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Le monde découvre les Yézidis, qui forment une communauté religieuse mal connue et qui, victimes de persécutions de la part de l’Etat Islamique (EI), sont contraints aujourd’hui de fuir leur terre du Kurdistan, vers la Syrie notamment. Les Yézidis sont environ 700 000 et la quasi-totalité de cette communauté vit dans le Nord de l’Irak, dans les environs du mont Sinjar. Ils sont victimes d’une « épuration ethnique » depuis la mise en place de l’Etat islamique.
Du point de vue religieux, cette communauté est une branche musulmane non chiite, dispersée dans toute l’Asie mineure, mais c’est en Irak que les Yézidis sont les plus nombreux, au nord-ouest de Mossoul. Toutefois, la communauté compte aussi des adeptes en Turquie, en Iran, en Arménie, et en Syrie. Les Yézidis possèdent toutes les caractéristiques ethniques des Kurdes, notamment physiques et linguistiques, leur dialecte, le kurmandji, étant similaire à celui des Kurdes, et ils ne se distinguent d’eux que par leur croyance religieuse, même si le yézidisme ressemble à la religion que les Kurdes pratiquaient autrefois. Le Yézidisme puiserait ses origines aux XIIème et XIIIème siècles.
Selon une tradition orale yézidie, ce groupe serait originaire de Bassorah et de la région du bas-Euphrate en Irak, puis il aurait migré vers la Syrie et le Kurdistan, où il se trouve actuellement. Là, il se serait « kurdisé » et éloigné de l’islam orthodoxe. Plusieurs thèses s’affrontent sur l’origine ethnico-religieuse de cette communauté. Pour les Kurdes, ils sont les « Ayzâdi », ce qui les rattacherait à une origine kurde. Pour d’autres, le mot yazidi ou yézidi aurait son origine dans le proto-iranien yazatah, qui signifie ange ou être suprême. D’autres explications ont été avancées : ils seraient une faction des sabéens, ou leur religion serait une forme du Zoroastrisme, mais selon la thèse la plus répandue, les Yézidis se rattacheraient au calife omeyyade Yazîd ibn Mûawyia. Ce dernier, ayant renoncé au sunnisme, se serait ultérieurement incarné en Cheikh Adî, qui est considéré comme ayant redonné vie au mouvement yézidi. Ce personnage réunit auprès de lui quelques disciples et professa plusieurs doctrines, comme en témoignent ses écrits. A sa mort, ceux qui le suivaient ont été vus comme de véritables hérétiques aux yeux des musulmans.
La doctrine yézidie est aujourd’hui très éloignée de la pratique de l’islam, aussi bien chiite que sunnite. Pendant longtemps, le yézidisme fut perçu comme un « paganisme à prétentions islamiques », ce qui a déjà valu dans le passé à cette communauté d’être persécutée par certains musulmans. Les Yézidis se disent descendant d’Adam exclusivement, et non pas d’Adam et Eve, ce qui fait d’eux des êtres à part et qui exclut toute conversion : on ne devient yézidi que par naissance. Selon le mythe yézidi, le calife Yazid qui a donné son nom à la communauté aurait abandonné le sunnisme et le Cheikh Adi serait sa incarnation. Mais les sunnites sont très réservés quant à ce calife, et les chiites lui sont clairement hostiles, car il aurait réprimé la révolte des partisans d’Ali et tué Husayn, le petit-fils du Prophète Mahomet, à Kerbela, le 10 octobre 680 ; il serait également responsable du pillage de Médine, du bombardement de La Mecque, et de l’incendie de la Ka’ba. Cette haine des chiites s’est donc étendue aux Yézidis, accusés de se livrer à des débauches rituelles et de blasphémer le Coran ; ils sont d’ailleurs surnommés les « adorateurs du diable ».
Les traditions yézidies se transmettent essentiellement par voie orale, mais deux livres sacrés existent cependant : « Le Livre de la Révélation », et « Le Livre Noir ». Les Yézidis croient en un Dieu unique qui serait entouré de sept anges semi-divins, et la tradition voudrait qu’ils aient tous, sauf un, vécu sur Terre à l’époque du Cheikh Adi, considéré comme le véritable fondateur de la communauté. Parmi ces sept anges, l’un, le plus éminent, est surnommé « l’ange-paon » (Taous Malak). Le culte du paon remonte à l’époque des Assyriens et se retrouve dans plusieurs croyances. Or, d’après certains commentateurs du Coran, le diable aurait d’abord revêtu l’aspect d’un paon pour s’introduire au Paradis terrestre et tenter Adam et Eve. Pour les musulmans, les Yézidis adoreraient donc un ange qui serait en fait le diable. Selon la doctrine yézidie au contraire, le culte du paon serait un hommage rendu au mal réconcilié avec le bien, l’ange-paon ayant passé 7 000 ans à expier ses péchés en enfer, où ses larmes auraient réussi à en éteindre les flammes.
Du point de vue des rituels de culte, les Yézidis se tournent vers le Soleil et l’Etoile polaire pour prier, et il existe des périodes de jeûnes, des pèlerinages et des sacrifices qui rappellent l’islam. La circoncision est également pratiquée et le baptême est obligatoire. D’autres pratiques rappellent aussi le christianisme, comme la consommation rituelle de vin, et la fréquentation des Eglises à l’occasion des mariages. A cela s’ajoutent des éléments soufis, comme les danses extatiques, mais également druzes, par exemple le droit accordé aux femmes d’exercer des fonctions religieuses. Les interdits alimentaires portent sur la laitue et le porc.
Par ailleurs, la société yézidie est organisée selon un système de castes, fondé sur la spécialisation religieuse et le lignage. Au sommet de ces castes se trouvent le prince des Yézidis, et le cheikh suprême.
Le yézidisme a connu un développement important au Moyen Âge jusqu’au XIVème siècle, mais il a connu ensuite une décadence rapide, notamment à cause des persécutions et des massacres dont les fidèles furent victimes. En 1414, les princes musulmans rasèrent par exemple le sanctuaire du Cheikh Adi. Pendant l’Empire ottoman, leur situation a varié en fonction des époques. Dans un premier temps, les Turcs ont dû faire alliance avec les tribus yézidies et leur céder des terres afin de s’assurer de leur soutien. Mais une fois la domination ottomane installée au Kurdistan, les faveurs ont cessé, le yézidisme a connu un net recul et les persécutions ont été de plus en plus vives, avec assauts, pillages et enlèvements, redoublant même de violence au XIXème siècle. A cette époque, on considérait que tuer un Yézidi assurait une place au paradis. En 1892, le général ottoman Umar Wahbi ira jusqu’à menacer les Yézidis d’une extermination totale s’ils n’abandonnent pas leur religion pour l’islam. Ce général fut finalement révoqué et les Yézidis vécurent en paix jusqu’à la Première Guerre mondiale. Après le premier conflit mondial, les Yézidis d’Irak et de Syrie sont restés des soutiens des puissances européennes, mais ils ont été soumis à différentes politiques en fonction de leur situation géographique. En Turquie, la politique de turquisation et de répression des Kurdes a épargné les Yézidis, mais beaucoup ont migré vers le Sinjar et le Jabal Sim’ân, en Irak et en Syrie actuelles. Beaucoup de Yézidis vivant actuellement dans ces régions sont d’origine turque.
C’est en Irak que les Yézidis sont parvenus à préserver une certaine autonomie. Les montagnes du Sinjar sont peuplées quasiment uniquement par les Yézidis, qui vivent encore à l’état tribal, comme la plupart des Kurdes, et ont pu jouir d’une complète liberté. Sous le mandat britannique, la région fut très calme et les rivalités internes au Kurdistan semblaient s’être atténuées, car l’administration était plus sévère que l’administration turque dans l’Empire ottoman, et il était plus difficile d’obtenir des armes. De plus, le gouvernement versait des pensions que les habitants étaient susceptibles de perdre en cas d’insubordination. Mais quand l’indépendance de l’Irak fut proclamée, l’Etat se montra moins clément vis-à-vis des communautés yézidies, qui commençaient à émettre des souhaits d’indépendance. Le gouvernement souhaitait qu’ils intègrent l’armée du pays, et suite à de nombreuses persécutions, les Yézidis se sont résignés en 1936 à fournir un « quota » de jeunes gens pour le service militaire. En 1969, ils avaient obtenu la reconnaissance du gouvernement irakien, avec un bureau de représentation à Bagdad, et l’inscription en tant que communauté religieuse (taïfa dinyyiah). Mais en 1974, le Kurdistan irakien obtient son autonomie, ce qui déclenche une certaine amertume chez les Yézidis, souhaitant eux aussi bénéficier d’avantages économiques. Ils se sont donc révoltés à nouveau en 1974, mais ce mouvement a été réprimé par l’armée.
En Syrie, les Yézidis sont répartis sur une très vaste étendue et seraient environ 150 000. Au XVIIIème siècle, la communauté était assez importante pour peser dans le jeu politique : souhaitant se délivrer du joug ottoman, ils ont proposé à l’ambassadeur de France à Alep une alliance contre les Turcs. Au XIXème siècle, la communauté était déjà beaucoup moins dense, mais les Yézidis de Syrie n’ont pas été victimes de massacres comme l’ont pu être les Yézidis des pays voisins. La répression qu’ils ont subie était plutôt d’ordre économique et social. Longtemps, les membres de cette communauté ont été exploités par les sunnites et très touchés par la pauvreté. Les Yézidis irakiens, isolés du monde extérieur, avaient su garder une certaine cohésion, alors que les Yézidis syriens se sont fondus dans la population et sont plus dispersés géographiquement. La communauté n’a cessé de diminuer, du fait des migrations et des conversions à l’islam sunnite de plus en plus nombreuses.
Depuis l’arrivée de l’Etat Islamique dans le Nord-Est de l’Irak, les persécutions contre les Yézidis sont revenues à l’ordre du jour, de même que celles touchant les Chrétiens, ce qui les pousse à fuir. Chaque jour, des membres de la communauté sont tués et enlevés, et leurs lieux de culte, reconnaissables à leurs dômes surmontés de flèches, sont détruits. Plus de 35 000 Yézidis ont dû prendre la fuite par « le Corridor de Sinjar », une zone désertique montagneuse contrôlée par les Kurdes, et qui transite par le territoire syrien pour rejoindre la province kurde de Dohouk. Entre 10 000 et 15 000 Yézidis ont également trouvé refuge dans le nord-est de la Syrie. Face à cette situation humanitaire sans précédent, les Nations unies ont relevé au maximum le niveau de l’urgence humanitaire, en promettant des ressources supplémentaires. Des pays occidentaux se sont portés volontaires pour aider les populations menacées, et lutter contre l’Etat islamique. La Grande-Bretagne a ainsi annoncé la livraison de matériels militaires aux forces kurdes afin de les aider dans leur lutte contre les djihadistes. Les Etats-Unis et la France ont également promis de l’aide aux personnes déplacées, parachutant notamment de l’eau et des lampes solaires. La Commission européenne a annoncé elle aussi qu’elle était en mesure d’accorder 5 millions d’euros supplémentaires à l’Irak pour aider les communautés déplacées et les populations devant les accueillir.
Bibliographie :
– Chabry Annie, Chabry Laurent, Politique et minorités au Proche-Orient : les raisons d’une explosion, Paris, Maison Neuve et Larose, 1984.
– Nelida Fuccaro, The other Kurds, I.B. Tauris Publishers, London, 1999.
– John S. Guest, Survival among the Kurds : A history of the Yezidis, Kegan Paul, 1993.
– Droit et religions, Annuaire volume 7, année 2013-2014, Université d’Aix-Marseille, Faculté de droit et de science politique.
Ines Zebdi
Ines Zebdi est étudiante à Sciences Po Paris. Ayant la double nationalité franco-marocaine, elle a fait de nombreux voyages au Maroc.
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