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Entretien avec Fadia Kiwan – Quelle configuration politique après l’élection du président libanais ?

Par Fadia Kiwan, Mathilde Rouxel
Publié le 21/11/2016 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Fadia Kiwan

Que pouvez-vous dire des élections récentes d’un président de la République libanaise ?

Il s’agit d’une situation inédite, qui ouvre une nouvelle page pour le pays. Il s’agit en effet véritablement d’un tournant dans l’histoire du Liban, en ce qu’il a su imposer une dynamique interne, contrairement aux expectatives de la plupart des politologues qui posaient comme condition de possibilité du changement un apaisement venu de la Syrie. Jusqu’ici, la présidence faisait l’objet de négociations à l’échelle régionale, les forces en présence étant notamment capables d’un droit de veto sur le président sortant. Au contraire, cette élection-ci fut une véritable surprise : née d’une dynamique interne qui a permis un consensus entre toutes les parties, elle a accompagné une dédramatisation régionale importante pour l’avenir du pays. À mon sens, cette élection est l’aboutissement des premiers efforts faits par trois des principaux mouvements politiques en présence pour s’adapter à la situation. Ces efforts ne sont toutefois pas unanimes : on sent encore les réticences du président de la Chambre des députés, Nabih Berri, et du parti des Phalanges chrétiennes, qui ont encore du mal à accepter le résultat de ces élections.

Je pense par ailleurs qu’il est important d’évoquer la massive campagne médiatique qui a accompagnée ces élections. Il me semble en effet qu’elle a contribué et contribue toujours à l’émotion générale ; récemment, les journalistes ont fait circuler des noms pour la composition future du gouvernement – pour soutenir ou pour embarrasser le travail en cours. Il faut prendre du recul sur l’anticipation excessive des médias à l’égard des choix politiques qui seront prochainement adoptés.

Quels sont les grands enjeux de la composition du futur gouvernement ?

Le seul enjeu important est aujourd’hui de savoir si le gouvernement sortant sera un gouvernement au partage inclusif – et donc si les mêmes figures que celles du gouvernement précédent réapparaîtront, chargées des mêmes portefeuilles – ou s’il s’agira d’un gouvernement destiné à satisfaire les principaux protagonistes de l’élection. Il s’agit de la plus grande incertitude qui demeure aujourd’hui sur la composition de ce gouvernement – elle pose en réalité la question de savoir si le président se pliera aux rapports de force actuels ou s’il fera preuve de nouveauté. Personnellement, je n’exclus pas l’idée que les pressions obligent la constitution d’un gouvernement de technocrates. D’autre part, il faut également prendre en compte les élections législatives qui auront lieu dans quelques mois ; en raison de ces élections, le gouvernement qui doit être prochainement composé sera de fait démissionnaire dans quelques mois. D’un point de vue stratégique, il vaut mieux pour ceux qui souhaitent se présenter à ces élections qu’ils n’intègrent pas dès aujourd’hui le gouvernement.

Qu’en est-il de la place des femmes dans ces reconfigurations politiques ?

J’appartiens moi-même à une alliance de femmes qui a pour objet de faire entrer activement les femmes dans la vie politique libanaise. Nous souhaiterions notamment imposer un quota de femmes dans les élections législatives. Nous avons rencontré il y a peu le Premier ministre, Saad Hariri, avec lequel nous avons discuté de ces questions. Nous avons également discuté du débat suscité par l’éventuelle création d’un ministère pour les Affaires de la femme, qui à mon sens risquerait d’entraver le travail de la Commission Nationale pour la Femme Libanaise créé en 1998 (1). Toutefois, l’entretien que nous avons eu avec le Premier ministre s’est révélé encourageant : il semble animé par une conviction profonde que la présence des femmes au gouvernement – et, surtout, indépendamment des affaires des femmes – est d’une grande importance. On ne peut pas encore affirmer que celles-ci seront nombreuses au gouvernement, mais le Premier ministre semble inciter ses partenaires à proposer des femmes parmi les candidats aux ministères.

Pouvez-vous rappeler le rôle et le fonctionnement de la Commission Nationale pour la Femme Libanaise ?

La Commission Nationale pour la Femme Libanaise est le principal organe de défense du droit des femmes au Liban, créé en 1998 en application des textes issus de la conférence de Pékin. Son rôle demeure malheureusement exclusivement consultatif.

Dans la loi, c’est au président de la République de nommer la présidente de la Commission nationale. La Commission fut officiellement créée en 1998, soit à la fin du mandat d’Élias Hraoui. Au début du mandat d’Émile Lahoud, la commission provisoire de suivi du plan d’action de Pékin, le comité fondateur dont je faisais partie, a démissionné. C’était à Lahoud de former la première commission à la lumière de la loi. Il a nommé sa femme, une femme respectable qui n’hésitait pas à déléguer son pouvoir décisionnaire à la Secrétaire Générale qu’elle avait nommée. On ne sentait ainsi nullement le poids de la présidence peser sur la commission.

Michel Suleiman, arrivé au pouvoir en 2008, assura une succession qui s’est faite dans les mêmes termes : il nomme sa femme, qui délègue à son tour beaucoup de pouvoir à son Secrétaire Général, en poste jusqu’à aujourd’hui. Elle a été très encourageante. Par ailleurs, avec son plaidoyer en faveur des femmes, le président Suleiman en a nommé successivement deux aux postes de ministre, et s’est rapidement révélé, lui aussi, très encourageant. On peut ainsi constater que depuis le premier comité de direction de 1999, la Commission compte dans ses rangs des femmes de responsables politiques en poste. La suite fut cependant marquée par quelques évolutions, et il est remarquable que le comité est malgré tout formé par des personnes qui ont des convictions militantes dans le domaine, et qu’il n’y a pas de népotisme. Le réel handicap de cette commission est avant tout son caractère non pas exécutif mais simplement consultatif, ainsi que la difficulté à obtenir des financements suffisamment conséquents – bien que le financement de la Commission nationale soit inscrit dans le budget prévisionnel de l’État.

C’est pour cette raison que la création d’un ministère pour les Affaires des femmes me semble discutable. Il est nécessaire en effet de s’assurer avec le Président de la République que les terrains des deux organismes (le ministère et la commission) ne se chevauchent pas. Nous verrons lorsque le nouveau gouvernement sera annoncé de ce qu’il adviendra de cette question des femmes, mais je suis aujourd’hui très confiante et optimiste.

(1) Fadia Kiwan fut elle-même l’une des principales instigatrices de cette commission. Elle fut notamment la rédactrice du projet de loi qui inscrivait cette commission à un niveau politique.

Publié le 21/11/2016


Fadia Kiwan est titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences politiques de l’Université de Paris I Sorbonne, et d’un C.A.P.E.S en philosophie et en psychologie de la Faculté de Pédagogie de l’U.L.
Elle est professeur de sciences politiques et directrice de l’Institut des Sciences Politiques de l’Université Saint-Joseph.
Fadia Kiwan représente le Président de la République libanaise au Conseil permanent de la francophonie et le Liban dans l’Organisation de la femme arabe.


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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