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Historien, né en 1973 à Paris, il travaille sur l’histoire de Jérusalem depuis 1997. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Fontenay / Saint-Cloud (1994-1999), agrégé d’histoire (1998) et docteur en histoire contemporaine (2006), en délégation CNRS au CRFJ à Jérusalem entre 2012 et 2014. Il est actuellement maître de conférences à l’Université Paris-Est / Marne-la-Vallée et directeur du projet européen (ERC) open-Jerusalem (« Opening Jerusalem’archives, for a connected history of ‘Citadinité’ in the Holy City (1840-1940) ») consacré à l’ouverture et à l’interconnexion des archives sur l’histoire contemporaine de Jérusalem.
Il a notamment publié Jérusalem 1900, la ville-sainte à l’âge des possibles (Armand Colin 2012, Prix Augustin Thierry 2013, rééd. Points-Seuil 2016) ; il a récemment dirigé Jérusalem. Histoire d’une ville-monde (Champs-Flammarion, 2016, Prix Pierre Lafue 2017) et Le Moyen-Orient de 1876 à 1980 (Armand-Colin 2016).
Ses travaux portent sur Jérusalem et le Proche-Orient contemporain, l’histoire environnementale et l’histoire du patrimoine.
Le Président américain est avant tout mobilisé par son agenda électoral. Donald Trump est en train de cocher ses promesses les unes après les autres, et la reconnaissance de Jérusalem est une de ses promesses emblématiques. Il s’adresse en priorité à son électorat évangéliste, qui est fortement pro-israélien. Contrairement à ce qu’on pense parfois, ce n’est pas l’électorat juif qui est visé. Les juifs américains votent à 80% démocrate. En revanche, nombre de protestants évangélistes considèrent que l’existence d’Israël est la condition préalable au retour du Messie. En France, on ne mesure pas l’importance structurante de cette idéologie, qui nous semble absurde car elle semble échapper à toute rationalité. Mais les évangélistes américains ont pourtant une vraie influence sur la politique étrangère de Donald Trump.
Cette déclaration coïncide aussi avec l’agenda électoral israélien. En 1995, le Congrès américain avait voté le Jerusalem Embassy Act, qui prévoit le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Mais depuis l’adoption de cette loi, les présidents américains en ont systématiquement reporté l’application concrète, en signant une dérogation tous les six mois. Les gouvernements israéliens successifs n’ont pas toujours été favorables à ce déménagement. Pour les Israéliens, le Jerusalem Embassy Act pouvait nuire aux négociations avec les Palestiniens, ou encore créer un climat d’insécurité à Jérusalem. Quand Donlad Trump s’était rendu en Israël il y a 6 mois, l’armée et les services secrets israéliens s’étaient montrés plutôt réservés sur l’annonce immédiate d’un déménagement. Mais depuis, Netanyahou s’est gravement affaibli sur la scène politique israélienne, et il avait besoin de cette décision symbolique pour se réaffirmer. Durant l’été 2017, la crise des portiques à l’entrée de la Mosquée Al Aqsa a été catastrophique pour son image. Netanyahou, qui voulait mettre en place des portiques de sécurité et des caméras à l’entrée de l’esplanade des mosquées, a dû capituler en rase campagne face à une mobilisation populaire palestinienne extrêmement puissante et déterminée. Suite à ces événements, il a été fortement critiqué par la droite israélienne. Par ailleurs, tout comme Donald Trump, Netanyahou est cerné par les affaires de corruption. La déclaration de Donald Trump apparaît donc à la fois comme un succès politique pour le Premier ministre israélien, mais elle lui permet aussi de placer au second plan les affaires de corruption qui entachent son image.
Au niveau régional, l’alignement géopolitique entre les Etats-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, qui se renforce considérablement depuis l’élection de Donald Trump, a également favorisé la décision de reconnaitre Jérusalem. L’Arabie saoudite a forcément donné son feu vert à Donald Trump, ou en tous cas un « feu orange », elle a clairement laissé faire, sous couvert de gesticulations rhétoriques. On peut dire que, si cela n’a jamais été le cas, aujourd’hui, la question palestinienne ne fait pas partie de l’agenda prioritaire des Saoudiens, qui sont bien plus préoccupés par l’Iran. Avant même la déclaration de Donald Trump, des informations ont fuité sur une proposition de paix des Saoudiens, suggérant qu’Abu Dis [banlieue de Jérusalem située à l’est du Mur de séparation] devienne la capitale du futur État de Palestine. Les Palestiniens, comme ils le savent depuis au moins 50 ans, comprennent encore une fois qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
Sur le terrain à brève échéance, il n’y aura aucune modification. Le seul changement effectif sera le déplacement de l’ambassade américaine, mais cela prendra peut-être des années. Pour le moment, Donald Trump a de nouveau signé le report du déménagement, en affirmant que c’est un simple report technique et financier. Cependant, à terme, la décision de Donald Trump pourrait avoir des conséquences indirectes importantes. Elle pourrait par exemple favoriser le rapprochement plus rapide du Hamas et du Fatah, initié par un accord de gouvernement signé par les deux partis le 12 octobre dernier. Elle pourrait aussi fragiliser à nouveau le partenariat stratégique entre Israël et la Turquie. Elle pourrait enfin, plus globalement, accentuer l’isolement diplomatique des Etats-Unis, ce qui serait après tout la conséquence logique d’une politique ouvertement isolationniste.
Par sa décision, Trump est sorti de la table des négociations, car il a endossé la position la plus radicale d’un des acteurs du conflit. D’autres acteurs peuvent effectivement jouer un rôle dans de possibles futures négociations entre Israéliens et Palestiniens, qui devront forcément reprendre le sillage des résolutions votées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Parmi les 5 membres permanents du Conseil de sécurité, on peut d’ores et déjà écarter le Royaume-Uni, qui n’a pas la crédibilité ni la neutralité nécessaire en tant qu’ancienne puissance coloniale de la Palestine mandataire. De plus, début novembre, la Première ministre Theresa May a affirmé qu’elle assumait totalement la déclaration Balfour, ce qui confirme que les Britanniques sont de partis pris dans ce conflit.
Autre membre permanent du conseil de sécurité, la Russie peut éventuellement jouer un rôle dans le futur. Mais depuis la déclaration de Donald Trump, les Russes sont restés très discrets. Ils sont avant tout préoccupés par la situation en Syrie et en Iran. Cependant, il faut noter que le ministère russe des Affaires étrangères a reconnu Jérusalem Ouest comme capitale de l’Etat d’Israël le 6 avril dernier, mais sans en faire une grande publicité, et en insistant bien sur la validité du droit international et des résolutions de l’ONU.
Cela peut paraître surprenant, mais un autre Etat montre un intérêt grandissant pour le conflit israélo-palestinien : la Chine. En fait, à chaque embardée diplomatique des Etats-Unis, les Chinois montent en responsabilité et s’imposent sur une multitude de sujets sur la scène internationale, comme les Accords de Paris sur le climat par exemple, que Pékin a fortement défendus après que les Etats-Unis aient décidé d’en sortir. Concernant Jérusalem, la Chine s’est déclarée « inquiète » et a dit craindre une « escalade des tensions » dans la région. « Toutes les parties concernées doivent avoir à l’esprit la paix et la stabilité régionales, être prudentes dans leurs actions et leurs déclarations, éviter de saper les bases d’une résolution de la question palestinienne », a déclaré un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. C’est la première fois que Pékin s’exprime aussi ouvertement sur ce sujet.
Cependant, le seul membre permanent du Conseil de sécurité capable d’assumer un leadership sur ce dossier est la France, qui représente aujourd’hui un certain consensus européen sur le futur règlement du conflit. D’autant plus que la France a un rapport particulier à Jérusalem, car elle est, comme la Jordanie, gardienne des lieux saints. Mais la rencontre du Président Macron avec le Premier ministre Netanyahou le 11 décembre à Paris a montré qu’il n’était pas pressé d’assumer ce rôle. On attendait beaucoup du Président Macron, mais rien n’a été dit. Emmanuel Macron est préoccupé par d’autres dossiers et il a compris que le conflit israélo-palestinien n’est plus prioritaire pour ses partenaires au Moyen-Orient, même pour un Etat comme l’Iran, qui a fermement condamné la décision du président américain, mais qui est en réalité bien plus préoccupé par les questions du nucléaire ou de l’Arabie saoudite. Cependant, la France tente d’être visible sur ce dossier, elle peut monter en charge, elle a notamment initié une conférence de presse de tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à l’exception des Etats-Unis, qui visait à condamner la décision américaine et à souligner l’isolement de l’administration Trump.
Dans la culture juive, Jérusalem est centrale, et même fondatrice du judaïsme. Elle rappelle l’exil, l’absence du temple. Elle est constitutive de la diaspora. Au début du 20e siècle, les premiers leaders sionistes se sont méfiés de Jérusalem, qui avait une forte connotation religieuse. Ils ont donc valorisé Tel-Aviv, créée ex-nihilo en 1909, comme capitale fondatrice du sionisme. Mais en 1950, Jérusalem Ouest devient la capitale politique et administrative d’Israël, le Parlement, la présidence et tous les ministères y déménagent, à l’exception du ministère de la Défense, encore aujourd’hui basé à Tel-Aviv. La conquête de 1967 entraîne l’occupation de Jérusalem Est par les Israéliens, elle instaure donc un changement sur le terrain, mais ce n’est pas à ce moment-là que le réel basculement s’opère. Avec l’arrivée de la droite israélienne au pouvoir en 1977, le rapport à Jérusalem Est commence à changer. C’est en 1980, avec l’adoption de la loi fondamentale qui déclare que Jérusalem « indivisible » - donc Jérusalem Ouest et Jérusalem Est - est la capitale d’Israël, qu’un réel basculement s’opère. Consécutivement à cette loi, les 13 ambassades présentes à Jérusalem Ouest quittent la ville pour s’installer à Tel-Aviv. 1980 est donc la date tournant du processus de « nationalisation » de Jérusalem par les Israéliens.
Pour les Palestiniens, le rapport à Jérusalem ne s’est bien sûr pas construit de la même manière. Sous l’Empire ottoman, jusqu’en 1872, Jérusalem est soumise à l’autorité du Vali de Damas. Cependant, dès 1872, les Ottomans décident de faire de Jérusalem un Sanjak autonome directement relié à Istanbul, ce qui a pour conséquence d’amorcer l’autonomisation politique de la Palestine et la capitalisation de Jérusalem. La ville devient, aux yeux des populations arabes vivant sur les terres de la Palestine historique, une capitale au sens administratif du terme, en plus de son importance religieuse décisive pour les musulmans puisqu’il faut rappeler que la ville sainte abrite le plus ancien monument islamique conservé au monde, le dôme du Rocher, construit en 691. En 1920, les congrès fondateurs de la cause arabe palestinienne sont organisés à Jérusalem. Mais entre 1948 et 1967, les Jordaniens administrent la partie Est de la ville, et décapitalisent Jérusalem, qui devient une ville de province. Cependant, aux yeux des Palestiniens eux-mêmes, Jérusalem s’impose rapidement comme la capitale évidente d’un futur Etat souverain. En 1964, le Congrès fondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine a lieu à Jérusalem. La ville de Jérusalem est par ailleurs aujourd’hui très vivante, elle constitue un irremplaçable centre de ressources commerciales et culturelles pour les Palestiniens. Dans les faits, y compris par son dynamisme démographique, Jérusalem Est constitue bel et bien la capitale politique, économique et culturelle palestinienne.
Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
– Vincent Lemire (dir.), Jérusalem. Histoire d’une ville-monde
– Donald Trump et le conflit israélo-palestinien, un président qui s’affirme en rupture mais dont la politique étrangère s’inscrit dans la tradition de la diplomatie américaine
– La déclaration Balfour : un anniversaire confronté à l’actualité
– A relire, en lien avec l’actualité : Jérusalem, une ville divisée chargée de symboles
– A relire, en lien avec l’actualité : Jérusalem depuis 1947, un statut ambigu
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Vincent Lemire
Historien, né en 1973 à Paris, Vincent Lemire travaille sur l’histoire de Jérusalem depuis 1997. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Fontenay / Saint-Cloud (1994-1999), agrégé d’histoire (1998) et docteur en histoire contemporaine (2006), en délégation CNRS au CRFJ à Jérusalem entre 2012 et 2014. Il est actuellement maître de conférences à l’Université Paris-Est / Marne-la-Vallée et directeur du projet européen (ERC) open-Jerusalem (« Opening Jerusalem’archives, for a connected history of ‘Citadinité’ in the Holy City (1840-1940) ») consacré à l’ouverture et à l’interconnexion des archives sur l’histoire contemporaine de Jérusalem.
Il a notamment publié Jérusalem 1900, la ville-sainte à l’âge des possibles (Armand Colin 2012, Prix Augustin Thierry 2013, rééd. Points-Seuil 2016) ; il a récemment dirigé Jérusalem. Histoire d’une ville-monde (Champs-Flammarion, 2016, Prix Pierre Lafue 2017) et Le Moyen-Orient de 1876 à 1980 (Armand-Colin 2016).
Ses travaux portent sur Jérusalem et le Proche-Orient contemporain, l’histoire environnementale et l’histoire du patrimoine.
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