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Le pétrole a joué un rôle majeur dans la naissance de l’Irak contemporaine. Il a déterminé le tracé des frontières de l’Irak, participé à son développement et eu des répercutions sur la vie politique et sociale du pays. Son indépendance est d’ailleurs négociée avec la Grande-Bretagne, puissance mandataire, en fonction des intérêts économiques occidentaux.
A partir de 1932, les ressources pétrolières du Nord de l’Irak sont concédées à l’Iraq Petroleum Company (IPC) qui est composée d’une compagnie anglaise, d’une anglo-hollandaise, d’une française et d’une américaine. Les 5 % du capital restant reviennent à l’entrepreneur d’origine arménienne Calouste Gulbenkian (1869-1955). Les gisements de la région de Mossoul vont être exploités à partir de 1934. Rapidement l’IPC va chercher à étendre son contrôle sur la quasi-totalité du territoire. En échange de ces concessions, l’IPC doit verser à Bagdad 4 shillings-or par tonne extraite et s’engage à construire un pipeline destiné à acheminer le brut irakien vers la Méditerranée. Après de vives discussions entre les différents actionnaires concernant son tracé, un oléoduc aura pour débouché Tripoli au Liban, sous mandat français jusqu’en 1943, et Haïfa en Palestine britannique. Ce dernier sera cependant bloqué lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948. En 1938, la Bassorah Petroleum Company, filiale de l’IPC, obtient une concession sur le sud de l’Irak. La production entre 1935 et 1947 serait d’environ 4 000 000 tonnes par an, ce qui est alors relativement faible en raison d’abord du contexte politique mouvementé. Un bon nombre de puits sont notamment détruits pendant la Seconde Guerre mondiale par l’armée britannique qui cherche à empêcher les troupes allemandes, se dirigeant vers le pays, d’en profiter. Les compagnies ont, d’une manière générale, préféré favoriser l’exploitation du pétrole iranien, plus facile à acheminer par voie maritime, et de garder celui de l’Irak en réserve.
La nationalisation du pétrole iranien par le Dr. Mossadegh (1882-1967), alors Premier ministre de l’Iran, marque un tournant dans l’histoire du pétrole irakien. La Grande-Bretagne, craignant que cette action pousse les courants nationalistes irakiens, toujours plus anglophobes, à se radicaliser, choisit de ménager son principal allié dans la région. Elle accepte la révision, tant souhaité par Bagdad, des accords pétroliers précédents. L’IPC doit dorénavant reverser 50 % des bénéfices à l’Irak et revaloriser son exploitation. Un nouvel oléoduc est construit dès 1952 reliant le pays au port méditerranéen de Baniyas en Syrie. L’augmentation des revenus pétroliers permet à Bagdad de commencer à développer ses industries, quasiment inexistantes jusqu’à présent. Cependant, les sociétés pétrolières étant déjà dotées de leur propre équipement, encouragent finalement peu le démarrage de la production locale et les perspectives d’emplois destinés aux Irakiens. La plupart des postes sont en effet occupés par des Britanniques et des Américains. De plus, l’économie nationale tend à dépendre de l’industrie pétrolière qui est soumise aux aléas des crises politiques régionales, et reste donc assez fragile. La crise de Suez de 1956 bloque, par exemple, les exportations de pétrole avec la mise hors service du pipeline syrien et freine fortement le développement du pays.
Le 14 juillet 1958, un coup d’Etat orchestré par un groupe d’officiers met fin à la monarchie hachémite et place à la tête de l’Etat le général Abdelkarim Kassem (1914-1963). Depuis quelques années déjà, le gouvernement reprochait à l’IPC, seul maitre de l’exploitation et de la recherche, de ne pas prospecter suffisamment et de manquer ainsi à ses engagements. Si Kassem ne remet pas en cause les accords passés entre la monarchie hachémite et l’IPC, il fait pression pour que la Compagnie augmente fortement la production afin de percevoir des revenus plus importants. L’Iraq Petroleum Company semble cependant peu disposé à répondre à ses demandes. Il décide alors de retirer 75 % de leurs concessions aux compagnies, soit l’ensemble des terres non exploitées.
Par ailleurs, le 14 septembre 1960, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est fondée à Bagdad. Les pays exportateurs sont alors plus que jamais déterminés à influer réellement sur les prix et la production. En 1964, Abd al-Salam Aref (1921-1966) au pouvoir depuis le coup d’Etat du 8 février 1963, crée l’Iraq National Oil Company (INOC). Mais c’est l’arrivée du Baas à la tête de l’Etat en 1968 qui va précipiter cette politique nationale. Afin d’assurer l’indépendance technique et administrative de l’Irak, le gouvernement multiplie les contacts avec des experts soviétiques d’abord puis français. Des accords destinés à former du personnel irakien et pour doter le pays d’équipements performants sont conclus. En quelques années, les capacités de l’INOC sont développées et ses concessions élargies.
Le 1er juin 1972, le champ de Kirkuk qui représente les deux tiers de la production totale de l’IPC, est nationalisé. Peu de temps après, sa filiale de Bassora passe également sous contrôle irakien. Entre 1972 et 1973, l’Irak récupère ainsi 100 % de sa production. La nationalisation coïncide avec le premier « choc pétrolier » de 1973 et la décision de l’OPEP d’augmenter le prix du baril de 3 à 22 $. Entre 1972 et 1974, les recettes du pétrole sont alors multipliées par 9 et passent de 575 millions à 5,7 milliards de dollars. En quelques années, le niveau de vie des Irakiens se transforme radicalement et le pays entre dans une ère d’industrialisation accélérée. L’Etat investit alors dans les services publics et offre à sa population un accès gratuit à l’éducation et à des services hospitaliers de qualité. L’Irak des années 1970 affiche alors une modernité exemplaire dans la région : la condition de la femme s’est nettement améliorée et le taux d’analphabétisme passe de 85 % en 1968 à 25 % en 1980.
Cette politique de redistribution permet notamment au gouvernement de se constituer une certaine assise sociale. Le Baas peut même se permettre de se détacher de ses anciens alliés : les Kurdes, qui reprennent le chemin des armes dès 1974, et le Parti communiste irakien (PCI) qui est réprimé à partir de 1976. Le pétrole sert finalement à consacrer la place centrale de l’Etat dans l’économie du pays. Le développement de ce secteur se fait largement au détriment des autres, tels que l’agriculture, et l’Irak devient extrêmement dépendant du commerce extérieur (99 % des exportations vont par ailleurs être d’origine pétrolière).
La manne pétrolière va également servir à équiper le pays en armement moderne et faire de son armée la plus puissante du monde arabe. En 1980, Saddam Hussein (1937-2006), Président de l’Irak depuis 1979, lance une offensive contre son voisin iranien et plonge le pays dans huit années de guerre dévastatrice. Dès 1982, la Syrie, alliée de l’Iran, ferme le pipeline qui traverse son territoire et prive l’Irak d’une bonne partie de sa principale source de financement. Le « contre-choc pétrolier » de 1986 et la destruction de la majeure partie des infrastructures pétrolières font diminuer les recettes de l’Etat qui n’arrive plus à amortir les efforts de guerre. En 1990, l’Irak, surendetté et en proie à une inflation vertigineuse, peine à reconstruire son économie et s’enfonce dans l’incapacité à diversifier son économie. Le pays paye alors sa trop grande dépendance envers les matières premières. Force est de constater que le pétrole, source d’incroyable richesse aura également participé à son malheur et va avoir sa part de responsabilité dans la guerre du Golfe de 1990-1991.
Lire les parties 1 et 3 :
Enjeux du pétrole irakien 1900-1930 (article1/3)
Enjeux du pétrole irakien 1990-2011(article 3/3)
Bibliographie :
Jacques Dauphin, Incertain Irak, tableau d’un royaume avant la tempête (1914-1953), Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1991.
Alain Guerreau, Anita Guerreau-Jalabert, L’Irak, développement et contradictions, Paris, Editions le Sycomore, 1978.
Habib Ishouw, L’Irak, paysanneries, politiques agraires et industrielles au XXe siècle, contribution à la réflexion sur le développement, Paris, Publisud, 1996.
Pierre-Jean Luizard, La question irakienne, Paris, Fayard, 2004.
Pierre Pinta, L’Irak, Paris, Editions Karthala, 2003.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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