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Entretien avec Sébastien Boussois – Un an après l’opération Bordure protectrice, quel bilan ?

Par Mathilde Rouxel, Sébastien Boussois
Publié le 23/07/2015 • modifié le 24/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Sébastien Boussois

Il y a un an, le 8 juillet 2014, Israël lançait l’opération Bordure protectrice. Quel bilan peut-on tirer aujourd’hui de cette guerre de 50 jours ?

Un enchaînement d’événements l’été dernier avait conduit à cette guerre. Les tirs de roquette sur Israël de la part du Hamas d’une part, mais également l’enlèvement et l’assassinat de trois juifs en Cisjordanie à proximité d’Hébron d’autre part, avaient provoqué la riposte israélienne. L’objectif d’Israël en se lançant dans une telle guerre en juillet 2014 était de déstabiliser le Hamas, considéré comme un parti terroriste, et d’en venir définitivement à bout. On a décompté plus de 2000 morts, mais le Hamas est toujours là.

Le Hamas pourtant s’en sort toujours avec une forme de succès déguisé, malgré les conséquences tragiques et les destructions dramatiques de cette guerre. C’est un mouvement qui résiste, bien qu’il ait perdu dans cette bataille beaucoup de ses alliés en quelques mois, notamment le soutien des Frères musulmans écartés du pouvoir en Egypte.

Le Hamas se trouve cadenassé du côté des Israéliens et de l’Égypte de Sissi, qui ne manifeste pas plus de sympathie pour le Hamas que pour les Frères musulmans.

Le Hamas sunnite reste donc aux commandes, tout en déployant des alliances paradoxales, notamment avec l’Iran chiite. Cela attise les tensions avec Israël, pour qui l’Iran demeure l’ennemi numéro un, suivi par le Hamas et le Hezbollah libanais.

Cependant, aujourd’hui, Israël se trouve confronté à un autre grand danger, bien plus important que le Hamas : l’État islamique, qui pourrait se retrouver à ses frontières. Or, les attentats très violents perpétrés dans le Sinaï égyptien ces jours derniers et les combats qui ont opposé l’armée égyptienne et les djihadistes reflètent le fait que l’État islamique cherche aujourd’hui à prendre pied au Sinaï et à Gaza. On comprend alors pourquoi Israël relance les négociations avec le Hamas : mieux vaut le Hamas, qui demeure un ennemi confortable, que l’État islamique demain aux portes du pays.

Que pouvez-vous dire du rapport de l’ONU sur Gaza ?

Ce rapport ne nous apprend rien de nouveau et condamne les deux parties pour crimes de guerre mais plus importants du côté de l’armée israélienne. Ces guerres sont des guerres illégales qui utilisent des moyens illégaux puisqu’elles sont décrétées unilatéralement et contre l’avis d’une bonne partie de la communauté internationale : on parle bien ici de la doctrine Dahiya, développée par le chef d’État-major israélien Gadi Eizenkot depuis plusieurs années qui prône un usage disproportionné de la force contre des zones civiles qui peuvent servir de base à des attaques, où l’on cible des victimes dans un objectif de dissuasion. Devant chaque organisation qui se présente comme une menace pour Israël est invoquée cette doctrine, illégale pour la communauté internationale et qui provoque des drames humains et des crimes de guerre. On compte parmi les morts un nombre très important d’enfants (environ 600) au prétexte que le Hamas se cache parmi le peuple.

Un an plus tard, ce bilan n’est pas une surprise ; les condamnations du Hamas, condamné pour avoir arrêté, torturé et éliminé de manière arbitraire des membres du Fatah et des Israéliens profitant ainsi de la situation de guerre ne sont pas plus étonnantes.

Deux Israéliens sont portés disparus à Gaza depuis plusieurs mois, qui seraient détenus par le Hamas. Que peut-on en penser ?

Ces faits font partie des risques de la guerre, l’enlèvement de soldats étant des dommages collatéraux d’une guerre. Ce genre de guerre comme à Gaza reflète l’évolution de la nature des conflits dans le monde aujourd’hui. Ce sont davantage les civils qui se battent ; on ne peut pas se concentrer sur une question de soldats enlevés alors que ce sont essentiellement les civils qui font les frais de ces conflits devenus plus intra qu’interétatiques. Gaza est le reflet de l’échec des armées conventionnelles et morales qui mènent des guerres inefficaces aux guérillas urbaines – les États-Unis s’y étaient déjà confrontés au Vietnam et en Afghanistan. Cet enlèvement est le reflet de l’inadaptation des armées d’aujourd’hui dites puissantes face à des mouvements de guérillas dans des conflits totalement asymétriques où la loi du petit nombre est parfois plus efficace que les armées conventionnelles. On en avait déjà eu l’exemple avec Al-Qaida, qui était une organisation, et on l’a aujourd’hui avec l’EI, qui compte environ 300 000 hommes – face aux armées conventionnelles, désormais inefficaces sur le terrain oriental, notamment en zone urbaine comme à Gaza où les destructions d’immeubles servent de repaire et de cachette.

Pouvez-vous faire un bref bilan de la situation qui oppose aujourd’hui le Fatah et le Hamas ?

Le Hamas a tenu à la réconciliation avec le Fatah l’été dernier parce qu’il n’avait plus d’argent pour continuer, mais les deux partis n’ont pas les mêmes logiques. Le Fatah se trouve aujourd’hui dans une situation rocambolesque : sa collaboration avec Israël sur un plan sécuritaire depuis les accords d’Oslo afin de se prémunir des flambées de violence est loin d’être efficace, et l’oppose de fait au Hamas qu’il ne cesse de condamner pour ses opérations sécuritaires menées contre Israël. Mahmoud Abbas est aujourd’hui, selon ses mots, complètement lassé par la situation. Le Hamas n’a jamais reconnu l’État hébreu au même niveau que le Fatah ; alors que l’Autorité palestinienne l’a fait en 1993, le Hamas lui reste très ambigu mais selon sa charte ne le reconnaît toujours pas, ce qui reste un problème majeur.

Les Palestiniens vivent constamment dans la violence. Le choix du Hamas dans les urnes en 2006 est une réponse à cette violence. La réconciliation entre Fatah et Hamas, le gouvernement d’union nationale établi en 2005, n’a pas tenu parce que les deux partis ont des objectifs totalement différents ; il est difficile de songer à une possible réconciliation dès demain.

Publié le 23/07/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal), et de SAVE BELGIUM. 


 


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