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Avec plus de 10 % des réserves mondiales, l’Irak se place juste derrière l’Arabie Saoudite dans les classements des pays pétroliers. Ses sols regorgent d’or noir de très bonne qualité et exploitable à faible coût. A partir des années 1970, l’industrie énergétique devient le moteur de l’économie du pays. Source de richesse, l’or noir va participer également aux plus grands malheurs de l’Irak ainsi qu’au maintien du régime du Baas à sa tête.
Bien que l’on ne puisse réduire la guerre du Golfe de 1990-1991 à des questions pétrolières, les questions énergétiques sont un enjeu dans le conflit. Au début des années 1990, l’économie irakienne est au bord de la faillite. Le pays sort alors de huit ans de guerre avec l’Iran (1980-1988), une bonne partie des infrastructures pétrolières et industrielles sont détruites, l’inflation est galopante, le dinar est en dépréciation et la dette extérieure irakienne est vertigineuse (envers l’Arabie Saoudite et le Koweït notamment). Ces années ont également révélé la forte dépendance du pays pour le pétrole - qui a été développé au détriment des autres secteurs tels que l’agriculture - et l’incapacité de son gouvernement à diversifier ses sources de revenus.
Les cours du pétrole sont fixés par l’OPEP. Toutefois, certains pays peuvent influer sur les prix en augmentant leur production. C’est alors le cas du Koweït, de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis qui, ne respectant pas les quotas et surproduisant, font chuter le prix du baril, déjà en déclin. La politique pétrolière exercée par les monarchies du Golfe gène fortement l’Irak qui a plus que jamais besoin d’augmenter ses revenus pour se reconstruire. Le président irakien Saddam Hussein (1937-2006) voit alors dans l’attitude du Koweït une véritable déclaration de guerre. Il l’accuse, par ailleurs, de lui voler du pétrole en puisant dans une nappe qui lui revient. L’Irak envahit le Koweït le 5 août 1990 et l’annexe peu de temps après, mettant ainsi la main sur 20 % des ressources pétrolières mondiales connues, soit près de 200 000 milliards de barils. L’annexion du Koweït offre également la possibilité à l’Irak de créer un port commercial et de ne plus dépendre de ses voisins pour acheminer son pétrole par voie maritime. Les infrastructures pétrolières koweitiennes sont cependant démolies et pillées par les Irakiens. Les sanctions de la communauté internationale sont immédiates : le 6 août, un embargo commercial et pétrolier est mis en place par l’ONU.
Dès le 6 août 1990 l’ONU instaure donc, par la résolution 661, un embargo total sur le commerce international avec l’Irak. Il est ensuite prolongé par la résolution 687 d’avril 1991, malgré la signature d’un cessez-le-feu. L’Arabie Saoudite récupère alors 75 % des exportations de pétrole irakien. Fortement dépendant du commerce extérieur, notamment pour l’importation de denrées alimentaires, l’Irak sombre rapidement dans une extrême pauvreté. Devant le sort réservé aux populations, la nouvelle résolution 986 du 14 avril 1995, dite « pétrole contre nourriture » est votée, et place le pétrole irakien sous tutelle. Bagdad est dorénavant autorisé à vendre, pour un milliard de dollars, du pétrole par tranche de 90 jours, sous contrôle strict de l’ONU. Les royalties doivent alors servir à acheter des biens médicaux et alimentaires. Il faudra cependant plus d’un an pour que les populations bénéficient réellement de cette mesure. La résolution est reconduite à plusieurs reprises jusqu’au printemps 2003, date de l’intervention américaine en Irak, élargissant progressivement la liste des biens et les quotas de pétrole autorisés. Plusieurs scandales de détournement de fonds ont depuis éclaté au grand jour, impliquant de hauts responsables de l’ONU, des hommes politiques occidentaux et des firmes internationales. De grands réseaux de contrebandes pétrolières ont également été organisés en Irak par Saddam Hussein et son fils Oudaï notamment. Les ventes illégales se multiplient via la Turquie, de la Syrie et de l’Iran, permettant au clan au pouvoir de continuer à s’enrichir.
Depuis le 1er mai 2003, l’Irak est occupé par une coalition rassemblée autour des Etats-Unis. Cette intervention est officiellement motivée par la volonté, défendue par les théoriciens néoconservateurs de l’administration de G. W. Bush aux Etats-Unis, de promouvoir la démocratie au Moyen-Orient par effet de contagion, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme proclamée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. L’Irak de Saddam Hussein était également accusé de continuer à développer des programmes de recherche sur les armes de destruction massive nucléaire, biologique et chimique. Certains y voient, par ailleurs, une volonté de contrôler les réserves pétrolières de l’Irak, argument qui n’a jamais été avancé directement par les autorités américaines. S’il est cependant exagéré de réduire la guerre de 2003 à un intérêt économique, la question mérite d’être posée.
La sécurité de l’approvisionnement en pétrole est en effet un enjeu important de la politique américaine au Moyen-Orient. De plus, les attentats du 11 septembre 2001 ont refroidi fortement les relations entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, leur principal allié dans la région : sa fiabilité est depuis remise en cause par le fait que 15 des 19 pirates de l’air sont d’origine saoudienne. Remplacer le régime de Saddam Hussein par un régime ami pourrait donc permettre aux Américains de diminuer leur dépendance vis-à-vis de la monarchie saoudienne. L’importance immédiate du pétrole irakien ne doit cependant pas non plus être exagérée. Le monde a su en effet se passer de son pétrole pendant les longues années d’embargo. De plus, il était, jusqu’en 2003, toujours possible de s’approvisionner à prix cassés en passant par le marché noir et les sanctions permettaient de s’assurer d’importantes réserves pour l’avenir.
Durant les hostilités, les forces de la coalition ont cherché à protéger les infrastructures pétrolières du pays. Sur les 500 puits irakiens, seuls 9 ont été détruits dans le sud du pays. Les premières exportations recommencent dès juin 2003. Cette reprise est cependant fortement ralentie par la multiplication des sabotages et par le manque de cadre juridique ainsi que par le climat d’insécurité qui règne alors dans l’ensemble du pays où les milices s’affrontent pour le contrôle des ressources naturelles. Les coûts engendrés par la reconstruction de l’Irak et la remise en marche des infrastructures pétrolières ont finalement du mal à être compensés par les revenus liés au pétrole irakien, et le pays est obligé de recourir à l’aide internationale.
Aujourd’hui, les conditions semblent être réunies pour une augmentation durable de l’exploitation du pétrole et du gaz irakien et donc pour le retour de l’Irak parmi les grands pays producteurs.
Lire les parties 1 et 2 :
– Enjeux du pétrole irakien 1900-1930 (article1/3)
– Enjeux du pétrole irakien 1930-1990 (article 2/3)
Bibliographie :
Olivier Hubac, Irak, une guerre mondiale, 1980 à nos jours, Paris, Editions de La Martinière, 2006.
Habib Ishow, L’Irak, paysanneries, politiques agraires et industrielles au XXème siècle, Paris, Publisud, 1996.
Fanny Lafourcade, Le chaos irakien, dix clés pour comprendre, Paris, Editions La Découverte, 2007.
Cédric de Lestrange, Christophe-Alexandre Paillard, Pierre Zelenko, Géopolitique du pétrole, un nouveau marché, de nouveaux risques, des nouveaux mondes, Paris, Editions Technip, 2005.
Pierre-Jean Luizard, La question irakienne, Paris, Fayard, 2004.
Emmanuel Saint-Martin, L’Irak, de la dictature au chaos, Toulouse, Editions Milan, 2005.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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