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Enrico de Angelis est un chercheur en médias spécialisé sur le monde arabe. Il a enseigné en tant que professeur adjoint à la Faculté Roberto Ruffilli de l’Université de Bologne et a obtenu son doctorat en 2009 dans le département des Sciences de la Communication de l’Université de Salerne, avec une recherche sur les médias syriens.
Il est l’auteur d’une monographie sur la relation entre médias et conflits et a publié de nombreux articles sur le rôle des nouveaux médias et les dynamiques de la sphère publique en réseau dans le monde arabe.
Il vit au Caire depuis septembre 2011. Il a réalisé son post-doctorat au CEDEJ de 2012 à 2014, et a été en 2016 professeur contractuel à l’Université Américaine du Caire. Il est fondateur de l’agrégateur web SyriaUntold et est actuellement analyste des médias pour FPU - Free Press Unlimited.
Lire la partie 1 : Entretien avec Enrico De Angelis – Pratiques des réseaux sociaux dans la mobilisation syrienne contre le régime de Bachar al-Assad (1/2) : les débuts de la contestation
Il s’agit là de la troisième phase, lorsque la révolte a commencé à s’armer, à partir de 2012. A ce moment-là émergent des groupes islamiques, présents jusque alors mais pas aussi importants. On est également dans une phase un peu plus organisée : les Syriens se connaissent mieux, fonctionnent davantage en réseau. Mais bien qu’il y ait plus de connexion, de crédibilité, une nouvelle division apparaît avec l’émergence d’une force islamiste. YouTube et Facebook dans ces cas là entrent dans une guerre plus traditionnelle de propagande, davantage qu’une mise en réseau comme ce qui s’opérait jusque-là. Parce que d’un autre côté, les Syriens qui s’étaient organisés en réseau pour ouvrir des pages plus disciplinées se rendent compte à partir de la fin 2012 que l’activisme en ligne ne marche pas. Il n’a jamais marché vraiment, mais cette nouvelle situation des Syriens fait que les activistes se trouvent devant une impasse. S’ils veulent avoir un impact, ils doivent s’organiser et créer une production médiatique capable de fournir du contenu. En même temps, ils perçoivent de la population un « ras le bol » des slogans révolutionnaires, trop partisans : les gens perdent leur maison, fuient, s’exilent. Les activistes prennent conscience du fait que la société syrienne est en train de disparaitre. Le but, désormais, est de regagner la confiance de la population mais aussi de ne plus parler seulement de guerre, mais surtout de la Syrie : la société civile, les choses que partagent les Syriens au quotidien, des chansons, amuser les gens. Ils commencent à cette période-là, à partir du début de l’année 2012, préparant une explosion à mi-2012 des médias indépendants. Après cela, internet demeure important, puisque ces médias restent sur internet, seule base stable, bien qu’ils essaient de créer des radios, des journaux papiers pour avoir le plus d’impact possible sur la société en Syrie. Ce fut un échec : les milices du pouvoir contrôlent les régions, il est difficile de distribuer une presse indépendante, de laisser passer les ondes radios.
Quelques expériences cependant comme Radio Fresh, qui a eu un peu d’impact dans la région d’Idlib et Radio Nasaem à Alep, qui ont plus de poids au niveau de la société civile : les activistes proposent du training, offrent des espaces pour les enfants et, en plus, proposent des radios. J’ai néanmoins l’impression que la majorité des radios ont une importance surtout à l’international, dans la mesure où elles rendent présente la mobilisation des activistes pour les médias étrangers. Elles œuvrent aussi afin d’avoir des financements pour continuer à agir. Mais sur le territoire, ces médias ont un impact très limité. Ils ont un public : les gens interagissent ; mais comparé à l’effort fourni, c’est peu de chose.
Aujourd’hui, les Syriens se trouvent dans des situations très différentes. Dans les régions administrées par le régime, dans celles administrées par Daesh ou par plusieurs groupes, la question du parti à prendre se pose en permanence : il est difficile d’accepter des compromis avec des groupes comme par exemple Jabhat al-Nosra, que l’on ne peut réellement critiquer dans ces médias indépendants s’ils souhaitent continuer à exister et à lutter, mais avec lesquels ces journalistes doivent éviter de faire de réels accords s’ils veulent subsister en cas de changement de domination locale.
Tous ces groupes ont un accès différent aux médias : cela dépend donc de quelles populations, dans quelles aires géographiques l’on parle. Naturellement, les Syriens dans les régions administrées par le régime ont les médias du régime. Ils peuvent regarder Al Jazeera et s’ils ont internet, ils peuvent l’utiliser chez eux : en effet, une fois la guerre civile advenue, et le régime, par deux fois, ayant failli tomber, celui-ci n’avait plus vraiment la possibilité ni la volonté de contrôler internet. Ce n’était plus le problème principal ; aujourd’hui, le problème est les jihadistes qui bombardent. Internet est donc toujours très utilisé et très important pour diffuser les informations.
A partir du moment où la plupart des mouvements initiaux de la révolution ont été chassés du pays mais ont eu accès à des financements, des réseaux internationaux, qu’ils ont pu ouvrir des médias, la question s’est posée autrement avec les acteurs locaux. Les activistes peuvent toujours agir depuis l’étranger ; ils ont toujours des contacts avec les gens de l’intérieur pour organiser des campagnes, notamment. Internet est très important pour garder toute cette communauté. Les activistes de Jordanie, du Liban, d’Egypte, de Turquie, d’Allemagne, de France peuvent communiquer via internet. Ils ont formé un environnement de société civile qui va être important dans la Syrie de demain. Cependant, comme source d’information, ce sont les télévisions qui restent les plus importantes.
Là encore, tout dépend des régions. Il est clair que les jihadistes bloquent les journalistes, la diffusion notamment des copies imprimées de journaux papiers, mais aussi éventuellement les radios locales, etc. L’information est contrôlée, mais il est difficile de contrôler l’accès des gens aux médias. On trouve des espaces dans une guerre civile ; le problème se pose davantage pour les journalistes et les institutions médiatiques qui souhaiteraient construire quelque chose de stable – mais cette stabilité rend impossible la critique sans mettre en danger les journalistes en question.
Il est difficile de penser où sont les publics des médias en question (journaux papiers, radio, télévision satellitaire, internet), et comment les informations concernant la situation en Syrie déployées dans ces médias sont reçues. En tout cas, les médias qui sont nés sont véritablement capables de proposer un journalisme beaucoup plus professionnel, tant sur texte que sur vidéos. Ils ont aujourd’hui des financements, ils reçoivent des caméras de bonne qualité, ce qui permet une meilleure qualité d’images, donc d’information. Par ailleurs, même s’il s’agit encore de médias partisans, suivant la lutte des rebelles contre le régime, ils ont désormais une approche beaucoup plus journalistique et ne veulent pas refaire les mêmes erreurs qu’au début du conflit. La question, d’ailleurs, n’est plus de mobiliser des gens : ces médias pensent au futur, cherchent à recréer des médias pour la future Syrie, et donc à reconstruire une crédibilité en adoptant des valeurs journalistiques. Cependant, il est difficile de savoir pour le moment si ces médias seront en mesure de reconstruire ce champ médiatique à l’intérieur de la Syrie. Concurrencer la BBC Arabic ou Al-Jezeera demeure impossible ; mais il s’agit d’un processus qui, déjà, porte ses fruits. Si les journalistes, aujourd’hui exilés en Europe, reviennent en Syrie avec de nouvelles compétences, on pourra dire alors si cette professionnalisation change ou non le paysage médiatique – ce qu’il est impossible d’avancer aujourd’hui. On peut toutefois noter qu’ils ont déjà su dépasser le media activism, et qu’ils ont également su exister : ils sont là, même si le public est limité, et que l’impact est pour l’instant moindre.
Des journalistes peuvent encore entrer en Syrie, bien que depuis la fermeture de la frontière avec la Turquie ce soit devenu plus difficile. Des journalistes couvrent à travers des sources de l’intérieur, qu’ils obtiennent en effet parfois avec ces médias. Seulement, la majorité de ces médias sont en arabe, diffusés par des réseaux qui s’étendent désormais jusqu’à l’extérieur du pays grâce aux activistes exilés, ce qui donne malgré tout un accès facilité à l’information. Si ces gens peuvent résister de l’intérieur, c’est aussi parce qu’ils sont freelance, payés par des organisations internationales. Même une organisation comme Syria Untold, pour laquelle je travaille et qui est vraiment une niche, est très suivie : nous avons près de 2000 followers sur Twitter, plus de 11 000 sur Facebook et la plupart d’entre eux sont des journalistes. Ils explorent de plus en plus des navigations entre médias internationaux et la Syrie. Aujourd’hui, il y a des liens, des organisations entre les médias internationaux et la Syrie qui se construisent, et un réel soutien de la part des organisations internationales aux médias qui renseignent sur la Syrie. On sait tous néanmoins que les médias qui se construisent aujourd’hui ne seront plus les mêmes sous un régime redevenu stable, mais ils sont malgré tout d’une importance capitale à l’échelle de la circulation de l’information à travers le monde et de la reconstruction d’un journalisme en Syrie.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
Enrico De Angelis
Enrico De Angelis est un chercheur en médias spécialisé sur le monde arabe. Il a enseigné en tant que professeur adjoint à la Faculté Roberto Ruffilli de l’Université de Bologne et a obtenu son doctorat en 2009 dans le département des Sciences de la Communication de l’Université de Salerne, avec une recherche sur les médias syriens.
Il est l’auteur d’une monographie sur la relation entre médias et conflits et a publié de nombreux articles sur le rôle des nouveaux médias et les dynamiques de la sphère publique en réseau dans le monde arabe.
Il vit au Caire depuis septembre 2011. Il a réalisé son post-doctorat au CEDEJ de 2012 à 2014, et a été en 2016 professeur contractuel à l’Université Américaine du Caire. Il est fondateur de l’agrégateur web SyriaUntold et est actuellement analyste des médias pour FPU - Free Press Unlimited.
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