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Elections législatives israéliennes : vers un 5ème scrutin ?

Par Ines Gil
Publié le 29/03/2021 • modifié le 29/03/2021 • Durée de lecture : 9 minutes

This combination of pictures created on March 26, 2021, shows (R to L) Itamar Ben Gvir, head of the Israeli Jewish Power (Otzma Yehudit) party party, on March 15, 2021, Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu, on March 11, 2021 and Mansour Abbas, head of a conservative Islamic party Raam, on March 23, 2021. Netanyahu this week has a unique challenge in Israeli history : rallying the far right and the Islamists in the same government.

AHMAD GHARABLI, MENAHEM KAHANA, ABIR SULTAN / AFP / POOL

Divisions profondes entre pro et anti-Bibi

Depuis deux ans, les élections se succèdent en Israël, et un constat implacable se dégage : Netanyahou est à chaque fois au centre du débat. Après 12 ans comme Premier ministre de manière continue, le chef du Likoud a su polariser la vie politique autour de sa personne comme aucun autre leader dans l’histoire d’Israël. Et la tendance se renforce. Depuis les dernières élections (mars 2020), une pandémie a traversé le pays. Pourtant, peu de choses ont changé. Les divisions se creusent toujours un peu plus entre les pro et les anti-Bibi [1].

Les premiers attribuent à Benyamin Netanyahou tant les succès économiques de la « start up nation » (plein emploi jusqu’à la survenue de la crise sanitaire), que les victoires diplomatiques des dernières années (normalisation des relations avec certains pays arabes). Les plus fervents Likoudniks [2] ont même construit une relation charnelle avec leur leader, qu’ils appellent « king Bibi » (le « roi Bibi » en français). De l’autre côté, les anti-Bibi ont développé un rejet viscérale de Benyamin Netanyahou. A chaque élections, quelque soit leur vote, il doit servir à la chute de Bibi. Ce ne sont pas tant les positions droitières du Premier ministre sur la question palestinienne qui les animent. C’est bien plus la colère contre son refus de démissionner suite à sa mise en examen dans trois affaires pour corruption [3]. Mais aussi un dégout pour l’homme politique, considéré comme une menace pour toute forme de contre-pouvoir (la justice, la police ou les médias) et pour la cohésion de la société israélienne (avec ses attaques répétées contre la gauche et contre les Palestiniens citoyens d’Israël). Le 20 mars, trois jours avant les élections, les opposants à Netanyahou étaient plus de 50 000 à descendre dans les rues de Jérusalem pour appeler à la chute du Premier ministre [4]. Au total, 57% des Israéliens ont voté pour des formations politiques qui demandent le départ de Bibi. Malgré tout, le Likoud se maintient comme le premier parti d’Israël.

Le Likoud en léger recul

Le soir du scrutin, alors que les premières prédictions montrent que le Likoud est en tête, le Premier ministre sortant se réjouit de « l’immense victoire de la droite » [5]. Pourtant, par rapport au dernier scrutin, son parti a perdu 6 sièges au Parlement, en passant de 36 à 30 députés. Au total, « le Likoud a perdu 380 000 voix par rapport aux élections de mars 2020 » selon Gallagher Fenwick, Directeur de France 24 (chaîne anglaise). De nombreux électeurs de droite seraient restés chez eux, usés par les campagnes successives. Les efforts incessants de Netanyahou pour galvaniser les troupes, en brandissant le risque d’un gouvernement de gauche/pro-arabe si son adversaire centriste Yair Lapid l’emportait, ne mobilisent plus comme lors des dernières élections. La fatigue a gagné le pays. Une tendance qui pourrait se renforcer en cas de nouveau scrutin.

Également à droite, Gideon Saar (parti « Nouvel espoir » [6], dissident du Likoud, droite) et Naftali Bennett (« Yamina », extrême droite) peinent à s’imposer. Alors qu’ils avaient commencé la campagne en force dans les sondages, ils obtiennent respectivement 6 et 7 députés. La formation de Yair Lapid (« Yesh Atid », centre), le grand rival de Netanyahou, se place comme deuxième force politique du Parlement, mais le leader centriste baisse légèrement par rapport aux prédictions des sondages, avec 17 députés.

Certes, ses principaux rivaux ne remportent pas de grandes victoires électorales, mais Netanyahou ne peut toujours pas former de gouvernement. Pour avoir une coalition, il doit réaliser une alliance improbable.

La surprise dans le secteur arabe

Malgré le succès de la campagne de vaccination contre le Covid-19, malgré la normalisation des relations avec certains pays arabes, Benyamin Netanyahou n’est pas parvenu à son objectif : revenir en force au Parlement avec un Likoud puissant, et parvenir à constituer un bloc de droite solide pour une formation gouvernementale. Mais il a néanmoins atteint un but : diviser ses adversaires. Notamment la formation des partis arabes.

En 2015, quatre partis, les partis arabes Balad, Ta’al, les islamistes de Ra’am et le parti communiste Hadash, s’unissent sous une seule et même formation politique : la Liste unifiée. Menée par le communiste Ayman Odeh, elle devient la troisième formation du Parlement lors des élections de mars 2020, avec 15 députés. Mais quelques mois plus tard, le parti Ra’am de Mansour Abbas fait défection pour faire cavalier seul lors les élections. En cause : des désaccords avec les autres partis arabes et les promesses de Benyamin Netanyahou s’il rejoignait son gouvernement : « Mansour Abbas a tenté d’introduire une nouvelle approche dans la politique arabe en Israël en indiquant clairement qu’il était prêt à coopérer avec n’importe quel gouvernement pour servir les intérêts de sa circonscription » [7] selon Arik Rudnizky, expert de l’électorat arabe-israélien à l’institut israélien de la démocratie. Le 23 mars, Ra’am obtient 4 députés à la Knesset.

Avec son bloc de droite, et même avec l’appui de Naftali Bennett (qui a fait campagne en entretenant le flou sur sa volonté de rejoindre ou non le camp Bibi), Benyamin Netanyahou n’obtient pas assez de députés pour former une coalition (59, alors que le minimum requis est 61). Il a besoin du soutien de Ra’am pour former un gouvernement : « le tour de passe-passe de Benyamin Netanyahou a été de diviser le camp arabe israélien (…). Mais il se retourne aujourd’hui contre lui. Benyamin Netanyahou devient potentiellement otage de cette liste islamiste, historiquement liée aux Frères musulmans » selon Gallagher Fenwick. Avec ces élections, Mansour Abbas s’est transformé en improbable faiseur de roi. Pour la première fois, un Palestinien citoyen d’Israël a son mot à dire sur l’avenir d’un homme politique israélien de premier plan.

Ce renversement de situation témoigne du changement de paradigme dans le secteur arabe en Israël. Au fil des années, le conflit israélo-palestinien est devenu une problématique de plus en plus mineure chez les Arabes israéliens. Préoccupés par les questions de sécurité (critique dans certaines localités arabes) et par leur situation socio-économique (la population est plus pauvre que le reste des Israéliens, l’Etat d’Israël investit moins dans les villes arabes), ils cherchent de plus en plus à avoir un poids sur la politique israélienne. Selon le chercheur Arik Rudnitzky, « 46% des Arabes israéliens sont favorables à ce qu’un parti arabe rejoigne n’importe quel gouvernement », tant que cela bénéficie à la société arabe en Israël pour améliorer les conditions de vie.

Le Likoud a d’ores et déjà envisagé la possibilité que Ra’am rejoigne une coalition menée par Netanyahou « pour éviter un 5ème scrutin » [8]. En devenant un « faiseur de roi », le leader de Ra’am s’est imposé sur le paysage politique israélien et a changé le rapport des Palestiniens d’Israël à la politique du pays. Mais s’il accepte de rejoindre le gouvernement Netanyahou, il devra siéger dans la même coalition que certains députés d’extrême droite alliés à Bibi et ouvertement racistes. Un comble : « Si Benyamin Netanyahou forme le plus raciste des gouvernements jamais formé en Israël, ça sera avec le soutien d’un parti arabe » note la chercheuse spécialiste de l’opinion publique israélienne, Dahlia Schiendlin. Il est peu probable que Mansour Abbas rejoigne un gouvernement avec des députés qui appellent à expulser les Palestiniens de Cisjordanie et à s’emparer du territoire palestinien.

Les Kahanistes au Parlement

Ils ont été bannis de la vie politique israélienne pendant des décennies. Mais ce mardi 23 mars, ils font leur grand retour : des partisans de Meir Kahane, un rabbin suprémaciste juif, vont entrer au Parlement israélien. Encouragés par Benyamin Netanyahou, le parti kahaniste raciste Puissance juive a fait campagne au sein de la formation « Sioniste religieux » de Bezalel Smotrich. Itamar Ben Gvir, leur leader, et numéro trois sur la liste des Sionistes religieux, pourrait même récupérer un portefeuille ministériel en cas de formation d’un gouvernement Netanyahou. A ses côtés, Avi Maoz, issu du parti homophobe Noam, va aussi entrer à la Knesset.

Le Parti Sioniste religieux progresse incontestablement dans la société israélienne. Les partisans de cette extrême droite allient un nationalisme extrême avec un agenda religieux radical. On les retrouve généralement dans les colonies implantées en Cisjordanie incluant Jérusalem-Est. Mais les Sionistes religieux ont cette fois réussi à attirer des électeurs inattendus. Selon le journaliste Anshel Pfeffer (Haaretz, The economist) spécialiste de la politique israélienne, « Smotrich et les Kahanistes de Ben Gvir ont récupéré des voix des jeunes Haredims (ultra-orthodoxes) ». Une partie des ultra-orthodoxes critique la mauvaise gestion de la crise sanitaire par leur leadership religieux et politique. Quelques « 70 000 à 100 000 » Haredim ont décidé de briser le plafond de verre, en cessant de suivre les conseils de vote des rabbins, qui recommandent pourtant constamment les partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme unifié de la torah. Ils se seraient majoritairement tournés vers le parti de Bezalel Smotrich.

L’entrée des Kahanistes au Parlement avec le soutien de Netanyahou témoigne de bouleversements idéologiques impulsés par le chef du Likoud au sein de la droite israélienne depuis qu’il dirige le parti. L’époque où Menahem Begin [9], qui « boycottait » les Kahanistes à la Knesset, est révolue. Le Premier ministre israélien avance aujourd’hui ses pions jouant avec la notion de « droite décomplexée ». Quitte à porter une menace pour la démocratie libérale (déjà effritée en Israël) en soutenant des députés suprémacistes juifs. Avec l’élection de Joe Biden à la présidence américaine, la possibilité d’un gouvernement Netanyahou contenant des composantes racistes et homophobes pourrait aussi compliquer les relations entre Washington et Tel-Aviv.

Opération de sauvetage pour la gauche

De l’autre côté du spectre politique, on la dit sur le chemin d’une mort inévitable depuis quelques années : la gauche a finalement sauvé la mise lors de ce scrutin. Les sondages annonçaient que le Meretz (gauche) pourrait ne pas passer le seuil électoral de 3,25% des voix requis pour entrer au Parlement. Finalement, il fait mieux qu’en mars 2020 avec 6 députés élus [10]. Le Parti travailliste (centre-gauche) progresse aussi légèrement avec 7 sièges. Certains électeurs israéliens de gauche, qui pensaient voter pour Yair Lapid pendant la campagne, sont finalement revenus vers leur parti historique, par peur le voir disparaître.

Néanmoins, même si ces élections sont marquées par un rebond-surprise, la gauche est toujours en crise. Les deux partis peuvent compter sur une base d’électeurs historiques, mais pas plus. Le Parti travailliste a légèrement renouvelé son approche, grâce à sa nouvelle présidente Merav Michaeli : « elle a développé un discours très affirmé autour de l’égalité des genres » note la chercheuse Dahlia Scheindlin. Mais le Meretz, de son côté, se renouvelle peu. Malgré ces bons scores, les deux partis ne sont pas sauvés pour les prochaines élections : leurs électeurs sont vieillissants.

Le procès Netanyahou en vue

Des partis du centre et de droite qui stagnent, l’extrême droite qui progresse, les partis arabes qui avancent divisés et la gauche qui connait un petit rebond. Dans ce paysage politique, une nouvelle fois en Israël, aucun bloc n’est en mesure de former un gouvernement. Les Israéliens sont pris au piège de leur système électoral, qui bloque la situation politique depuis deux ans : « il existe un problème de gouvernance dans le pays » selon Charles Enderlin, journaliste franco-israélien, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem : « les élections se font par la proportionnelle intégrale, donc les petits partis conservent constamment un pouvoir de chantage sur les grands, qui eux, veulent former le gouvernement ». Au grand dam de Netanyahou, qui joue la course contre la montre pour se maintenir comme Premier ministre et échapper à la prison.

Le 5 avril prochain, B. Netanyahou sera de nouveau convoqué par la justice, dans le cadre d’affaires de corruption. S’il parvient à former un gouvernement, il pourrait compter sur ses soutiens pour faire voter une loi sur l’immunité, dite la « loi française », lui permettant de placer le poste de Premier ministre comme intouchable par la justice. Il a aussi pour ambition de déloger le procureur général. En juillet 2019, Avichai Mandelblit avait mis en examen le chef du Likoud dans trois affaires pour corruption, fraude et abus de confiance [11]. Un nouveau procureur général, plus clément avec Netanyahou, pourrait abandonner ces charges.

Dans les partis d’opposition à Bibi, il se murmure que les députés fraichement élus souhaiteraient faire voter une loi interdisant à un candidat mis en examen pour corruption de pouvoir former un gouvernement. Une législation qui éliminerait d’office Benyamin Netanyahou. Mais les opposants seront-ils assez nombreux pour le faire ? Les pro et anti-Bibi sont au coude à coude, aucun camp ne s’affirme par rapport à l’autre. Le système est bloqué, et la crise politique continue. Le pays pourrait se diriger vers un cinquième scrutin.

Publié le 29/03/2021


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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