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Vingt ans après l’intervention américaine qui les avait chassés du pouvoir, les Taliban sont de retour à Kaboul. En quelques semaines, ils ont opéré une progression fulgurante. Comment ont-ils réussi à reconquérir le territoire si facilement ? Le régime sera-t-il le même que celui instauré entre 1996 et 2001 ?
Christophe Lafaye, archiviste et docteur en histoire de l’université d’Aix-Marseille, répond aux questions des Clés du Moyen-Orient. Enseignant vacataire à l’université de Bourgogne, il est chercheur associé à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). Sa thèse de doctorat a porté sur « L’armée française en Afghanistan (2001-2012). Le génie au combat », publiée en mai 2016 chez CNRS éditions, pour laquelle il a obtenu le Prix d’histoire militaire 2014 et le Prix de l’UNOR 2016. Il est également officier de réserve de l’armée de Terre et Auditeur de la 199e promotion régionale de l’IHEDN. Ses travaux actuels portent sur la collecte, l’archivage et la valorisation de l’expérience combattante au XXIe siècle.
Il faut prendre un peu de profondeur historique pour comprendre les raisons de l’effondrement des troupes gouvernementales. L’attention de certains médias est centrée sur l’Afghanistan depuis quelques jours à cause de cette actualité, mais il ne faut pas oublier qu’une guerre civile se déroule dans le pays depuis 43 années maintenant. Après le renversement du roi d’Afghanistan, le coup d’Etat communiste et l’intervention soviétique en 1979, le pays n’a connu que la guerre. Suite à la chute d’Ajibullah en 1992, une tragique guerre civile opposant les chefs de guerre victorieux de la première guerre sainte a laissé le pays exsangue, meurtri et divisé. C’est sur ce lit que les Taliban ont progressivement conquis une grande partie du pays de 1994 à 2001 - sans le soumettre totalement - face à l’Alliance du Nord. Durant ces quelques années, ils ont cherché à reconstruire un modèle d’Etat fondé sur la Charia (la loi islamique). Les abus de leur rigorisme sur la population et les minorités, l’hébergement de terroristes d’Al-Qaida dont leur chef Oussama Ben Laden ainsi que leur refus de le livrer aux Américains après le 11 septembre 2001, ont entraîné leur chute.
L’intervention américaine puis occidentale dans le pays a ouvert une nouvelle phase de ce conflit entre 2001 et 2021, marquée par le retour des chefs de guerre qui avaient participé à la guerre civile à partir de 1992. Cette phase s’achève actuellement. Depuis le retour des Taliban en 2003 dans le Helmand, la proclamation de la guerre totale contre « l’occupant » en 2006 par le Mollah Omar (chef spirituel des Taliban), l’armée afghane et ses alliés occidentaux se sont battus sans discontinuer contre ce groupe dans un conflit qui résonne comme une compétition entre deux modèles de société (la République née avec la constitution de 2004 et le régime théocratique des Taliban). Il est maintenant évident que le modèle des Taliban est celui qui vient de gagner cette compétition. Au fur et à mesure des annonces de retrait des troupes de l’OTAN qui débutent le 20 novembre 2010 (fin du Surge (contre-insurrection) en Afghanistan pour 2014), la mise en place d’une nouvelle collaboration avec les Américains en 2015, les négociations de Doha et l’accélération du retrait, les troupes de l’Armées Nationale Afghane (ANA) se sont retrouvées progressivement en première ligne et de plus en plus seules pour mener le combat. Il est faux de penser que cette armée ne s’est pas battue. Néanmoins, en 2021, elle n’avait sans doute plus les ressources morales et les alliances sur le terrain pour continuer le combat.
Les forces gouvernementales se battent depuis 2003 face aux Taliban, avec des effectifs et une intensité variables dans le temps. Leur montée en puissance quantitative (même si ce terme est à modérer) est la conséquence de l’engagement des troupes sous mandat de l’ONU puis de l’OTAN contribuant à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) et enfin des Américains dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. Les troupes françaises ont participé à la formation de l’ANA via l’opération Epidote et l’action des équipes de liaisons et de mentorat opérationnels (ELMO). Force est de constater que ces formateurs ou mentors ont rendu compte de manière fréquente des problèmes de sous effectifs, de corruption ou encore de détournement de matériels, etc. au sein de ces unités. Il ne faut pas oublier non plus qu’elles n’étaient pas imperméables à l’influence des Taliban. En témoignent les tirs « verts contre bleus » qui ont coûté la vie à de nombreux militaires français entre 2011 et 2012 avec en point d’orgue l’attentat de Gwan. Mais malgré tout, des soldats de l’ANA se sont battus contre les Taliban. Il faut aussi rendre hommage à ceux qui sont tombés pour leur pays et ne pas leur nier une part d’honneur. Le départ accéléré des Américains a sans doute été le catalyseur des problèmes de cette armée provoquant sa déliquescence.
Les Américains ont eu la prétention de vouloir construire un Etat de toute pièce dans un pays bien trop complexe et réputé pour être « le cimetière des empires ». Sans doute auraient-ils dû en rester à la traque d’Al-Qaida. En n’intégrant pas les Taliban dans les accords de Bonn en décembre 2001, en niant finalement leur existence politique, ils leur ont permis de prospérer sur toutes les incuries du nouveau régime et les lourdes erreurs militaires commises par les Occidentaux entre 2002 et 2006. C’est un échec de plus aussi pour la stratégie de contre-insurrection ressuscitée de manière opportune à partir 2007 avant de s’éteindre progressivement en 2014. L’assassinat de Ben Laden, même s’il lui porte un coup sérieux, n’a pas éteint l’organisation Al-Qaida. L’Afghanistan doit interroger l’ensemble des démocraties, dont la France engagée encore au Sahel, sur la manière dont elles doivent affronter les groupes terroristes et sur leur rapport au monde d’une manière générale.
Les travaux d’Adam Baczko, chargé de recherche au CNRS, monte que la « matrice idéologique des Taliban reste inchangée » [1]. L’auteur de « La guerre par le droit : les tribunaux Taliban en Afghanistan » (à paraître le 2 septembre 2021 chez CNRS éditions) montre que la cohésion idéologique et organisationnelle de ce mouvement est restée remarquablement élevée entre 2001 et 2021. Dans l’ouvrage issu de ma thèse sur l’armée française en Afghanistan, j’avais par ailleurs démontré que l’organisation militaire était parfaitement coordonnée et cohérente entre 2003 et 2012, contrairement aux analyses en vigueur au sein des services de renseignements militaires (« L’armée française en Afghanistan. Le génie au combat (2001-2012) » paru chez CNRS éditions en 2016). Elle ne laisse imaginer aucun relâchement de l’intransigeance religieuse et politique à venir. En revanche, la quête de respectabilité au niveau international pourrait se traduire, comme le conclut Adam Baczko, par une attitude moins provoquante à l’extérieur et un double jeu plus délicat à l’égard des groupes Djihadistes.
Lire également :
– Entretien avec Christophe Lafaye sur la situation en Afghanistan : « Le temps joue à l’avantage des Talibans, qui parviennent à utiliser les échéances électorales pour faire pression par la violence »
– Entretien avec Adam Baczko sur la situation en Afghanistan à la suite de la signature de l’accord de Doha : « l’accord passé entre Washington et les Talibans pousse à la guerre civile »
Christophe Lafaye
Christophe Lafaye, est archiviste et docteur en histoire de l’université d’Aix-Marseille, enseignant vacataire à l’université de Bourgogne et chercheur associé à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM).
Sa thèse de doctorat a porté sur « L’armée française en Afghanistan (2001-2012). Le génie au combat », publiée en mai 2016 chez CNRS éditions, pour laquelle il a obtenu le Prix d’histoire militaire 2014 et le Prix de l’UNOR 2016. Il est également officier de réserve de l’armée de Terre et Auditeur de la 199e promotion régionale de l’IHEDN.
Ses travaux actuels portent sur la collecte, l’archivage et la valorisation de l’expérience combattante au XXIe siècle.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Notes
[1] Adam Bazcko, « La matrice idéologique des Taliban est restée inchangée », Entretien avec Fabien Escalona, Médiapart, 17 août 2021.
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