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Des Parthes aux Sassanides : l’unification de l’espace iranien

Par Tatiana Pignon
Publié le 28/02/2014 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Buste masculin coiffé d’un bonnet, période séleucide et parthe.

RMN Grand Palais / Musée du Louvre / Franck Raux / AFP

L’arrivée des Parthes : une réaction nationaliste ? (IIIe s. avant J.-C. – 224 après J.-C.)

C’est dans la première moitié du IIIe siècle que des tribus nomades, menées par leur chef Arsace, envahissent les régions orientales de l’Iran, où le pouvoir séleucide peine à se maintenir. Depuis cette province de Parthie, ils parviennent peu à peu à avancer vers l’Ouest ; mais ce n’est qu’avec Mithridate Ier (171-138 environ avant J.-C.) que se forme véritablement l’Empire arsacide (du nom d’Arsace), qui n’acquiert une telle importance qu’après la mort du dernier grand roi séleucide, Antiochos IV Epiphane, aux alentours de 164 avant J.-C. Dès lors, et malgré un sursaut des troupes séleucides vers 138-128 avant J.-C., les Parthes sont les véritables chefs de l’espace iranien, qu’ils maîtrisent dans son intégralité. Ils apportent avec eux, sans que cela apparaisse comme une volonté nationaliste délibérée, une conception de la société et du pouvoir qui marque un retour aux structures traditionnelles indo-iraniennes : ainsi, si le pouvoir monarchique est absolu, il ne se transmet pas de manière héréditaire mais par élection du successeur ; les Arsacides reprennent également la division traditionnelle de la société en quatre groupes dirigeants, dont le chef du pays (« dahyu ») est le plus important, mais qui comprend aussi les chefs de tribu (« zantu »), de clan (« vis ») et de maison (« nmana »). Leur nomadisme originel va de pair avec une souplesse administrative qui tranche avec l’époque séleucide, et laisse plus de place à la noblesse – ce qui, en même temps, favorise une certaine faiblesse du pouvoir central, moins assuré que celui des Séleucides.

Il est donc certain que les Parthes, en prenant le contrôle de l’espace iranien, n’ont pas cherché à rétablir une civilisation antique ou à réveiller une certaine forme de conscience nationale : leur arrivée au pouvoir s’explique surtout par l’affaiblissement du pouvoir séleucide, dont ils ne sont pas les seuls à avoir voulu profiter. Ils ne se caractérisent pas non plus par un réel rejet de la civilisation hellénistique, puisque leurs rois se font même appeler « philhellènes ». Toutefois, la constitution d’un véritable empire couvrant l’ensemble de la Perse antique, la longévité de leur pouvoir, et la résistance constante qu’ils doivent opposer aux attaques romaines ont pour conséquence, pour ainsi dire en négatif et sans que cela procède d’une volonté délibérée des nouveaux chefs de la région, d’unifier dans une certaine mesure le territoire iranien. Cette situation demeure toutefois fragile, et d’autant plus fragilisée qu’au IIe siècle après J.-C., troubles internes et pressions externes se combinent pour mettre en péril le pouvoir parthe : alors que les problèmes successoraux sont de plus en plus pris comme prétexte par les membres de la noblesse pour s’arroger toujours plus de pouvoir, les Romains – la question arménienne ayant été réglée sous Vologèse Ier au Ier siècle après J.-C. – concentrent leurs efforts sur la capitale Ctésiphon, qu’ils parviennent à ruiner progressivement. Les périphéries de l’Empire commencent alors à échapper au pouvoir central, tandis que son cœur économique, politique et administratif est directement visé par les légions romaines. C’est à la faveur du chaos général qui s’installe alors que les Perses menés par Ardashîr vont pouvoir renverser les Arsacides, et fonder le dernier grand empire perse de l’Antiquité : l’Empire sassanide.

La période sassanide : une construction nationale ? (224-636 après J.-C.)

L’instauration du pouvoir sassanide se fait, comme souvent dans l’Antiquité, à la faveur d’une conjoncture exceptionnelle : profitant de l’affaiblissement de la monarchie arsacide, qui perd pied notamment dans ses provinces, ainsi que de l’instabilité du pouvoir romain qui n’est en conséquence pas apte à en profiter pour envahir la Perse, Ardashîr Ier (224-241) – petit-fils de Sasân qui donne son nom à la dynastie – établit dans sa ville de Darabdjird un pouvoir héréditaire et conquérant. Perçue comme une rébellion par le dernier Arsacide, Artaban IV, qui lève une armée contre lui, cette ascension s’avère rapidement irrésistible : en 208, Ardashîr se fait couronner roi des Perses ; il conquiert les villes voisines, puis se tourne vers l’Ouest ; enfin, en 224, il vainc et tue Artaban IV à la bataille de Hurmizdadjân, et entre dans Ctésiphon dont il fait la capitale de son nouvel empire. Il prend alors le titre de « Roi des Rois ». S’ouvre alors l’époque sassanide, qui marque une continuité assez forte avec la période parthe, notamment sur le plan de l’organisation sociale ; c’est en fait surtout par les arts et la culture que les Sassanides se démarquent. Ardashîr Ier, déjà, s’affirme comme un grand bâtisseur, commanditaire de somptueux palais dont le plus célèbre est celui de Kur, la capitale originelle de la Perse sassanide, et constructeur ou reconstructeur de villes comme l’antique Séleucie, rebâtie sous le nom de Veh-Ardashîr. Son fils Shâhpur (241-272) prend sa suite, fondant notamment la ville princière de Veh-Shâhpur ou Bichâpour en Perside, ou celle, célèbre, de Nev-Shâhpur ou Nichâpour en Parthie. De plus, les Sassanides ont pour grande différence d’avec leurs prédécesseurs parthes de se réclamer explicitement des Achéménides, souverains perses des IVe-VIe siècles avant J.-C. qui incarnent une sorte d’âge d’or iranien en raison de l’étendue de leur empire et du prestige de certains de leurs dirigeants, comme leur fondateur Cyrus le Grand (559-530 environ) ou les empereurs Darius et Xerxès Iers, célèbres pour leurs expéditions contre la Grèce des cités. Cette référence à l’âge achéménide, où la Perse constituait de fait le plus grand empire de son époque, est sensible aussi bien dans l’architecture que dans les arts : les exemples artistiques restés visibles dans la capitale achéménide, Persépolis, sont des sources d’inspirations importantes pour les artistes de l’époque sassanide. Enfin, le déploiement de faste de la cour sassanide, notamment sous l’empereur Xusrô II Abarvêz (« le Victorieux ») s’ajoute aux nombreuses constructions architecturales et urbaines pour démontrer une volonté d’exhibition de la puissance retrouvée d’un Empire perse réunifié.

La religion comme facteur d’unification nationale : le zoroastrisme religion d’État

Outre la référence achéménide qui inscrit l’espace iranien dans une histoire longue et prestigieuse, la religion est sans conteste le plus puissant instrument de l’unification impériale à l’époque sassanide. Depuis des siècles, diverses religions, confessions et spiritualités se côtoient dans cette région située au carrefour de plusieurs mondes : mais à l’époque sassanide, l’expansion du christianisme notamment conduit plusieurs religions prétendant toutes à l’universalisme à se faire concurrence dans l’espace iranien, du manichéisme au zoroastrisme sans oublier les religions abrahamiques et les cultes orientaux, comme celui de Mithra. Si les premiers Sassanides sont plutôt favorables à Mani [1], le règne de Vahrâm II marque une rupture fondamentale : sous l’impulsion du grand mage Kirdîr, zoroastre, le prophète du manichéisme est arrêté et jeté en prison, tandis que le zoroastrisme – également appelé mazdéisme – est élevé au rang de religion d’État. Kirdîr est le principal artisan de l’organisation d’un clergé puissant et du développement du culte ; il fait ainsi construire presque cinquante temples du feu, lieux de culte zoroastrien. Corrélativement, il entreprend de lancer des persécutions violentes contre ceux qui, dans l’Empire, professent une autre religion, ainsi même que contre ceux qui, au sein de la religion mazdéenne, ne respectent pas l’orthodoxie promulguée par l’État. Ces persécutions connaissent un regain de vigueur au IVe siècle, sous le règne de Shâhpur II (309-379) : en effet, le christianisme ayant été reconnu comme une religion de l’Empire romain par l’édit de Milan (312), les chrétiens n’apparaissent plus seulement comme des ennemis religieux mais aussi politiques. Entre conversions forcées – fréquentes en Arménie chrétienne, par exemple – et vexations, voire tourments à l’encontre des dissidents, le zoroastrisme s’impose rapidement comme une composante incontournable de l’identité perse sassanide. Ce n’est que sous l’empereur Xusrô Ier Anushirvân (« à l’âme immortelle), qui règne entre 531 et 579, que la tolérance religieuse est restaurée, accompagnant un mouvement de réformes générales de l’Empire ; mais au VIe siècle, le zoroastrisme a eu le temps de s’imposer, et l’expansion du judéo-christianisme n’est plus à craindre dans l’espace iranien.

Des Parthes aux Sassanides, entre ces deux grands empires qui couvrent à eux deux sept siècles d’histoire de la Perse, a donc lieu un mouvement d’abord implicite, puis recherché, d’unification de l’espace et de construction d’une forme d’identité nationale. S’il faut bien entendu garder à l’esprit que le concept de « nation » n’existe pas à cette époque, et veiller à ne pas plaquer sur cette période de l’histoire perse des catégories contemporaines, on ne peut pourtant que remarquer l’analogie entre l’instrumentalisation du zoroastrisme par les Sassanides et celle du chiisme par les Safavides du XVIe siècle, qui sont les véritables fondateurs de l’Iran moderne : qu’elle procède de phénomènes externes ou d’une volonté délibérée, cette forme d’unification de l’espace iranien joue donc bien un rôle déterminant dans la construction identitaire nationale, considérée sur le très long terme.

Bibliographie :
 J.A. Boyle (dir.), The Cambridge History of Iran, volume 2 : “The Seleucid, Parthian and Sasanian Periods”, Cambridge University Press, 1983, 2 vol., 1488 pages.
 Arthur Christensen, L’Iran sous les Sassanides, Osnabrück, Otto Zeller, 1971, 560 pages.
 Roman Ghirshman, Parthes et Sassanides : Iran, Paris, Gallimard, 1962, 401 pages.
 Jean-Paul Roux, Histoire de l’Iran et des Iraniens – Des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2006, 521 pages.
 Jean Calmard et Philippe Gignoux, article « Perse : Histoire », Encyclopédie Universalis.
 Philippe Gignoux et Guy Jucquois, article « Parthes », Encyclopédie Universalis.
 Philippe Gignoux, article « Sassanides », Encyclopédie Universalis.

Publié le 28/02/2014


Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.


 


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