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Crise des otages américains en Iran (4 novembre 1979-20 janvier 1981)

Par Clément Guillemot
Publié le 13/08/2012 • modifié le 06/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Ils exigent son extradition en Iran pour répondre des crimes commis durant ses 38 ans de pouvoir. Alors qu’au départ, les Américains estimaient que la prise d’otage était un « interlude excitant [1] », comme le rapporte Deborah Holmes, la crise va durer 444 jours. Par cette crise, une lutte idéologique est à l’œuvre. Le soutien de l’ayatollah Khomeini à l’occupation de l’ambassade et à la prise d’otage se comprend comme « l’échec du grand Satan (les Etats-Unis) face à la détermination révolutionnaire [2] », pour reprendre Nouchine Yavari-d’Hellencourt. Pour le président américain Carter, la libération des otages doit se faire sans livrer le Shah [3] aux autorités révolutionnaires iraniennes et sans permettre l’examen critique de la politique américaine en Iran depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire sur le soutien américain à la politique du Shah.

Les enjeux iraniens et américains de la prise d’otage

En Iran, l’enthousiasme révolutionnaire qui était retombé semble ravivé par cette prise d’otage. En effet, pour David Farber, pendant cette période post-révolutionnaire, l’Iran se trouve dans « un état de chaos révolutionnaire ou le pouvoir n’était pas encore sécurisé [4] ». C’est donc autour de l’affaire des otages que s’organise la lutte entre radicaux et modérés, religieux et laïcs, donc entre le conseil de la Révolution [5] et le gouvernement. Alors que les modérés, tels que le Premier ministre Medhi Bazargan et le ministre des Affaires étrangères Ibrahim Yazdi, étaient opposés à la prise d’otage, ils se résignent face à la pression des radicaux. Ainsi, le radical ayatollah Behesti, membre du conseil de la Révolution, met en évidence la nécessité d’épurer l’administration des modérés. L’argument principal étant les documents découverts à l’Ambassade américaine justifiant des liens entre des Iraniens modérés et les Etats-Unis. La lutte feutrée entre le gouvernement modéré de Téhéran et le conseil de la révolution à Qom prend fin avec la résolution de la crise. Le pouvoir du clergé radical, dorénavant sans partage, débute le 21 juin 1981 avec la destitution du président modéré de la République islamique, Bani Sadr.

Au niveau géopolitique, le soutien de l’ayatollah Khomeini et du Conseil de la révolution à la prise d’otage se comprend dans la volonté des radicaux d’« électrifier le peuple iranien en mobilisant son soutien pour un gouvernement révolutionnaire islamique intransigeant qui ne craint, ni ne satisfait, les intérêts occidentaux [6] » explique David Farber. En effet, la prise d’otage permet de mettre en évidence que le pouvoir iranien provient de Dieu et non du gouvernement américain. La forte critique de l’impérialisme occidental sert de pilier unificateur et s’accentue lorsqu’un plan américain visant à la déstabilisation de l’Iran est découvert dans les documents trouvés dans l’ambassade. L’ayatollah Khomeini explique : « le grand Satan, c’est l’Amérique… Le centre que nos jeunes ont pris était un centre d’espionnage et de complots [7] ». En effet, selon Bhezad Nabavi, responsable iranien lors des négociations qui mettent fin à la crise, « la prise d’otages du nid d’espions avait comme signification symbolique de démontrer la faiblesse des Etats-Unis et de dévoiler au monde entier leur vulnérabilité en envoyant des espions à la place des diplomates [8] ». Cette crise permet ainsi à l’Iran de faire plier les Etats-Unis et de leur « faire payer » leur soutien au régime du Shah. Elle a également pour conséquence d’isoler diplomatique le pays.

Pour leur part, les Etats-Unis comprennent tout d’abord difficilement l’insistance iranienne à mettre en évidence des actions passées et selon eux dénuées de pertinence. De plus, le président Carter ne souhaitait pas que la crise mette en lumière le soutien de la Maison blanche au régime du shah d’Iran. C’est ainsi que « l’incompréhension est totale entre le peuple américain agressé et le peuple iranien persuadé de la justesse de sa cause [9] » analyse Nouchine Yavari-d’Hellencourt. Ce conflit politique est en outre vécu comme une humiliation, les Américains ayant du se soumettre aux conditions iraniennes. La crise a également pour conséquence la rupture des relations diplomatiques et la fermeture de l’ambassade américaine en Iran. Enfin, sur le plan énergétique, les importations de pétrole en provenance d’Iran cessent.

Le déroulement de la crise

Le 4 novembre 1979, le personnel de l’ambassade américaine est pris en otage. Le 14 novembre, le président Carter refuse l’extradition du shah d’Iran et donne l’ordre de geler tous les avoirs officiels iraniens dans les banques américaines. Le 29 novembre, trois otages sont relâchés. Sur le plan international, la Cour internationale de justice de la Haye estime que l’Iran a agi en violation de « l’obligation internationale de protéger les diplomates américains », tandis qu’un débat s’ouvre au Conseil de sécurité des Nations-Unis. Malgré les premières négociations, le département d’Etat américain expulse 183 diplomates iraniens le 12 décembre 1979 et le conseil de la Révolution ordonne le 14 janvier 1980 à tous les journalistes américains de quitter l’Iran en raison de leurs « reportages orientés ». Il annonce également que les otages restent aux mains des militants alors que, dans le même temps et dans un but de pacification, une commission désignée par les Etats-Unis se rend en Iran afin d’enquêter sur les accusations portées contre le shah et les Etats-Unis. Les Etats-Unis réagissent alors en rompant toutes relations diplomatiques avec l’Iran. Ils expulsent 35 diplomates iraniens encore dans le pays et imposent toute une série de sanctions économiques, qui sont renforcées dès avril 1980. Les Etats-Unis déclarent que si ces mesures n’aboutissent pas à la libération des otages, « la prochaine fois, ce sera l’intervention militaire [10] ». Le 25 avril 1980, les Américains lancent ainsi une opération de libération des otages, mais elle échoue : trois hélicoptères tombent en panne et un quatrième entre en collision avec un avion de transport de troupes, tuant huit soldats américains. L’ayatollah Khomeini y voit une punition divine. La pression se renforce pourtant toujours plus sur les Iraniens. Le 24 mai 1980, la cour internationale de justice demande la libération des otages et déclare que l’Iran doit dédommager les Etats-Unis pour cette prise d’otage. Comme gage d’apaisement, le 10 juillet 1980, l’ayatollah Khomeini ordonne la libération d’un otage, Richard Queen. Le secrétaire d’Etat américain, Edmund Muskie, déclare alors que les Etats-Unis envisagent de nouvelles initiatives diplomatiques dans le but d’aboutir à la libération des otages. Dans ce contexte, le shah meurt le 27 juillet 1980.

Le dénouement de la crise

En septembre 1980, l’ayatollah Khomeini pose quatre conditions à la libération des otages : le retour de la fortune du shah, le dégel des avoirs iraniens aux Etats-Unis, l’annulation des demandes de dommages à l’Iran par les Américains et leur engagement à la non-ingérence en Iran. Alors que la réaction immédiate de Washington est très réservée, le Premier ministre iranien Mohammad Ali Radjai, en poste depuis août 1980, déclare lors d’une conférence de presse le 18 octobre que la décision de libérer les otages n’est « plus très lointaine ». En effet, l’embargo américain commence à peser sur le pays. Pour sa part, le président Carter se dit prêt le 20 octobre à lever les sanctions contre l’Iran si les otages sont libérés. En pleine campagne présidentielle, il souhaite en effet accélérer l’issue de la crise : le 20 novembre, l’acceptation de principe des quatre conditions est confirmé comme base de résolution de la crise. En échange de la libération des otages, l’Iran annonce que les Etats-Unis doivent déposer en Algérie l’équivalent de 24 milliards de dollars en espèces et en or, représentant l’estimation de la fortune du shah et des avoirs gelés. Le secrétaire d’Etat Edmund Muskie estime que cette exigence est « déraisonnable », Washington avertissant alors l’Iran que les Etats-Unis ne modifieront pas leur position fondamentale sur les conditions de libération des otages. Cependant le 10 janvier 1981, les Etats-Unis informent l’Iran que, dans un délai de quelques jours suivant la libération des otages, l’Iran pourra récupérer 70 % des milliards de dollars gelés dans les banques américaines. Le 16 janvier 1981, parvenus à un accord général sur les conditions de la libération, les deux pays rédigent le protocole d’un accord définitif officiellement approuvé le 19 janvier 1981 par la déclaration d’Alger. Cette déclaration prévoit cinq points : la libération des 52 otages ; le déblocage par les Etats-Unis des avoirs Iraniens gelés [11] ; l’abandon de toutes les plaintes résultant de la capture des otages et du gel des avoirs par l’Iran ; le remboursement des emprunts iraniens à des prêteurs américains.

Le 20 janvier 1981, les otages sont libérés une demi-heure après que Ronald Reagan soit officiellement devenu président des Etats-Unis. Le président Reagan assure alors que les Etats-Unis affirmeront le droit du peuple iranien à décider de son avenir politique et assure du désir américain de voir s’établir des relations normales entre les deux Etats, basées sur le respect mutuel, l’égalité et les principes du droit international.

Bibliographie :
 Nouchine Yavari-d’Hellencourt, Les otages américains à Téhéran, Paris, La documentation Française, 1992, 128 pages.
 David Farber, The Iran hostage crisis and America’s first encounter with radical Islam : taken Hostage, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2005, 212 pages.
 Pierre Salinger, Otages, les négociations secrètes de Téhéran, Paris, Buchet/Chastel, 1981, 308 pages.

Publié le 13/08/2012


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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