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Entretien avec Sarah Daoud sur la situation à Gaza après la signature de l’accord de trêve entre le Hamas et Israël – « Avec cet accord de cessez-le-feu, aucune solution politique n’est proposée aux Palestiniens »

Par Ines Gil, Sarah Daoud
Publié le 24/01/2025 • modifié le 24/01/2025 • Durée de lecture : 7 minutes

Sarah Daoud

Le Hamas ne semble pas avoir été éradiqué. Il a d’ailleurs publié une vidéo durant la libération de trois otages israéliennesle 19 janvier, montrant des dizaines d’hommes armés les entourant, une démonstration de force qui a marqué les esprits. Le mouvement palestinien est toujours incontournable à Gaza, avec ses forces de police, comme le groupe “Flêche”, qui fait la chasse aux gangs pilleurs d’aide humanitaire, mais aussi à travers l’administration, et ses combattants s’en prennent activement à l’armée israélienne dans le nord de l’enclave. Quelle est la situation du mouvement palestinien au lendemain de la trêve ?

Même avant l’officialisation de l’accord de trêve, dès mercredi soir 15 janvier, Khalil al-Hayya (Hamas) s’exprimait sur Al Jazeera, affirmant que la guerre avait prouvé la capacité du Hamas à opérer en tant que mouvement armé. Le Hamas cherche à présenter cet accord de trêve comme une victoire, et cela fonctionne auprès d’une partie de la population locale. Après l’annonce de la trêve, durant les manifestations de liesse de la société civile à Gaza, beaucoup de Palestiniens ont affirmé qu’il avait remporté la guerre.

Aujourd’hui, le mot d’ordre du Hamas et de ses partisans est « entaserna » (« nous avons vaincu » en arabe). Le mouvement Hamas est donc loin d’avoir été éradiqué. Il a le monopole de l’appareil sécuritaire palestinien à Gaza et il n’y a pas de dissidence. L’acheminement de l’aide humanitaire est sous son contrôle et le mouvement a récemment indiqué qu’il avait de nouveau payé les fonctionnaires. Il a par ailleurs encore la capacité de contrôler la population en exerçant une forte pression. Les assassinats sont quotidiens pour ceux qui ont osé prendre la parole contre le mouvement.

Néanmoins, même s’il n’est pas éradiqué, il est fortement affaibli. Quels gains a-t-il eu avec l’attaque du 7 octobre ? D’autant plus avec la situation humanitaire à Gaza (plus de 46 000 Palestiniens tués). Que gagne-t-il maintenant avec cet accord de trêve ? Il faut se poser la question.

Comment expliquer le renouvellement des combattants du Hamas, et notamment des cadres ?

A part les plus connus comme Yahya Sinwar et quelques cadres importants, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de cadres qui ont été éliminés depuis le début de la guerre. Une certaine continuité a été assurée à ce niveau. La mort de Yahya Sinwar va néanmoins avoir des conséquences sur la communication et l’image du mouvement car à l’heure actuelle, aucune figure ne sort du lot et n’a son charisme. Parmi les combattants en revanche, il y a eu beaucoup de morts. Si les brigades tiennent, c’est du fait de la capacité d’embrigadement. On observe, depuis le 7 octobre, une recrudescence dans le rythme de recrutement.

Concernant la destruction de son arsenal par Israël, il y a encore peu d’informations mais on sait que le Hamas parvient à maintenir la production d’armes. Elles sont essentiellement artisanales certes, mais on a vu ce que des armes artisanales avaient fait durant le 7 octobre.

Mohammed Sinwar, frère de Yahya Sinwar, a pris le leadership du Hamas à Gaza. On le dit plus radical, qu’en pensez-vous ?

Selon moi, il faut se méfier de ces rumeurs. Quand Yahya Sinwar est élu à la tête du mouvement, il est présenté comme radical. Mais avant le 7 octobre, entre 2017 et 2023, il a été au contraire très impliqué dans les négociations sur le cessez-le-feu. Mohammed Sinwar s’est auto-proclamé chef du Hamas. Il est probablement radical, mais dans le contexte actuel, on ne peut pas imaginer autre chose. Ce que l’on peut avant tout dire est qu’il n’est pas une figure de leader aussi charismatique que Yahya Sinwar.

Qu’en est-il du leadership du Hamas en exil ?

Au sein du Hamas, il y a eu une autonomisation croissante de la branche armée à Gaza par rapport aux autres cadres. Le renouvellement des cadres de la branche armée qui ont été tués durant la guerre sera décidé à Gaza, et non pas parmi le leadership en exil qui n’a plus trop son mot à dire.
Les négociations de cessez-le-feu se font certes à travers la branche politique en exil, mais pas sans l’accord de la branche armée à Gaza. C’est le leadership en exil qui se rend au Caire pour les négociations, ce sont eux qui rencontrent les autres factions palestiniennes, pour des raisons évidentes : les cadres à Gaza ne peuvent pas sortir du Territoire palestinien.

Par ailleurs, l’assassinat par Israël d’un certain nombre de cadres en exil, Ismael Hanieh à Téhéran, Saleh al-Arouri à Beyrouth, a contribué à affaiblir le leadership en exil. D’autant plus que ces cadres ont été un temps sur la sellette, quand le Qatar avait annoncé stopper la médiation dans les négociations, leur présence sur le sol qatari était remise en question.

Concernant les termes de l’accord de trêve : la troisième phase prévoit une reconstruction de Gaza et le départ des troupes israéliennes. Que prévoit-il sur l’avenir politique de la bande de Gaza ?

Cet accord n’apporte pas une solution politique à la question palestinienne. Les responsables palestiniens, Autorité palestinienne (AP) incluse, avaient pourtant demandé, notamment quand ils s’étaient réunis à Pékin en juillet 2024 [1], une solution politique pour les Palestiniens dans leur ensemble.

Cet accord de cessez-le-feu ne règlera donc certainement rien sur le plan politique dans la bande de Gaza. Le territoire restera probablement fermé, du moins du côté israélien. Concernant Rafah, c’est moins sûr, peut-être que l’Autorité palestinienne (AP) pourrait contrôler le point de passage vers l’Egypte. En 2017, suite à un accord de réconciliation Hamas-Fatah, l’AP avait repris le contrôle sur le point de passage de Rafah. Cela n’avait pas duré longtemps. Entre-temps, durant une visite dans la bande de Gaza, le Premier ministre de l’AP de l’époque, Rami Hamdallah, avait failli être assassiné. On peut aussi imaginer le retour d’observateurs internationaux, comme l’Union européenne sur ce checkpoint. Cela s’était fait en 2005, après le retrait israélien de la bande de Gaza. A l’époque, l”UE n’était restée que quelques mois pour aider l’AP à contrôler Rafah.

Pourquoi une solution politique semble si difficile à concevoir à Gaza ?

Actuellement, le Hamas contrôle toujours le territoire. Le président de l’AP, Mahmoud Abbas, ne semble pas prêt à revenir personnellement dans l’enclave, même s’il annonce le contraire. Il faudrait donc trouver une personnalité légitime de l’AP et y envoyer des fonctionnaires, cela paraît peu envisageable. L’AP a beaucoup perdu en termes de crédibilité auprès de la population palestinienne, notamment à cause de la coopération sécuritaire avec Israël en Cisjordanie. Dans les négociations en cours avec les dirigeants palestiniens, l’AP demande au Hamas une reddition, ce que le mouvement palestinien n’est pas prêt à accepter. Il ne veut pas laisser l’AP reprendre en main l’administration de la bande de Gaza. Par ailleurs, Israël ne veut pas laisser le Hamas administrer Gaza, ni l’AP ou une autorité renouvelée comme le suggérait l’administration Biden. Le cabinet de guerre israélien veut mettre en place des comités civils « non hostiles à Israël » pour la gestion quotidienne de la bande de Gaza, tout en gardant une présence sécuritaire israélienne. Selon les termes de l’accord, l’armée israélienne doit se retirer, mais elle ne permettra certainement pas aux habitants des localités proches de la bordure frontalière de se réinstaller chez eux. Israël pourrait limiter les retours dans tout le nord de la bande de Gaza.

La solution politique à l’ensemble de la question palestinienne est mise de côté par Israël pour des raisons évidentes. Israël veut annexer une partie de la Cisjordanie. Depuis le 7 octobre, il n’a jamais été question d’organiser des élections palestiniennes. Même présidentielles, alors que Mahmoud Abbas n’est plus légitime depuis 2009.

L’application de la première phase ne posera certainement pas de problème, mais la seconde et la troisième phase de l’accord restent floues sur le papier. Le fait que tout soit séquencé, y compris le retrait progressif de l’armée israélienne des corridors, laisse la porte ouverte à un retour en arrière. Beaucoup de signaux montrent qu’il sera difficile d’aller au-delà de la première phase. Le retrait des forces israéliennes n’est donc pas assuré. L’attitude de l’ancien ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est inquiétante. Il a certes démissionné pour protester contre la trêve, mais il a indiqué qu’il est prêt à revenir, signe qu’il envisage un échec de l’accord.

Sur la fragmentation de Gaza par l’armée israélienne : la trêve a-t-elle changé quelque peu la situation sur le terrain ? La population peut-elle se déplacer ?

Il y a des mouvements de population depuis l’entrée en vigueur de la trêve, mais revenir maintenant dans le nord de la bande de Gaza est dangereux pour les Palestiniens. Ils risquent à tout moment d’être tués par des soldats de l’armée israélienne. De toute évidence, la plupart des Palestiniens sont réfugiés dans le sud et avec le corridor Netzarim, avec lequel Israël a coupé Gaza en deux, ils ne peuvent pas passer. Israël ne leur a pas donné l’autorisation d’aller dans le nord.

La partition actuelle de Gaza par Israël a pris une configuration similaire à celle qui prévalait avant 2005, avant le retrait de l’armée israélienne et des colonies. C’était extrêmement découpé, comme en Cisjordanie, avec des points de passage pour passer d’un gouvernorat à l’autre.

Dans le plan de Yoav Galant annoncé en janvier, on retrouvait ce découpage territorial permettant à Israël de recréer une sorte de zone C à Gaza dans le futur. C’est sans doute une des options qui plairaient à Israël, qui serait alors chargé des questions sécuritaires, mais se déchargerait de l’administration de la population locale, comme en Cisjordanie.

Ce qui est important, c’est de voir si Rafah ouvrira, encore faut-il que l’Egypte accepte, car les Gazaouis, dans leur ensemble, veulent partir. Il n’y a pas d’avenir dans le territoire palestinien, et aucune stabilité sécuritaire. Quel que soit le prochain gouvernement israélien.

La dégradation de la situation en Cisjordanie montre le peu de volonté politique pour résoudre la question palestinienne du côté israélien. Jénine en particulier fait l’objet d’une offensive israélienne d’ampleur, depuis plusieurs mois déjà mais avec une violence redoublée depuis le début de la semaine du 20 janvier. C’est très inquiétant, cela risque de se reproduire dans différents endroits en Cisjordanie. Avec une administration américaine proche du gouvernement israélien, il semble peu probable que Washington condamne les assauts en Cisjordanie, et on pourrait en déduire que Donald Trump pourrait reconnaître l’annexion de la Cisjordanie par Israël. La question de l’autodétermination des Palestiniens avait déjà été mise de côté durant son premier mandat, elle avait totalement disparu avec son « plan de paix ».

Je suis très pessimiste, au rythme où vont les choses, les Palestiniens de Gaza risquent d’être enfermés sur encore moins de territoire et on peut craindre un nouveau 7 octobre.

Publié le 24/01/2025


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


Sarah Daoud est docteure en science politique mention relations internationales de l’IEP de Paris.


 


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