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Entretien avec Jean Marcou - Le séisme du 6 février en Turquie et en Syrie

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Jean Marcou
Publié le 10/02/2023 • modifié le 10/02/2023 • Durée de lecture : 4 minutes

Jean Marcou

Quelles sont les zones touchées par le séisme en Turquie et en Syrie ?

On ne l’a pas assez compris et parfois on ne le comprend toujours pas assez. Il s’agit d’une immense catastrophe, qui touche une grande partie du sud-est de la Turquie, et du nord-ouest de la Syrie. L’épicentre était dans la province de Kahramanmaraş, à Pazarcık, mais dix provinces turques sont touchées et les territoires syriens qui se trouvent de l’autre côté de la frontière ont été largement impactés également. Le séisme et ses répliques nombreuses, et parfois aussi violentes, ont été ressentis jusqu’à Trabzon, Ankara, Chypre ou au Liban. Une réplique a même été relevée à Jérusalem au soir du 7 février. Il s’agit certes d’une zone parfois accidentée et montagneuse, avec espaces ruraux pas toujours faciles d’accès, mais aussi et surtout d’un territoire très urbanisé, où l’on compte de nombreuses métropoles, comme Gaziantep (1,9 millions hab.), Şanlıurfa (470 000 hab.), Iskenderun (170 000 hab.), Antakya (220 000 hab.), Adana (1,6 million hab.), Malatya (380 000 hab.), Kahramanmaraş (560 000 hab.) ou Dıyarbakır (1,6 million hab.). Imaginez le sud-est de la France et le nord-ouest de l’Italie, touchés par un séisme de 7,7 sur l’échelle de Richter, avec leurs zones de montagnes et leurs grandes villes (Lyon, Grenoble, Nice Toulon, Lyon, Turin, Gênes, Marseille…) jusqu’au bord de la mer…

Quels sont les dégâts humains et matériels ?

Les dégâts humains seront à n’en pas douter très importants. En 1999, le séisme d’Izmit, à l’ouest d’Istanbul, dans la province de Kocaeli, avait fait 20 000 morts. Au soir du 9 février 2023, on avait déjà atteint ce chiffre et il est probable que le bilan va continuer à s’accroitre dans les prochains jours. En 1939, le séisme d’Erzican (dans le nord-est de la Turquie) avait fait plus de 33 000 victimes. Les conditions météorologiques ont aggravé la situation, au moment où un hiver, plus froid qu’à l’accoutumée, sévit sur l’ensemble du Proche-Orient. Pourtant, outre les blessés qui se comptent déjà par dizaines de milliers, ce séisme énorme touche encore plus que d’habitude la population turque, vu le nombre de grandes villes affectées. En Turquie, presque tout le monde, même s’il n’est pas originaire de la zone affectée, a un parent, un ami ou une connaissance qui est touché. De là, la grande émotion que l’on observe, ces derniers jours.

Sur le plan matériel, des milliers d’immeubles se sont effondrés, ce qui a d’un coup créé un peuple de sans-abris qu’il faut loger au plus fort de l’hiver. Mais nombre de services publics sont aussi abîmés, à commencer par les hôpitaux, au moment où l’on en a le plus besoin… L’état d’urgence est décrété pour trois mois dans dix provinces et les écoles sont fermées pour au moins une semaine. Il y a, en outre, fort à parier que l’économie turque sera sensiblement impactée, alors même qu’elle connait une crise sans précédent. Significativement la bourse d’Istanbul vient de suspendre ses activités, après trois jours de perte…

Les conséquences pourraient même être politiques et électorales. Les élections présidentielles et législatives, récemment annoncées pour le 14 mai prochain, pourront-elles se tenir au sortir de l’état d’urgence, alors qu’une partie du pays et de sa population est si durement éprouvée ?

Quel patrimoine architectural a-t-il été détruit ?

Il est pour l’instant difficile de faire un bilan complet, mais là encore, il sera lourd. L’UNESCO a d’ailleurs mobilisé ses services pour ouvrir une liste des dégâts. Toutefois, on peut d’ores et déjà citer, en Turquie, la célèbre forteresse de Gaziantep qui avait été restaurée récemment et nombre de bâtiments religieux à Antakya (l’ancienne Antioche), en Syrie, le site archéologique de Palmyre qui avait déjà souffert du vandalisme de Daech ou la citadelle d’Alep dont plusieurs murs ont cédé.

Quels États ont d’ores et déjà apporté leur aide humanitaire à la Turquie ? Et à la Syrie ?

Au soir du 8 février 2023, le gouvernement turc faisait état du soutien de 65 pays, en ce qui concerne l’aide d’urgence (envoi de sauveteurs et de moyens matériels). Mais les équipes, venues de l’extérieur, ne sont vraiment massivement entrées en action que 3 jours après. En ce qui concerne les soutiens financiers, les États-Unis ont notamment annoncé une aide de 85 millions de dollars. Il ne faut pas oublier également les organisations internationales. La Banque mondiale a promis une aide de 1, 7 milliard de dollars à la Turquie. L’Union européenne et la Suède qui en assure la présidence tournante, au premier semestre 2023, ont annoncé qu’une conférence de donateurs serait organisée, en mars prochain, pour mobiliser des fonds.

En ce qui concerne la Syrie, l’aide est beaucoup plus lente. Le premier convoi de camion de l’ONU est entré en zone rebelle dans le nord-ouest de la Syrie depuis la Turquie, trois jours après le séisme, alors même que nombre de routes sont effondrées et le climat ambiant instable. Les organisations internationales commencent à se mobiliser, mais beaucoup moins promptement qu’en Turquie. La présidente du Comité international de la Croix rouge et le directeur général de l’OMS viennent d’arriver en Syrie, où l’assistance est effectivement beaucoup plus problématique qu’en Turquie.

Pour quelles raisons une aide humanitaire équivalente n’est-elle pas envoyée à ce jour en Syrie ?

Cela tient d’abord à l’état politique du pays, encore dans une situation de guerre civile, notamment dans le nord où s’est produit le séisme, et pour le reste, dirigé par un gouvernement qui est au ban de la société internationale et contre lequel des sanctions ont été adoptées. Même si celles-ci sont levées pour des raisons humanitaires, les canaux de circulation normaux des marchandises et des services ne peuvent pas être restaurés efficacement de façon instantanée.

La Syrie est aussi un pays beaucoup moins développé et beaucoup moins équipé que la Turquie. Même si elle paraît moins touchée de prime abord que sa voisine, elle manquait déjà de tout avant le séisme, et risque d’avoir après des besoins de base beaucoup plus étendus que les organisations internationales ne sont pas toujours certaines de pouvoir satisfaire rapidement, eu égard aux stocks dont elles disposent.

Publié le 10/02/2023


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Jean Marcou est actuellement Professeur des Universités à l’IEP de Grenoble (France) après avoir été pensionnaire scientifique à l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul où il a dirigé, de 2006 à 2010, l’Observatoire de la Vie Politique Turque (OVIPOT – http://ovipot.hypotheses.org/). Il a été aussi directeur de la Section francophone de la Faculté d’Économie et de Sciences Politiques de l’Université du Caire (Égypte), entre 2000 et 2006.
A l’IEP de Grenoble, il est directeur des relations internationales et dirige également le Master « Intégration et Mutations en Méditerranée et au Moyen-Orient. » Ses principaux champs d’enseignement et de recherche concernent la vie politique turque (Constitutions, élections et partis politiques…), les transitions politiques dans le sud de l’Europe, l’Union européenne, et l’évolution des équilibres politiques au Moyen-Orient (vue notamment au travers de la politique étrangère turque).

Derniers articles parus (2011-2012)
 Nombreux articles dans le « Blog de l’OVIPOT » : http://ovipot.hypotheses.org
 Marcou (Jean), « Turquie. La présidence de la République, au cœur des mutations du système politique », P@ges Europe, 26 mars 2012 – La Documentation française © DILA http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000481-turquie.-la-presidence-de-la-republique-au-caeur-des-mutations-du-systeme-politique-par/article
 Marcou (Jean). « Le modèle turc controversé de l’AKP », in Moyen-Orient, N°13, janvier-mars 2012, p. 38 à 43.
 Marcou (Jean). « La place du monde arabe dans la nouvelle politique étrangère d’Ahmet Davutoglu », in Dorothée Schmid (dir.), Le retour de la Turquie au Moyen-Orient, Editions du CNRS - IFRI, décembre 2011, p. 49-68
 Marcou (Jean).- « La nouvelle politique étrangère de la Turquie », Les Clés du Moyen-Orient, décembre 2011, http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-nouvelle-politique-etrangere-de.html
 Marcou (Jean). « Les multiples visages du modèle turc », Futuribles, N°379, novembre 2011, p. 5 à 22.
 Marcou (Jean). « La politique turque de voisinage », EurOrient (L’Harmattan), N°35-36, novembre 2011, p. 163-179
 Marcou (Jean). « Recep Tayyip Erdogan, plus que jamais maître à bord », Grande Europe (La Documentation française), N°36, Septembre 2011, p. 12 à 21.
 Marcou (Jean). « Turcs et Arabes : vers la réconciliation ? » in Qantara (Revue de l’Institut du Monde Arabe), N°78, janvier 2011, p. 49 à 54.


 


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