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Depuis quelques semaines, des incidents se sont déroulés dans le golfe Persique. Puis le jeudi 20 juin, un drone de US Navy qui, selon l’Iran, aurait violé son espace aérien, a été abattu. Le vendredi 21 juin, le président américain Donald Trump a annoncé sur Twitter avoir annulé des frappes aériennes contre trois sites iraniens, programmées à la suite de la destruction du drone américain.
Analyse de cette montée des tensions et de ses implications diplomatiques et économiques par Clément Therme, chercheur pour le programme Moyen-Orient de l’International Institute for Strategic Studies (IISS).
Les autorités iraniennes suivent le slogan du Guide suprême « ni guerre ni négociation » avec l’administration Trump. En effet, la surenchère rhétorique du côté de certains dirigeants, en particulier des responsables militaires des gardiens de la Révolution, se heurte aux moyens militaires limités de l’Iran. On peut ainsi relever les difficultés à mettre en pratique ces menaces de cibler les forces militaires américaines dans la région (cela pourrait menacer les relations de bon voisinage avec le gouvernement irakien par exemple) et à répondre à un blocage de ses exportations de pétrole par les Etats-Unis.
Il apparaît également que l’Iran ne peut pas mettre en œuvre dans la longue durée un blocage du détroit d’Hormuz et ce pour plusieurs raisons. D’abord, la supériorité militaire des Etats-Unis dont la Vème flotte est basée au Bahreïn. Ensuite, le fait que le détroit est utilisé par l’Iran pour faire transiter la majorité de ses exportations pétrolières (10% du total du pétrole passant par le détroit). Enfin, parce que des partenaires majeurs de l’Iran comme la Chine s’y opposeraient en raison du risque d’une flambée des cours du pétrole et aussi parce que la majorité du pétrole transitant par le détroit est à destination des marchés asiatiques.
Ainsi, environ 80% du pétrole passant par ce détroit est exporté vers le marché asiatique. Ce passage joue donc un rôle très important dans le développement économique de pays asiatiques comme la Chine, l’Inde, le Japon ou la Corée du Sud. Le message de l’Iran est le suivant : soit tout le monde peut exporter son pétrole, soit personne. Cependant lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et pendant les précédentes sanctions pétrolières américaines en 2011-2012, en dépit des menaces rhétoriques, l’Iran n’a jamais mis à exécution la fermeture par des moyens militaires (minage et utilisation de petits bateaux) du détroit.
L’envoi de soldats américains au Moyen-Orient fait partie de la guerre de propagande que se livrent Téhéran et Washington. Il s’agit officiellement d’anticiper une réponse militaire iranienne à la politique américaine de confrontation tous azimuts avec la République islamique.
Ces tensions récentes s’expliquent d’abord par le changement de politique iranienne par Washington. Derrière ce dangereux bras de fer irano-américain, c’est la possibilité pour Téhéran de continuer d’exporter son pétrole qui se joue actuellement dans le Golfe. Téhéran risque de continuer à envoyer des messages pour exporter davantage que 500.000 barils par jour, car le bon fonctionnement de l’économie, en Iran, nécessite au minimum un million de barils par jour d’exportation pétrolière.
C’est pour cela que Téhéran cherche à faire évoluer la position américaine. L’Iran exige la levée des sanctions économiques américaines comme préalable à l’établissement d’un canal de discussion direct avec Washington. Pour les autorités iraniennes, Trump doit arriver à la conclusion qu’il doit acheter la paix avec la République islamique pour se faire réélire. L’Iran a compris que Trump est coincé entre son électorat hostile à la guerre et ses conseillers radicaux, qui y sont favorables. Mais dans les prochains mois, le Président américain a surtout besoin de son électorat et ne peut donc apparaître comme le responsable du déclenchement d’une guerre contre l’Iran.
La politique iranienne de l’Administration Trump a été en fait plutôt bien reçue dans plusieurs pays européens, comme la France, où il y a, au sein de la haute administration, beaucoup de personnes qui défendent des positions radicales sur l’Iran. Il faut se rappeler de l’opposition française à la politique iranienne de l’Administration Obama que le Quai d’Orsay n’avait suivie que tardivement. Dans l’ensemble, il y a un consensus dans les appareils sécuritaires, dans les “Etats profonds” occidentaux sur la “menace iranienne”, et sur les limites inhérentes à tout dialogue avec la République islamique d’Iran.
On peut se demander si les banques familiales ou régionales européennes, qui ont toujours des liens financiers avec l’Iran, vont continuer à travailler dans ce pays. On peut aussi se demander si le mécanisme INSTEX va fonctionner. On dit désormais qu’il faudrait que les Iraniens fassent leur part du travail pour le faire fonctionner, mais peu de gens, dont beaucoup d’Européens, y croient encore. Les représentants d’INSTEX et de Bercy souffrent en effet d’un manque de crédibilité auprès des milieux d’affaires français quand ils défendent le mécanisme.
En somme, les partisans de la ligne dure contre l’Iran au sein des pays européens sont maintenant confortés face aux partisans du dialogue et de l’ouverture. Mais cette dynamique était déjà à l’œuvre avant, en raison de l’affaiblissement du président Rouhani lors du second mandat face au Guide. C’est cette même dynamique politique qui avait déjà freiné l’ouverture voulue en son temps par Khatami entre 1997 et 2005.
Du point de vue des Russes, il s’agit d’une opportunité diplomatique pour se présenter comme la puissance pragmatique contre l’inconstance des positions américaines et l’impuissance européenne, et se poser en médiateur en Syrie, au Yémen, en Irak et dans le golfe Persique. Le pouvoir russe est cependant dans une situation délicate, puisque Moscou a besoin de la carte iranienne pour compenser son déficit profond de puissance face aux Etats-Unis, mais ne peut en même temps pas risquer un refroidissement avec les Etats-Unis au nom de l’Iran, notamment parce que les achats d’armes russes par l’Iran sont faibles ces dernières années, et qu’il a besoin de relations économiques à minima avec les Etats-Unis (dollars, systèmes de paiement, allégement des sanctions). A ce titre, le fonctionnement difficile des canaux financiers russo-iraniens est révélateur : il n’y a pas de demande forte iranienne pour des produits russes, au-delà de l’armement et du nucléaire civil.
Cette nouvelle politique américaine va également renforcer une tendance actuelle consistant pour la République de Chine à limiter, ou du moins à tenter de minimiser, ses relations économiques avec l’Iran. Huawei a ainsi déclaré, lors des négociations sur la 5G en Europe, qu’il allait réduire son exposition sur le marché iranien. Ainsi, l’exemple du changement de politique américaine sur la question iranienne démontre la capacité des Etats-Unis à définir l’agenda stratégique occidental. Le monde des affaires européen respecte les normes américaines, et de ce fait toute décision américaine modifie de fond en comble le destin politique et économique de l’Iran. In fine, il apparaît une impuissance européenne à définir une ligne indépendante des Etats-Unis s’appuyant sur les capacités économiques du secteur privé européen.
L’Iran a proposé un pacte de non-agression avec les pays voisins tout en estimant que la présence militaire américaine dans la région est une menace pour la sécurité internationale. Cette stratégie s’explique par la volonté du gouvernement iranien « modéré » de présenter une politique alternative aux radicaux en Iran, qui pourraient utiliser la région comme un champ de bataille contre l’armée américaine. Par ailleurs, il apparaît difficile pour l’Iran de nouer des relations de bon voisinage avec les pays de la région, tout en entretenant des relations avec des groupes non-étatiques ou semi-étatiques (Hezbollah libanais ou les milices chiites en Irak), comme un moyen de se confronter militairement avec les États-Unis.
L’Irak est ainsi écartelé entre les États-Unis et l’Iran. L’escalade militaire entre les deux pays menace la reconstruction économique de l’Irak, où des troupes américaines sont stationnées. Ainsi, les Etats-Unis essaient de transformer la vocation de la coalition militaire contre Daech en une coalition militaire internationale qui lutterait contre l’influence iranienne dans la région. Les responsables irakiens, eux, redoutent ces tensions car ils sont souvent à la fois pro-américains et pro-iraniens. L’influence iranienne est incontournable avec un commerce de 12 milliards de dollars pour l’année 2018. L’Iran est donc l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Irak. Et en même temps, la présence militaire américaine et le soutien américain, notamment dans le domaine pétrolier - pour l’exportation du pétrole irakien et l’augmentation de la production pétrolière -, sont aussi décisifs. Cette volonté d’avoir des relations constructives avec Washington et Téhéran est plus difficile à mettre en œuvre à l’époque de Trump que sous l’Administration Obama, puisqu’il y a aujourd’hui une politique de confrontation avec l’Iran.
Au-delà du territoire irakien, cette escalade militaire menace la prospérité économique des pays de la rive arabe du golfe Persique. Il est donc probable que des Etats comme Oman, le Qatar ou même les Emirats arabes unis s’efforcent de modérer la politique iranienne de l’Administration Trump en essayant d’empêcher que la politique d’asphyxie économique de Washington contre la République islamique ne se transforme en confrontation militaire ouverte dans le golfe Persique.
Lire également :
Crise dans le golfe Persique : le face-à-face irano-américain
Lire également les articles de Clément Therme :
– Clément Therme, Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979
– La crise syrienne : vers la formation d’une alliance irano-russe dans le nouveau Moyen-Orient ?
– Entretien avec Clément Therme - Dans le cadre de la crise syrienne : historique des relations entre l’URSS / Russie et le Moyen-Orient
– Iran : quels bénéficiaires politiques de la levée graduelle des sanctions économiques ?
– L’Iran et la Russie : entre connivence et méfiance
– Entretien avec Clément Therme – Rivalité et regain de tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
Clément Therme
Clément Therme est Membre associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBAC) et du Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques (CADIS) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Docteur en Histoire internationale de l’IHEID et docteur en sociologie de l’EHESS, il est notamment l’auteur de Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012) et le co-directeur de l’ouvrage Iran and the Challenges of the Twenty-First Century (Mazda Publishers, 2013).
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Francis Perrin est chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur l’histoire de l’industrie du pétrole, analyse la manière dont l’or noir a bouleversé la (...)
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