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Entretien avec Igal Kohen, réalisateur du documentaire multimédia Une Oasis sur la colline

Par Igal Kohen, Lisa Romeo
Publié le 04/01/2012 • modifié le 03/05/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Crédit photo : Igal Kohen

Pouvez-vous nous rappeler, dans un premier temps, votre parcours ?

J’ai suivi des études de communication et de journalisme. Je me suis orienté, dans un premier temps, vers le montage. J’ai monté un certain nombre de publicités, de documentaires, de courts-métrages et de films pour les entreprises. J’ai tourné un premier documentaire en Papouasie-Nouvelle-Guinée. J’ai ensuite créé une société de production pour me concentrer véritablement sur ce qui me plaisait vraiment, le documentaire. Après avoir fait plusieurs petits et moyens projets je suis arrivé à ce film, Une oasis sur la colline, qui me tenait particulièrement à cœur.

Comment avez-vous eu l’idée de réaliser un documentaire sur Israël et sur les relations entre Juifs et Arabes israéliens ?

Je procède toujours en m’interrogeant sur mon identité, c’est ma matière première. En l’occurrence je suis de confession juive et j’ai de la famille en Israël même si j’ai toujours pris du recul face à cette identité. Je suis également turc et français. Selon moi, quand on a les moyens d’agir pour faire circuler une information au sujet du conflit au Moyen-Orient, il faut le faire avec rigueur pour être légitime. Effectivement, de nombreux documentaires ont été réalisés en Israël, mais j’ai juste eu envie de parler de ce village là.

Comment avez-vous découvert le village de Neve Shalom-Wahat Al Salam ?

Je connaissais la petite nièce d’Anne Le Meignen, la fondatrice du village, et c’est elle qui m’a fait découvrir le village de Neve Shalom au cours d’un voyage en Israël. Après avoir longuement discuté avec Anne Le Meignen, qui m’a très bien expliqué le fonctionnement du village, j’ai souhaité y retourner afin de réaliser un projet plus conséquent.

Comment a-t-on pu parvenir à construire ce village en Israël ?

Bruno Hussar, qui est à l’origine du village, a un parcours très spécial. Il a voulu créer un lieu de rencontre des trois religions monothéistes qui ne soit pas très loin de Jérusalem et en Israël. Il a entendu parler d’un terrain non exploité qui appartenait à l’abbaye de la Trône et a donc demandé l’autorisation de s’y installer. Cela n’a pas été facile au début. Il n’y avait rien à part quelques cailloux et des ronces, comme l’explique Anne Le Meignen dans le film. Les initiateurs du projet dormaient sous des tentes, sans eau, n’y séjournant au début qu’une partie de l’année. Petit à petit, ils ont accueilli une famille arabe, une famille juive et puis ils ont habité ensemble. Ils ont pu installer l’électricité et l’eau et c’est devenu un village, un endroit de vie avec des règles de parité, juives et arabes, et où les gens viennent et construisent eux-mêmes leur maison. C’est une idéologie un peu kibboutz qui a ensuite évolué. Anne Le Meignen a rédigé un album qui reprend les quarante ans d’histoire du village à travers des photos et des notes qu’elle a rédigées. C’est assez émouvant.

Peut-on parler aujourd’hui de Neve Shalom-Wahat Al Salam comme d’une destination touristique en Israël ?

Le village existe depuis quarante ans et il est aujourd’hui relativement connu en Israël. Ce n’est pas devenu un site touristique en tant que tel même s’il est fréquenté par de nombreux visiteurs. On pourrait les apparenter à des touristes mais beaucoup les perçoivent comme des pèlerins dans un lieu où l’on retrouve une vraie spiritualité. Le village a été fondé par le frère dominicain Bruno Hussar et par Anne Le Meignen, qui est également une fervente catholique, dans un réel souci de spiritualité et de tolérance. Ce village reste surtout un lieu de vie, un village reconnu comme tel avec ses habitants.

Comment avez-vous été accueilli dans ce village ? Est-il difficile de réaliser un documentaire en Israël ?

Les habitants du village ont l’habitude de recevoir des journalistes et des documentaristes qui viennent les interroger sur différents sujets. Il faut prendre le temps de s’acclimater, de créer un contact, de discuter et d’échanger. Nous, nous avons eu la chance d’y rester dix jours. Si ça n’avait tenu qu’à moi, et si j’avais eu le budget, j’y serai bien resté six mois. En Israël, il est nécessaire d’obtenir des autorisations afin de réaliser un documentaire depuis l’étranger mais nous ne les avons pas demandées. Le documentaire n’est pas polémique. C’est un film relativement consensuel.

L’expérience de Neve Shalom- Wahat Al Salam est porteuse d’espoir, pensez-vous qu’elle puisse se généraliser dans le pays ? Connaissez-vous d’autres exemplaires similaires en Israël ?

Il existe des initiatives similaires mais cette initiative là ne peut pas se généraliser. Ce n’est d’ailleurs pas un objectif pour Neve Shalom. En Israël, mis à part dans certains quartiers des grandes villes, où ils peuvent être mélangés, la majorité des Arabes israéliens et les Juifs vivent dans des villages séparés. Ils ont, par exemple, leur commerce respectif, et se côtoient peu. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement forcer la cohabitation en créant de toute pièce des lieux de vie commune mais il faut que tout le monde puisse exister avec les mêmes droits, afin de vivre bien là où ils se trouvent. Les cultures se mélangeront par la suite, avec le temps. L’expérience de Neve Shalom montre qu’avec une vraie volonté, on peut réussir à relativement bien s’entendre ! On peut trouver d’autres exemples d’associations qui tentent de promouvoir des actions mélangeant les deux cultures ou des écoles qui tentent d’être mixtes. De nombreuses associations viennent également du monde entier (Etats-Unis, France, Allemagne notamment) afin d’œuvrer pour la paix. Certaines utilisent d’ailleurs le village et ses infrastructures comme lieu de rencontre. Neve Shalom est aussi fait pour cela : salles de réunion, rencontres organisées dans l’Ecole pour la Paix entre des étudiants des lycées arabes et juifs d’Israël ou des Territoires.

On apprend à la fin du documentaire que trois cents familles sont actuellement sur liste d’attente pour venir vivre dans le village. Qui sont finalement ces personnes qui choisissent de s’y installer ?

Le village compte cinquante deux familles soit environs 200 habitants. Effectivement, trois cents familles sont aujourd’hui sur liste d’attente. Neve Shalom reste donc un village relativement petit malgré son réel rayonnement. Il a reçu de nombreux prix et récompenses pour la paix. Des enfants du village sont même allés témoigner devant l’ONU.

Il est intéressant de noter que les Arabes semblent être attirés par la qualité de l’enseignement proposé à Neve Shalom alors qu’ils ont souvent un accès assez restreint au système éducatif israélien. Les Juifs israéliens choisissent plutôt de s’y installer pour vivre en conformité avec une opinion politique qui s’apparente à une certaine forme de gauche israélienne typique où le sens moral est mis en avant suivant le modèle de la gauche américaine. Ce sont là deux excellentes raisons pour venir y habiter même si les choses ne sont évidemment pas si simples. C’est ce qui semble cependant ressortir de mes discussions avec les habitants du village.

Peut-on dire que les habitants vivent d’une certaine manière déconnectés de la réalité du conflit ?

Non, on ne peut pas dire qu’ils sont déconnectés de la réalité du conflit. Il se passe énormément d’événements qui déstabilisent le village et font ressortir les identités de chacun. On peut prendre, comme exemple, l’affaire de la flottille pour Gaza de mai 2010. Certains membres du village ont voulu accrocher une banderole en signe de protestation sans consulter la majorité des habitants. Les Juifs se sont alors sentis attaqués dans leur identité nationale et l’armée en fait partie. On peut citer de nombreux autres exemples comme celui-là. Ces exemples peuvent paraitre anecdotiques mais ils perturbent le village et sa raison d’être qui est de vivre ensemble.

Savez-vous comment est perçu le village en Israël ?

L’opinion oscille entre mépris et admiration, selon les groupes politiques et les opinions des Israéliens. Les plus cyniques perçoivent les habitants du village comme des personnes aisées : en effet, pour s’établir dans le village, il faut avoir les moyens de construire sa maison. D’autres les trouvent plutôt courageux.

Est-ce que l’on peut dire que les habitants sont un peu isolés ?

Je pense que vivre à Neve Shalom- Wahat Al Salam forge quelque chose d’un peu spécial, effectivement. Dans le pays, quasiment tous les Arabes israéliens parlent hébreu mais tous les Juifs israéliens ne parlent pas l’arabe. Alors que l’ensemble des enfants du village maitrisent les deux langues, leurs enseignants à l’école sont autant juifs que arabes. Les enfants entretiennent des amitiés dans les deux cultures. Ils ont une grande ouverture d’esprit et connaissent la culture de l’autre, vivent et dépassent ainsi une certaine forme d’appréhension qui peut exister vis-à-vis de l’autre.

Avez-vous d’autres projets de documentaire dans la région ? Au Moyen-Orient ou en Turquie peut-être ?

Je prévois de travailler sur la Turquie parce que je suis turc et qu’il y a énormément à dire sur ce pays aujourd’hui. Je souhaite réaliser cette fois un projet plus long mais il faut encore que je définisse sa forme exacte et que je me renseigne plus en profondeur. C’est encore très flou. Je ne pense pas travailler, pour l’instant, sur un pays du Moyen-Orient sauf si des événements viendraient à bousculer mon identité dans les années à venir.

Voir également l’article des Clés du Moyen-Orient sur le documentaire : FRANCE 5.FR, UNE OASIS SUR LA COLLINE, DOCUMENTAIRE MULTIMÉDIA DE IGAL KOHEN

Publié le 04/01/2012


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


Jeune réalisateur de 27 ans, Igal Kohen passe sa jeunesse entre la France et la Turquie. Il débute sa carrière professionnelle dans le montage de documentaires et de films d’entreprise. Sa double nationalité et ses origines l’incitent à travailler sur des problématiques liées au développement et à l’identité. En 2007, il réalise son premier documentaire, Votim Mama, qu’il tourne en Papouasie Nouvelle Guinée auprès d’une politicienne en lutte contre la corruption. Il réalise ensuite le documentaire Une Oasis sur la colline.


 


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