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Joseph Bahout, chercheur à Carnegie Moyen-Orient et enseignant à Sciences Po Paris, revient sur la situation politique du Liban depuis la constitution du nouveau gouvernement en janvier 2020, composé de plusieurs formations politiques dont le Hezbollah, ainsi que sur la situation économique et monétaire du pays, qui « sombre dans une faillite sans précédent ».
Il y a d’abord des choses générales à rappeler. Depuis 2005 et depuis la fin de la guerre de 2006, les gouvernements au Liban ont été des gouvernements d’union nationale : ils essaient d’inclure toutes les forces politiques, quitte à risquer la contradiction. Tous les gouvernements en place depuis 2005 ont regroupé le 8 et le 14 mars, les deux forces qui constituent le clivage politique dans le pays, mis à part deux fois, lors de fortes tensions, et où les forces loyales au Hezbollah ont monopolisé la formation.
Quand le gouvernement de Saad Hariri s’écroule en octobre 2019, la classe politique est prise de court, y compris le Hezbollah. Il faut rappeler, pour ne pas réécrire l’histoire, que le Hezbollah a insisté pour qu’Hariri reste au gouvernement, et a tenté de le faire revenir après sa démission.
Le départ de Hariri a provoqué un vide, qu’il a fallu combler. Les forces du 8 mars n’avaient plus le choix de faire un gouvernement monochrome, qualifié de gouvernement du Hezbollah, alors même que le Hezbollah tente de ne pas apparaître comme étant frontalement dans la gestion du pays et dans l’opposition à la communauté internationale.
Le gouvernement actuel est composé politiquement à majorité par le 8 mars, mais cela cache de grandes contradictions puisque le Hezbollah, qui est la force principale qui le compose, en refuse la paternité et, par-là, le paralyse ; d’autant que le camp du 8 mars est aujourd’hui aussi traversé par des contradictions assez fortes, dans le tandem chiite entre le mouvement Amal et le Hezbollah, et une partie des forces chiites et les chrétiens autour du président de la république, ainsi que relativement à une troisième force occulte qui gravite autour du retour de l’influence syrienne dans le pays.
Le gouvernement doit faire face à une tâche titanesque : assainir la situation économique. On se rend compte aujourd’hui que le gouvernement n’est pas capable de relever ce défi. Il doit faire faire à la grogne de la rue d’une part, et à la velléité de le faire accoucher par la classe politique traditionnelle qu’il a exclue mais qui ne peut pas revenir au pouvoir. Il s’en trouve paralysé.
Il faut faire attention de ne pas s’attarder sur des mesures symboliques, mais qui ont peu d’impact sur le Liban lui-même. La question de l’Allemagne plaçant sur la liste des organisations terroristes la branche armée du Hezbollah n’a à ce stade aucun impact sur le pays. La question d’une défiance internationale vis-à-vis du Liban qui prendrait racine dans les relations du gouvernement libanais au régime de Damas doit également être considérée à sa juste portée. Le Liban est paralysé par son incapacité à prendre une décision technique sur le plan économique, et ne parvient pas à établir de plan convaincant sur la voie à suivre pour sortir de la crise. Ce qui paralyse le Liban aujourd’hui sur la question du F.M.I. n’a pas à voir directement avec la question syrienne. Il se trouve que l’appareil politique et administratif ne parvient pas à se mettre d’accord sur le chiffrage des pertes de la Banque libanaise du système financier libanais, qui s’élèverait à près de cinquante milliards de dollars, et ne peuvent se mettre d’accord sur la marche à suivre. Le F.M.I. demande à s’entretenir avec des interlocuteurs libanais qui se sont mis d’accord que les chiffres et sur la marche à suivre afin de pouvoir commencer à négocier. À l’heure actuelle, c’est chose impossible.
Le directeur du ministère des Finances vient de démissionner. Cela signe sans doute qu’il n’y aura pas de négociations avec le F.M.I.
Le Liban est un pays qui a un triple déficit gigantesque - un déficit des finances publiques qui finance la dette, un déficit de la balance des paiements qui est endémique, accroît l’attention sur le taux de change et un déficit dû à la corruption, la gabegie et les malversations. Cette crise économique est symptomatique d’un système arrivé à bout de souffle.
Le système bancaire est pratiquement paralysé depuis quatre ou cinq mois. Les déposants n’ont plus accès leur argent. La livre libanaise s’effondre heure par heure dans une sorte de système à l’Argentine. Le Liban sombre dans une faillite sans précédent.
Le Liban est un pays qui implose, qui s’effondre minute par minute. Personne aujourd’hui dans la classe politique traditionnelle n’a d’idée pour savoir comment s’en sortir. Pour certain, il ne s’agit que d’une crise passagère ; d’autres considèrent qu’il faut s’en remettre, comme c’est souvent le cas, pieds et poings liés aux donateurs extérieurs ; d’autres enfin, comme le Hezbollah et le gouvernement, considèrent qu’il faut mettre en place une économie de résistance, se tourner vers la Chine et demander de l’aide à l’Iran et à la Syrie. Le débat est surréaliste.
Les gens souhaitent partir mais ne partent pas, puisque l’aéroport est pour l’instant encore fermé. Toutefois, cette volonté d’émigrer est endémique depuis longtemps chez les Libanais. Cette crise va évidemment provoquer une nouvelle vague d’émigration de main d’œuvre qualifiée. Mais il faut noter aussi que le monde occidental n’est plus aussi accueillant que dans le temps.
La fuite des capitaux vers l’étranger est l’une des parts du problème actuel du Liban qui explique que le système se soit effondré. Près de dix milliards de dollars sont sortis du système, de façon plus ou moins légale, ou en tout cas au mépris de certaines directives qui ont été données. La « restitution de l’argent volé » est une revendication que les manifestants clament dans la rue ; si l’argent n’a peut-être pas été volé, sa sortie du pays a précipité la chute du système économique. Le système financier est aujourd’hui extrêmement sous la pression de l’insuffisance des banques qui ne peuvent plus assurer de liquidité aux déposants.
Joseph Bahout
Joseph Bahout est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et chercheur à l’Académie diplomatique internationale.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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