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Entretien avec Daniel Meier : « Le Hezbollah ne veut pas entrer dans un conflit ouvert avec Israël »

Par Daniel Meier, Ines Gil
Publié le 05/09/2024 • modifié le 05/09/2024 • Durée de lecture : 6 minutes

Daniel Meier

Après les violences du 25 août, l’attaque dite “préventive” d’Israël au Liban et la riposte du Hezbollah contre Israël, le chef du groupe chiite Hassan Nasrallah a affirmé que l’opération était terminée, et il semble que l’on assiste maintenant à un retour au calme dans le Sud-Liban. Comment analysez-vous cette montée de violences ?

La riposte du Hezbollah intervient dans un contexte particulièrement tendu dans la région. En prenant en compte les variables belligènes, on observe une tendance israélienne à chercher un prétexte pour lancer de plus grandes opérations militaires destructrices et donc étendre possiblement le conflit ouvert au Liban.

De son côté, le Hezbollah - tout comme l’Iran - ne veut pas entrer dans un conflit ouvert avec Israël. Cette riposte le montre. Le groupe chiite n’est d’ailleurs pas entièrement souverain sur les décisions de la guerre et de la paix au Liban, il doit aussi prendre en compte l’agenda iranien. A ce titre, l’Iran a donné le ton sur ce que pouvait être une réplique mesurée à la mi-avril, son offensive en réponse à l’attaque sur le consulat iranien en Syrie était une réplique spectaculaire certes, mais peu dangereuse sur le plan militaire pour Israël. L’opération avait été préparée pour ne pas plonger la région dans une guerre totale. Il apparaît clairement que le Hezbollah s’est inspiré de cette riposte iranienne pour l’opération du 25 août.

La riposte du Hezbollah est donc avant tout une riposte symbolique ?

Absolument. Le Hezbollah refuse de donner un prétexte au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou pour entrer dans une guerre ouverte. Benyamin Netanyahou a besoin de continuer la guerre, à Gaza ou au Liban, puisqu’elle lui garantit, pour le moment, de rester à son poste. S’il perd le pouvoir, le Premier ministre israélien devra rendre des comptes sur le 7 octobre et auprès de la justice pour ses affaires de corruption.

Hassan Nasrallah a affirmé dans un discours que la principale cible durant la riposte était la base israélienne de Glilot, où se trouve la principale unité de renseignement militaire, « à 110 kilomètres de la frontière libanaise et à 1 500 mètres de Tel-Aviv ». L’armée israélienne dément que ce site a été touché. Récit contre récit, on ignore qui est vraiment sorti gagnant de ce nouveau cycle de violences. Une aubaine pour Israël comme pour le Hezbollah ?

Effectivement, c’est une solution gagnant-gagnant. Côté israélien, on affirme que la riposte n’a eu aucun effet, et qu’en plus, l’armée israélienne aurait lancé des frappes préventives sur “des milliers de cibles”, ce qui paraît surdosé par rapport à la réalité. Et du côté du Hezbollah, on se satisfait d’une opération minimale, cela ne correspond en aucun cas à ce que le Hezbollah avait l’habitude de faire dans son conflit avec Israël. Par ailleurs, Hassan Nasrallah a dit dans son discours qu’il allait faire une évaluation de l’opération et que si les résultats étaient ceux escomptés, la riposte serait considérée comme un succès. C’est ici assez clair, le Hezbollah cherche une porte de sortie. Il joue avec le temps.

Néanmoins, il y a plusieurs effets pervers à cette riposte :
 Le Hezbollah apparaît plus affaibli sur la scène libanaise, il y a une usure de son capital symbolique. Cela pourrait encourager la direction militaire israélienne à mener d’autres opérations, par voie aérienne, pour tuer d’autres hauts responsables du mouvement chiite à Beyrouth et ailleurs.
 Cet affaiblissement a des effets sur l’image du mouvement auprès des Libanais, qui ne sont pas dupes. Ils voient que la dissuasion ne fonctionne plus comme avant. D’un côté, certains Libanais (minoritaires) sont déçus car ils voulaient voir une conflagration plus large, et de l’autre côté, d’autres Libanais (majoritaires) voient seulement un Hezbollah affaibli et veulent que la guerre se termine. Le mouvement chiite est donc dans une situation très délicate au Liban. Après cette riposte minimale, en dehors de ses fervents soutiens, c’est le scepticisme qui prédomine aujourd’hui du côté de la population libanaise quant à l’effectivité des actions militaires du groupe chiite contre Israël.

L’État hébreu franchit les lignes rouges au Liban de plus en plus facilement. Qu’est-ce que cela signifie pour le Hezbollah ? Le groupe chiite semble avoir le choix entre : aller vers une guerre ouverte qu’il ne veut pas, ou accepter un affaiblissement sur la scène locale

Oui, cette tension est réelle pour le Hezbollah. Les règles d’engagement ont été redéfinies depuis le début de la guerre, le mouvement chiite apparaît affaibli, il réagit moins malgré les lignes rouges franchies par Israël. On voit la différence avec la stratégie du Hamas, beaucoup plus radicale. Selon moi, Yahya Sinwar a été déçu par la faiblesse de la réplique du 25 août.
Cela montre bien que l’agenda libanais est plus important pour le Hezbollah que le soutien au Hamas et à Gaza.

Peut-on parler d’une plus grande “libanisation” du Hezbollah ?

Cette “libanisation” est ancienne, elle a été accélérée par la participation du mouvement chiite au gouvernement à partir de 2005, et elle a pris un tournant plus fort à partir de la crise économique, durant laquelle le Hezbollah apparaît comme un défenseur du statu quo institutionnel.

D’ailleurs, durant la révolte d’octobre 2019, le slogan des manifestants “kouloun ya3ne kouloun” (tous, vraiment tous), signifiait que le Hezbollah était considéré, comme les autres groupes libanais, comme responsable de la situation financière. Son rôle dans la politique libanaise, cette “libanisation” s’est donc normalisé auprès de la population libanaise.

Depuis le début de la guerre, Hassan Nasrallah conditionne la fin des combats dans le Sud-Liban à un cessez-le-feu à Gaza. Les Etats-Unis et la France ont d’ailleurs récemment adopté cette position. Néanmoins, les négociations pour un cessez-le-feu entamées le 15 août n’ont pour le moment pas abouti à un arrêt des combats. Peut-on imaginer que le Sud-Liban devienne à terme une zone tampon inhabitable ?

Il semble assez difficile de dire ce qui convient réellement à Israël sur le front nord. Le discours politique en Israël est celui du retour des habitants du nord de la Galilée dans leur domicile. Mais le discours des Galiléens eux-mêmes, qui sont par ailleurs un groupe très divers sur le plan social, religieux et communautaire, est un narratif d’un nord abandonné par le centre. Ils considèrent que le centre ne fait rien pour eux, ils exigent de plus en plus une solution durable pour assurer la sécurité dans le nord.

La guerre ouverte pourrait-elle apporter une solution dite “durable” ? Rien n’est moins sûr. Il y a donc de plus en plus de pression, de la part des déplacés de guerre du nord, pour un cessez-le-feu à Gaza, car c’est cela qui permettra l’arrêt des combats avec le Hezbollah. D’autres habitants du nord sont au contraire partisans d’une solution radicale, comme l’éradication du Hezbollah.

Néanmoins, aujourd’hui, on imagine mal le gouvernement israélien affirmer que le Hezbollah doit être éradiqué, les dirigeants israéliens ont fait une fois cette erreur en 2006, ils ne vont pas la faire de nouveau. Pour stopper les combats dans le nord, arrêter la guerre à Gaza semble être la solution la plus raisonnable à terme. La guerre coûte d’ailleurs trop cher à Israël et à terme, les Etats-Unis vont arrêter de payer pour ce conflit.
Sans parler de solution politique dans le nord, on pourrait imaginer le retour à une solution statu quo ante.
Mais si Israël privilégie la solution militaire, cela deviendrait impossible pour les habitants de Galilée de revenir chez eux, Metula pourrait alors devenir une ville morte, ce n’est pas soutenable ou positif pour les populations libanaise et israélienne.

Enfin, contrairement à ce que certaines rumeurs affirment, je ne pense pas qu’Israël puisse de nouveau occuper le Sud-Liban.

Dans les camps palestiniens, notamment au Sud-Liban, il semble que le Fatah soit de plus en plus séduit par la stratégie du Hamas. Que sait-on de la mobilisation des groupes palestiniens au Liban ?

La carte politique palestinienne au Liban est bien différente de la carte politique palestinienne dans les Territoires palestiniens occupés.

Jusqu’en 2017, qui correspond à l’arrivée de Saleh al-Arouri (numéro 2 du Hamas en charge de la Cisjordanie, tué dans une attaque attribuée à Israël en janvier dernier) et la prise de contrôle de Yahya Sinwar à Gaza, le Hamas n’était pas très actif au Liban. Contrairement au Fatah, qui faisait des démonstrations de force notamment à Ein el Helweh contre les groupes islamistes. Mais surtout après 2017, il y a eu un redéploiement des forces.

Après s’être positionné contre le régime de Bachar al-Assad à partir de 2012, le Hamas s’était brouillé avec Téhéran. Mais ces récentes années, sous l’égide du Hezbollah, il a entamé sa réconciliation avec l’Iran. Avec l’arrivée de Yahya Sinwar et Saleh al-Arouri en 2017, le militantisme du Hamas s’est intensifié au Liban, avec le renforcement de l’axe de la résistance au courant de l’année 2021.

Le Fatah, dans ce contexte, s’est trouvé d’une certaine façon minorisé au Liban. D’autant plus que la guerre à Gaza a retourné l’opinion publique palestinienne dans les camps de réfugiés, où la popularité du Hamas a grimpé. La guerre a eu un effet de radicalisation. En conséquence, le Fatah suit le mouvement en se radicalisant. Au Liban, le clivage Hamas-Fatah est donc de moins en moins marqué au niveau de la base militante.

Publié le 05/09/2024


Daniel Meier est docteur en sociologie politique et chercheur associé à l’IFPO et au CEMAM (Université Saint-Joseph, Beyrouth). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur le Liban et sur le Moyen-Orient.


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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