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Compte-rendu du numéro de juin 2013 de Confluences Méditerranée « Villes arabes : conflits et protestations », L’Harmattan (2/2)

Par Cosima Flateau
Publié le 02/08/2013 • modifié le 26/03/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Lire la partie 1

Cyril Roussel s’intéresse à la ville de Jeramana, en Syrie, qui lui sert de laboratoire pour analyser le conflit syrien en cours. Cette ville druzo-chrétienne, par les modifications que subit le tissu urbain, de la fragmentation à la constitution d’une ligne de front, illustre le choix difficile auquel sont confrontés un certain nombre de villes syriennes : soutenir les rebelles ou refuser de leur apporter un soutien logistique, et donc accepter d’être des protégés du régime ? Cette ville de 150 000 habitants, située au Sud-Est de Damas, était à l’époque ottomane un village druze, qui a continué par la suite de recevoir des immigrants druzes en provenance des montagnes, et qui est devenu un point de regroupement druze à proximité de la capitale. A la minorité druze se sont adjointes, dans les années 1980 et 1990, des familles chrétiennes de Damas, qui n’avaient plus les moyens d’y vivre, et souhaitaient habiter dans une atmosphère plus libre. La ville est également devenue un pôle d’accueil des Irakiens de confession chrétienne. A l’échelle de la ville, cet afflux de populations minoritaires s’est traduite par une fragmentation, où les quartiers se différencient par leur mode de vie et leur identité, produisant des discontinuités socio-spatiales. La guerre civile a transformé ces lignes de fracture en lignes de front. La majeure partie de la population druze, par crainte de voir s’installer en Syrie un islam rigoriste, a fait le choix de soutenir l’armée syrienne. La ville a été entièrement bouclée par les druzes à partir de décembre 2012. Mais elle constitue un point stratégique pour la conquête de la capitale, réalisée à partir de villes de la Ghouta à majorité sunnites et favorables à l’opposition. Pour la ville de Jeramana, choisir entre le soutien à une rébellion qui semble défendre un islam trop radical et un pouvoir oppressif, est délicat.

Samuel Poisson choisit ensuite de s’intéresser à des mobilisations qui pourraient sembler anecdotiques et sans réelle portée, mais qui lui servent à analyser la société égyptienne. Il s’agit des mobilisations des environnementalistes au Caire. Contrairement à une idée reçue qui voudrait que l’écologie – et, plus généralement, la « conscience environnementale » - soit le privilège des sociétés riches et développées, l’auteur soutient que l’on trouve des environnementalistes chez les pauvres. Certes, parmi les préoccupations des environnementalistes, on trouve souvent des intérêts liés à l’activité touristique, l’un des moteurs de l’économie égyptienne, en raison des désastres passés ou en cours (détérioration des fonds de la Mer rouge, préservation des milieux désertiques…) Mais il y a aussi un certain nombre d’activités pragmatiques, qui répondent à des besoins immédiats d’une plus grande propreté, de règles sanitaires élémentaires à respecter dans cette ville gigantesque. Ceux qui se mobilisent en faveur de l’environnement sont souvent des urbains membres de la classe moyenne, avec une importante population étudiante pour soutenir les initiatives, alors que les compétences professionnelles sont apportées par la génération du dessus. Ces défenseurs de l’environnement ne sont pas des militants professionnels, ils ne sont pas, pour la plupart, politisés. Leurs moyens d’actions sont pacifiques (campagnes d’information…). Certains étrangers – ou Egyptiens y ayant longtemps séjourné – s’impliquent également dans la défense de l’environnement, mais reconnaissent que les moyens importés sont souvent peu efficaces.

Au Maroc, la ville d’Essaouira est le théâtre d’une marginalisation d’un de ses quartiers : cette évolution urbaine sert pour Ouafa Messous de révélateur de la spécificité du printemps arabe marocain. Cette petite ville, fondée au XVIIIe siècle, a de longue date été marginalisée économiquement. Sa marginalité ne date pas. Le quartier du Mellah (toponyme qui indique traditionnellement le quartier juif de la ville marocaine) a servi au XIXe d’accueil pour plusieurs vagues de migrants de différentes appartenances ethniques. La création de l’Etat d’Israël, en 1948, entraîne le départ de presque la moitié de la population de la ville, ce qui met à mal son économie, qui avait réussi à se maintenir tant bien que mal sous le protectorat français. La marginalisation du quartier s’accentue : dépeuplé, il n’a plus d’autre vocation que religieuse et n’est pas intégré au reste de la ville. Dans les années 1990, des inondations abîment considérablement les constructions les plus fragiles, et les familles qui en sont victimes ne sont pas relogées. Malgré cela, elles n’émettent pas de revendications politiques ou sociales pour défendre leurs droits. En 2011, cependant, au moment du Printemps arabe, parmi les multiples revendications, se trouve celle du relogement des personnes du Mellah, qui veut s’appuyer sur une médiatisation internationale. Aujourd’hui, le quartier est néanmoins menacé de ruine et totalement délaissé, dans les parties publiques, à la fois par les autorités et par les habitants. La marginalité historique de ce quartier, à la fois économique et sociale, s’est trouvée nourrie au cours des décennies.

En conclusion, Philippe Droz-Vincent résume les enjeux de pouvoir qui se sont manifestés dans les villes arabes à l’occasion des révoltes de 2011. Il rappelle que la ville est le lieu où l’autoritarisme des régimes politiques s’applique de manière particulièrement forte. Mais elle est aussi le lieu de la fermentation contestataire, et donc le territoire où se jouent les rapports entre les Etats et les sociétés. La plupart des régimes, du Maroc à la Jordanie, se caractérisaient, à des degrés différents, par ce qui a été ressenti par la population comme une indignité dans tous les domaines. Mais surtout, la caractéristique essentielle de cet autoritarisme, selon l’auteur, était le contrôle policier. Plus que le fonctionnement du système autoritaire dans les hautes sphères du pouvoir politique ou économique, c’est au niveau local que l’autoritarisme s’incarne dans la répression et la surveillance quotidienne. Les études menées au niveau urbain permettent de saisir la brutalisation des sociétés et la logique sécuritaire, ainsi que le contrôle des instances administratives à des fins politiques. Les révolutions du Printemps arabes peuvent donc être lues comme une reprise du contrôle de l’espace public par la population, contre les forces policières aux ordres d’un gouvernement autoritaire. Les mobilisations de 2011 se sont nourries de deux phénomènes à l’œuvre depuis plusieurs décennies : le retrait de l’Etat et l’abandon des sociétés depuis les années 1990, et l’activité de ces sociétés qui a perduré, durant cette période, malgré un manque d’organisation, jusqu’à trouver certains éléments de structuration en 2011 (entraide au niveau local en particulier, au sein de la famille ou du quartier). L’autre élément qui favorise la mobilisation en milieu urbain est simplement l’effet de nombre (comme ont pu en témoigner les rassemblements sur les places recréant un espace public, là où la ville avait été muselée). Cependant, la plupart des mobilisations entendent rester à l’échelle locale, abhorrent la politique, tandis que les mouvements politiques qui ont émergé de ces révolutions (Frères musulmans, salafistes) peinent à répondre aux aspirations de ces sociétés. Une vie publique urbaine est donc encore à inventer.

Les derniers articles élargissent les enjeux des révolutions arabes à travers l’analyse de l’islamisme, en ne se limitant pas au monde arabe.
Haoues Seniguer réfute l’assimilation hâtive de l’islamisme, des violences politiques et du terrorisme. Prenant appui sur la rhétorique à l’œuvre dans la guerre menée par la France au Mali en 2013, il effectue un rapprochement avec la phraséologie en vogue sous l’administration Bush, à savoir la guerre globale contre le terrorisme. L’auteur définit l’islamisme comme « un mouvement social d’acteurs (islamistes) consistant à puiser dans les ressources symboliques de l’islam, les moyens de construire un Etat et une société alternatifs au modèle occidental, en appliquant en public et en privé les dogmes religieux ». Mais il existe ensuite de multiples tendances et nuances, des légitimistes aux partisans du Jihad. Quant à la notion de terrorisme, elle naît au XVIIIe siècle, mais son utilisation est également très controversée, car elle a servi à désigner aussi bien le FLN algérien que la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Il serait préférable de substituer à cette appellation la notion de « violence totale », et d’éviter les assimilations hâtives entre islamisme et terrorisme. Etudiant les différents mouvements impliqués dans la guerre du Mali (Aqmi, Ansar Eddine, Mujao…), il revient sur les divergences doctrinales et stratégiques qui opposent les uns aux autres, même si tous mettent en avant l’islam, à des degrés divers. Les véritables ressorts de la violence politique au Mali sont moins à chercher dans l’islamisme radical que dans l’affrontement pour les ressources, les fragilités des Etats, le mal-développement et la compétition économique au niveau mondial.

Les trois derniers articles s’attachent à la crise malienne, dont les retentissements concernent le pourtour méditerranéen et non seulement la zone sahélienne. Jacques Fontaine revient sur les caractéristiques du Mali : par sa géographie, le pays appartient au Sahel, espace compris entre la ligne des 200 mm et des 600 mm d’eau par an, et se caractérise, comme un certain nombre de ses voisins, par une croissance démographique importante et une économie sinistrée. Pour l’auteur, les raisons de la crise malienne de 2012 sont à la fois internes et externes : la décomposition du pouvoir de l’Etat et l’irrédentisme touareg se conjuguent avec l’installation de groupes islamistes dans le nord du pays, à la faveur de la guerre d’Algérie dans les années 1990. Un 2e article voit dans la crise au Mali le révélateur de la crise du système politique algérien : le refus de l’Algérie d’aider l’Etat malien face à la descente des islamistes du nord du pays s’explique par les divisions internes au pays. Le pouvoir civil n’y a aucun pouvoir réel, qui est détenu par les militaires. Mais même au sein de l’armée, des divisions existent entre des appareils concurrents. La Direction des Renseignements et de la Sécurité est toute-puissante, et s’oppose à l’intervention au Mali. L’Etat-major, quant à lui, a probablement autorisé les Français à survoler le territoire algérien. La DRS tient à faire de la question islamiste sa chasse-gardée et compte régler le problème avec ses méthodes, refusant que l’armée régulière puisse y trouver du succès. Le dernier article du dossier revient enfin sur le conflit opposant, au Mali, les dynasties maraboutiques détenant le pouvoir par des liens clientélistes, et les filières djihadistes du nord du pays qui ont remis en cause leur pouvoir et les ont conduites à devoir faire appel à l’ancien colonisateur pour repousser les islamistes du nord.

Publié le 02/08/2013


Agrégée d’histoire, élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, les recherches doctorales de Cosima Flateau portent sur la session du sandjak d’Alexandrette à la Turquie (1920-1950), après un master sur la construction de la frontière nord de la Syrie sous le mandat français (1920-1936).


 


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