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Elections israéliennes : Benyamin Netanyahou joue sa survie politique à l’issue d’une campagne clivante

Par Ines Gil
Publié le 17/09/2019 • modifié le 17/09/2019 • Durée de lecture : 8 minutes

Des militants d’Israël Beitenou à Tel-Aviv, le 13 septembre 2019, crédit photo : Ines Gil

« King Bibi » joue sa survie politique avec une campagne aux accents ultra-nationalistes

Annonces polémiques, recours à la rhétorique anti-arabe, Benyamin Netanyahou a joué la surenchère tout au long de la campagne électorale. A la tête du gouvernement israélien depuis plus de 10 ans - un record historique - il se présente comme le Premier ministre dont Israël ne peut pas se passer. Durant la campagne, il a mis en avant son amitié avec le président américain Donald Trump, mais aussi ses relations avec Vladimir Poutine, mettant en avant que son travail a permis à Israël de devenir un allié privilégié des grands de ce monde. Le Premier ministre souhaite aussi se placer en champion de la sécurité, en brandissant la menace iranienne. Une semaine avant le scrutin, il a annoncé qu’un nouveau réacteur nucléaire avait été découvert en Iran, provoquant des critiques dans l’opposition, qui a dénoncé l’utilisation de « renseignements pour faire sa propagande électorale » (Yair Lapid, Bleu blanc).

Ces derniers jours, Benyamin Netanyahou a multiplié les annonces et les mesures - souvent polémiques - pour attirer les électeurs de droite et d’extrême droite. A une semaine des élections, il a annoncé qu’il annexerait immédiatement les colonies de la vallée du Jourdain et du nord de la mer Morte, soit 30% de la Cisjordanie, s’il est reconduit comme Premier ministre. En plus de ces territoires stratégiques, le chef de fil du Likoud a affirmé qu’à terme, il rattacherait l’ensemble des colonies (60% de la Cisjordanie) à Israël. Selon Elisabeth Marteu, chercheuse à l’IEP de Paris, « il veut être en position de force dans ses futures tractations avec les partis d’extrême droite comme Yamina et peut être Otzma Yehudit. Il entend mobiliser en sa faveur l’aile la plus à droite de l’électorat israélien ».

Pour mobiliser les électeurs, Benyamin Netanyahou a aussi brandit la « menace interne » : la communauté arabe israélienne. Il a voulu faire voter un amendement, qui aurait permis aux membres du Likoud d’installer des caméras de surveillance dans les bureaux de vote arabes. Dans la foulée, il a multiplié les posts polémiques sur les réseaux sociaux, affirmant qu’en cas de victoire de son rival, Benny Gantz, Israël deviendrait un pays dirigé par les Arabes.

Outre ces annonces clivantes, à la veille des élections, un nouveau chapitre dans cette campagne électrique s’est ouvert : ce lundi 16 septembre, les Israéliens ont découvert que depuis une semaine, Benyamin Netanyahou tentait d’amorcer une guerre à Gaza, qui aurait provoqué le report des élections israéliennes. Certains observateurs israéliens ont décrit cette initiative comme « électoraliste », étant données ses difficultés à monter dans les sondages.

Affaibli par les affaires, par son échec à former un gouvernement en mai dernier, mais aussi par sa gestion de la crise à Gaza (selon l’analyste Ofer Zalzberg, Benyamin Netanyahou « est critiqué pour son incapacité à assurer la sécurité des Israéliens vivant à la frontière avec Gaza »), le Premier ministre tente de convaincre les Israéliens de voter pour lui avec un objectif : former une coalition à droite et à l’extrême droite et avec les parti ultra-religieux, sans l’ultra-nationaliste Avigdor Lieberman.

Benyamin Netanyahou rêve d’une coalition de droite et d’extrême droit de type nationaliste - religieuse

Outre les deux partis religieux Shas (parti ultra-orthodoxe sépharade) et Judaïsme unifié de la Torah (parti ultra-orthodoxe ashkénaze), Benyamin Netanyahou ambitionne de former un gouvernement avec la formation Yamina (« à droite » en hébreu), et peut-être avec la très polémique formation Otzma Yahudit (« force juive »).

Ayelet Shaked durant un meeting à Givatayim (Israël), le 13 septembre 2019. Crédit photo : Ines Gil

Menée par l’ancienne Ministre de la Justice Ayelet Shaked, Yamina est une nouvelle formation de type nationaliste-religieux, qui puise notamment ses voix dans l’électorat issu des colonies israéliennes en Cisjordanie. Les derniers jours de la campagne, la populaire Ayelet Shaked a misé sur un virage à droite toute, dénonçant notamment le plan américain comme nocif pour l’avenir de la présence israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Elle appelle régulièrement les Israéliens à faire un choix idéologique en votant pour Yamina, contre le choix qu’elle juge plus pragmatique du Likoud.

De son côté, la formation Otzma Yehudit pourrait dépasser le seuil électoral (3,25% des voix) pour faire son entrée au Parlement. Créé en 2012, inspiré de l’idéologie kahaniste raciste, ce parti est très polémique dans l’Etat hébreu. Il appelle notamment à l’expulsion d’une partie de la population palestinienne pour préserver le caractère juif d’Israël, et promeut l’édification d’un « Grand Israël ». Fin août 2019, deux de ses membres ont été interdits de se présenter aux élections législatives, en raison de leurs propos racistes (1). Si Otzma Yehudit parvient à ses fins, cela apporterait quatre sièges - déterminants - pour Benyamin Netanyahou, afin de former une coalition gouvernementale sans Avigdor Lieberman.

Ultra-nationaliste et chantre de la laïcité, Avigdor Lieberman détient-il de nouveau les clés des élections ?

Suite aux élections anticipées (2) d’avril dernier, il avait empêché Benyamin Netanyahou de former une coalition gouvernementale, menant Israël vers de nouvelles élections. Avigdor Lieberman, le chef de file du parti Israel Beitenou (« Israël, notre maison »), pourrait de nouveau mettre en difficulté le Premier ministre.

Avigdor Lieberman, après un meeting à Givatayim, le 13 septembre 2019. Crédit photo : Ines Gil

Selon les récents sondages, le leader ultra-nationaliste pourrait remporter jusqu’à 10 sièges à la Knesset, soit deux fois plus qu’aux élections d’avril dernier. Né en Moldavie (URSS), il a fait son Aliyah (3) à l’âge de 20 ans. Passé par le Likoud, il a co-fondé le parti Israel Beitenou en 1999 pour représenter les Israéliens russophones. En mai dernier, il a empêché Netanyahou Netanyahou de former un gouvernement, affirmant qu’il ne participerait à une coalition gouvernementale qu’en cas de fin d’exemption du service militaire pour les étudiants juifs ultra-orthodoxes. Connu pour ses positions virulentes à l’égard du Hamas à Gaza, mais aussi parfois contre la population arabe israélienne, il est depuis devenu le champion de la laïcité pour de nombreux Israéliens. Au point que « certains laïcards de Tel-Aviv auraient l’intention de voter pour lui, rien que pour se débarrasser des religieux » selon le Dr. Samy Cohen, chercheur au CERI de Sciences Po, spécialiste d’Israël.

Pour contrer Avigdor Lieberman, Benyamin Netanyahou a cherché à attirer les voix des Israéliens issus des pays de l’ex-URSS. Outre l’affiche géante le montrant main dans la main avec Vladimir Poutine, il s’est rendu jeudi dernier à Sotchi (Russie), pour rencontrer le président russe. Et à la mi-août, il avait organisé une visite de deux jours en Ukraine.

Avigdor Lieberman, souvent présenté comme le candidat clé, « faiseur de rois » de ces élections, cherche à constituer un gouvernement d’unité nationale sans les ultra-orthodoxes, réunissant son parti Israel Beitenou, le Likoud de Benyamin Netanyahou, et la formation Bleu blanc de Benny Gantz. Le leader centriste de Bleu blanc a également envisagé ce scénario, mais avec un bémol : il refuse d’entrer dans un gouvernement dominé par « Bibi ». A deux semaines des élections, il a passé un accord de report des voix avec Avigdor Lieberman, un accord technique de partage des surplus de voix, qui pourrait être défavorable à Benyamin Netanyahou. Tout comme en avril dernier, Benny Gantz est le principal rival du Premier ministre.

Benny Gantz, l’opposant qui ne fait pas trop de vagues

La carrure imposante, les yeux bleus, et le discours posé, Benny Gantz incarne la « force tranquille » face à « Bibi ». Cet ancien chef d’Etat-major de l’armée israélienne (2011-2015) est présenté comme l’alternative la plus crédible à Benyamin Netanyahou depuis son arrivée en politique en décembre 2018. En avril dernier, sa formation politique (Bleu blanc) est arrivée à égalité avec le Likoud. Mais en manque d’alliés politiques, B. Gantz était moins bien placé que B. Netanyahou pour former une coalition.

Sur le fond, peu de choses le différencient vraiment du Premier ministre. Contrairement à B. Netanyahou, il se dit ouvert à de nouvelles négociations avec l’Autorité palestinienne. D’un autre côté, il appelle à être plus ferme avec les factions palestiniennes de Gaza, critiquant régulièrement le laxisme du Premier ministre vis-à-vis du Hamas, qui contrôle l’enclave palestinienne. Mais même si le leader centriste, qui se veut rassembleur, a développé un discours plus « humain » (4) vis-à-vis de la population arabe palestinienne, il ne marque pas une vraie coupure idéologique sur la question du conflit. Quand le Premier ministre a annoncé sa volonté d’annexer la vallée du Jourdain, Benny Gantz a rétorqué qu’il y avait pensé avant.

Entouré d’anciens généraux israéliens et du centriste laïc Yair Lapid (parti Yesh Atid), il rassure sur le plan sécuritaire et attire avec son aura de rassembleur. Mais dans un pays très divisé sur le chef de gouvernement, il exploite surtout la carte du « tout sauf Bibi ». Dans les sondages, sa formation politique est toujours au coude-à-coude avec le Likoud.

La gauche israélienne enterrée ?

Les élections d’avril dernier ont été un coup dur pour la gauche israélienne. Le parti travailliste (“Avoda” en hébreu), pourtant l’un des deux grands partis de l’histoire d’Israël avec le Likoud, s’est littéralement effondré avec seulement 6 sièges sur 120. De son côté, le Meretz, le parti de gauche radical sioniste, est entré in extremis à la Knesset, avec seulement 4 sièges. Traversée par une crise – « peur de l’engagement » (5), « manque de leadership », « pas de solide idéologie » (Assaf Sharon, dans Les Clés du Moyen-Orient), une partie de la gauche israélienne s’est restructurée ces derniers mois.

Le leader du Parti travailliste, Amir Peretz, en meeting à Givatayim (Israël), le 13 septembre 2019. Crédit photo : Ines Gil

Début juillet, à l’issue de primaire, le parti travailliste a changé de visage, avec l’arrivée d’Amir Peretz à sa tête. Dans la foulée, une nouvelle formation a vu le jour, l’Union démocratique. Menée par Nitzan Horowitz, ce nouveau parti réuni le Meretz, mais aussi l’ancien Premier ministre Ehud Barak, et la dissidente travailliste, Stav Shaffir (6). Un récent sondage prévoit seulement 5 sièges pour cette nouvelle formation.

Chez les Arabes israéliens, l’abstention pourrait l’emporter

Aux élections d’avril dernier, les quatre partis arabes israéliens s’étaient présentés divisés en deux formations politiques, ce qui leur avait valu d’être « sanctionnés » par l’électorat arabe, peu mobilisé. Pour ce nouveau scrutin, cinq mois plus tard, Hadash (Parti communiste), Ta’al (Mouvement arabe pour le renouveau), Balad (parti nationaliste) et Ra’am (Islamistes) se présentent unis autour d’une coalition menée par Ayman Odeh (Hadash).

Selon les sondages, la formation politique pourrait remporter au moins 10 sièges ce mardi. Les responsables arabes, eux, pensent pouvoir en gagner au moins 13 (en 2015, la liste unifiée des partis arabes avait remporté 13 sièges à la Knesset, devenant le 3 ème parti d’Israël). Le principal enjeu pour ces partis est de mobiliser leur base électorale. Même si les Arabes représentent 20% des Israéliens, leur taux de participation est généralement plus faible que le reste de la population. Pour obtenir le plus de sièges possible à la Knesset, cette coalition cherche à mobiliser l’électorat arabe… mais aussi l’électorat juif. Pour lancer la campagne de la liste arabe, Ayman Odeh a choisi le quartier florentine de Tel-Aviv, qui renferme une très large majorité de juifs israéliens susceptibles de voter à gauche, et donc un potentiel vivier d’électeurs pour la coalition arabe. Par ailleurs, quelques jours plus tard, fin août, il a affirmé qu’il serait prêt à participer à un gouvernement avec Bleu blanc (centre), dans une coalition de centre-gauche, en échange de certaines conditions, comme la formation d’un Etat palestinien, et l’augmentation des investissements économiques et sociaux dans les localités à majorité arabe (7).

Durant les cinq mois depuis les dernières élections, malgré la restructuration de certains partis et les annonces électoralistes, il semble que les Israéliens n’aient pas foncièrement changé d’avis. En revanche, un élément pourrait modifier la donne et devenir un enjeu : le taux de participation. Malgré les prédictions alarmistes des experts, pour l’instant, il est plus élevé qu’en avril dernier.

Notes :
(1) https://fr.timesofisrael.com/la-cour-supreme-interdit-a-gopstein-et-marzel-de-se-presenter-aux-legislatives/
(2) En décembre 2018, la coalition gouvernementale menée par Benyamin Netanyahou a dissous le Parlement, menant Israël vers des élections anticipées. Après le départ du gouvernement d’Avigdor Lieberman (ancien Ministre de la Défense), la coalition, fragilisée, ne disposait plus que d’un seul siège au Parlement pour être majoritaire, soit 61 députés sur 120.
« Ascension » en hébreu, désigne l’acte d’immigration en Israël pour les juifs.
(4) https://www.liberation.fr/planete/2019/09/16/israel-benny-gantz-l-ex-general-que-personne-ne-deteste-vraiment_1751711
(5) https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-le-Dr-Assaf-Sharon-Elections-legislatives-israeliennes-du-9.html
(6) Stav Shaffir et une des figures des mobilisations sociales de 2011 contre les prix élevés du logements et les coupes budgétaires de l’Etat providence.
(7) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-israeli-arab-party-leader-signals-historic-shift-and-brews-a-political-storm-1.7731360

Publié le 17/09/2019


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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