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Entretien avec Clément Steuer – Elections législatives en cours en Egypte (18 octobre-2 décembre 2015) : quel bilan ?

Par Clément Steuer, Mathilde Rouxel
Publié le 04/11/2015 • modifié le 19/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Clément Steuer

Quelles sont les tendances politiques en jeu lors des élections qui se déroulent en Egypte du 18 octobre au 2 décembre ?

Ces élections ont permis la mise en concurrence des différentes tendances de l’opinion soutenant le président Sissi : libéraux (le parti des Egyptiens libres est à ce jour le parti le mieux représenté dans le nouveau Parlement, dont seule la moitié a été élue pour le moment. Le Wafd y figure également en bonne position), partisans de l’ancien régime, nassériens, salafistes du parti Nour, et une partie de la gauche socialiste.

Ont été exclus de la compétition, du fait de la répression qu’ils subissent actuellement, les Frères musulmans et leurs alliés, qui ont annoncé leur volonté de boycotter le scrutin, à savoir : les courants du salafisme politique extérieurs au parti Nour (les Gamaat Islamiya, les « salafistes du Caire », et le parti Watan – dissidents du parti Nour), les islamo-centristes du Wasat, les islamo-socialistes du parti du Travail, et même le parti libéral séculier Ghad Al-Thawra, dirigé par l’ancien candidat à la présidentielle (2005) Ayman Nour.

Enfin, certains partis, bien que hostiles aux Frères musulmans, ont choisi eux aussi de boycotter ce scrutin pour protester contre le retour en politique de figures de l’ancien régime, tels le parti libéral-révolutionnaire al-Destour, proche de l’ancien dirigeant de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, Mohammed El-Baradei, et le parti islamo-centriste de l’Egypte puissante, mené par l’ancien candidat à la présidentielle (2012) Abd Al-Munim Abul-Futuh.

Comment a été perçue la disparition des Frères musulmans du champ politique, écarté pour la première fois depuis 30 ans du processus électoral ?

Cette disparition a évidemment été mal perçue par la tendance islamiste au sein de l’électorat, qui s’est selon toute vraisemblance massivement abstenue. Il reste que l’expérience au pouvoir des Frères musulmans (2012-2013) les a durablement décrédibilisés auprès d’une large fraction de l’opinion, qui considère que l’usage de la religion à des fins politiques est illégitime, et que la mise à l’écart des Frères musulmans est parfaitement justifiée. Une pétition a d’ailleurs circulé pour demander que le parti Nour soit lui aussi écarté de la scène politique au nom des mêmes motifs.

Les élections se déroulent en plusieurs étapes, du 18 octobre au 2 décembre. Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de ces suffrages ?

D’abord, les élections sont organisées en deux étapes, correspondant au vote de deux zones géographiques, afin de permettre aux juges d’être présents dans l’ensemble des bureaux de vote pour surveiller le scrutin. Le sud du pays (y compris Giza), les marges désertiques, et la ville d’Alexandrie ont voté lors de la première étape. Le Caire, ainsi que les régions du Delta et du Canal, voteront ensuite.

Par ailleurs, chacune de ces étapes est divisée en deux tours. Lors du premier tour, les électeurs votent pour une liste, ainsi que pour deux candidats individuels. 120 sièges sont ainsi attribués au scrutin de liste, la liste arrivée en tête dans chaque circonscription (quatre au total) y raflant l’ensemble des sièges. 448 sièges sont par ailleurs pourvus au scrutin majoritaire binominal à deux tours (deux députés sont élus par circonscription). Lors du second tour, les électeurs sont donc appelés uniquement pour choisir entre les candidats arrivés en tête lors du premier tour pour les sièges individuels.

Nous avons donc au total quatre périodes d’ouverture des bureaux de vote de deux journées chacune, auxquelles il faut ajouter les votes des Egyptiens résidant à l’étranger, soit au total 16 jours de vote.

Que peut-on dire de l’opposition politique en Egypte aujourd’hui ?

L’opposition politique égyptienne est désormais divisée selon deux lignes de fracture : l’opposition islamiste et l’opposition séculière, l’opposition au système et l’opposition dans le système. Si la majorité des islamistes est hors du système, les salafistes du parti Nour soutiennent le régime et sont présents au Parlement. A l’inverse, une partie de l’opposition séculière, à commencer par le parti Destour, a refusé de participer au scrutin. Enfin, il existe divers degré d’intégration au régime (entre les partis qui au sein du Parlement soutiendront le gouvernement et ceux qui s’y opposeront) et divers degré d’exclusion, entre les mouvements en butte à la répression, les mouvements tolérés, et ceux qui parviennent à maintenir une activité légale et publique malgré leur position anti-système.

Comment expliquer le très faible taux de participation à ces élections ? Quelle est l’opinion du peuple au sujet de ces élections ?

L’évolution politique des dernières années nous a montré que le peuple égyptien ne parlait pas d’une seule voix, et qu’il existe en son sein des lignes de clivage conséquentes. Notons d’abord que les régions appelées à voter lors de la première étape avaient massivement voté en faveur des islamistes lors des élections de 2011 et 2012, et se sont abstenues davantage que les autres en 2014. On peut donc supposer que l’électorat islamiste ne s’est pas mobilisé, du fait qu’il ne se sentait pas représenté par les candidats en lice cette année. Le taux de participation lors de la seconde phase des élections nous permettra de tester cette hypothèse.

Ensuite, il est indéniable que nous assistons à une démobilisation de certaines des catégories ayant participé à la révolution de 2011, à commencer par la jeunesse, du fait du retour en politique de responsables de l’ancien régime et de candidats de l’ancien parti hégémonique, le parti national démocratique (dissous en 2011).

Enfin, il existe une fatigue du corps électoral, qui est appelé à voter pour la huitième fois en moins de cinq ans, alors que la situation économique au quotidien continue à se dégrader pour une partie importante de la population.

Publié le 04/11/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Clément Steuer est responsable du pôle "Gouvernance et politiques publiques" du CEDEJ (Centre d’études et de documentation économiques juridiques et sociales), en Égypte.
Ses travaux portent notamment sur les partis politiques, le système partisan et les élections dans ce pays. Il a notamment publié, en 2012, un ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, Le Wasat sous Moubarak (Éditions de la Fondation Varenne). En 2013, il a dirigé un numéro de la revue Égypte Monde arabe consacré aux élections de 2011-2012 : http://ema.revues.org/3083


 


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