de Noha ne peut être rendu possible que par l’acceptation de l’absence du père. L’avenir d’Iman, renvoyé à la marge d’une société qui n’attend d’une femme que l’exécution de son rôle au sein de la hiérarchie familiale, doit, lui aussi, être reconsidéré. Au cours d’une scène d’un courage magnifique, Mohammed Hammad matérialise audacieusement l’abandon des traditions, et lui donne même une couleur, le rouge – un rouge qui tranche avec le vert délavé du titre et des cactus rugueux qui ouvraient la première séquence du film.
Whitered Green est le premier long-métrage de Mohammed Hammad, produit en Égypte de façon intégralement indépendante. Il réalisa auparavant plusieurs courts-métrages, eux aussi sélectionnés et récompensés dans de nombreux festivals internationaux. Parmi eux, Central (2008) et Pale Red (2010) reçurent un accueil particulièrement chaleureux.
Voir la bande-annonce : https://vimeo.com/203662829
Égypte, 2016, 72 min
Réalisation, scénario : Mohammed Hammad, photographie : Mohammed El Sharqawi, montage : Mohammed El Sharqawi, Mohemmed Hammad, producteurs : Mohammed Hammad, Mohammed El Sharqawi, Khouloud Sad, coproducteur : Mohamed Hefzy, production : MAD Solutions (Égypte), Film Clinic-Indie Film Distribution.
Vente à l’internationale : MAD solutions (Le Caire)
Distribution : Hiba Ali, Asmaa Fawzy, Ahmed Al Aidy, Mohammed El Hajj, Mohammed Eissa, Mohammed Mokhtar, Jhone Ikram Hanna, Ahmed Hammad, Samia Hammad, Tamer Abdul Hamid , Ikram Hanna
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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