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Les élections municipales organisées en Turquie le 31 mars dernier ont été sources d’étonnements positifs notamment concernant le droit des femmes et des minorités. Le vote qui a sanctionné le parti au pouvoir et qui a porté certaines figures féminines au-devant de la scène mérite qu’on s’y attarde pour souligner son importance, en contraste avec un ton conservateur et patriarcal et pour juger d’une possibilité de réforme sociale en profondeur.
Pour comprendre en quoi ce vote redonne un souffle à l’égalité sociale et politique, nous avons interrogé le docteur Zeynep Usal-Kanzler, ancienne professeur dans le département de droit de l’université Koc, avocate spécialiste du respect des droits humains, de la démocratie et de l’Etat de droit.
A mon avis, les élections municipales de dimanche 31 mars ont donné un espoir pour ceux et celles qui pensaient que la démocratie en Turquie n’était qu’écrite sur le papier. Elles ont montré que l’alternance au pouvoir entre les partis politiques est encore possible.
Les autorités locales sont les plus proches des citoyens et le changement commence toujours sur le terrain. Si le discours et l’action politique sont plus démocratiques, plus inclusifs et plus pluralistes à ce niveau, le changement sera possible et contribuera à l’élaboration de politiques fondées sur les droits humains et, donc, aura un impact au niveau national.
Entre autres choses, le rôle des municipalités est crucial pour assurer l’égalité d’accès aux services et garantir la responsabilité civile et morale des autorités vis-à-vis des citoyens.
Souvenons-nous, par exemple, du terrible tremblement de terre qui a eu lieu dans la province de Hatay en 2023 : si les municipalités avaient mieux contrôlé les permis de construire, la situation aurait peut-être été moins tragique.
Un autre domaine est celui de la violence faite aux femmes. Le changement de discours politique pourrait permettre de faire évoluer ce sujet. Au lieu de la narration dominante autour des « valeurs familiales », il serait désormais possible de mettre en avant le respect d’une vie digne pour les femmes.
Les municipalités, par exemple, peuvent aider à fournir des abris aux femmes qui en ont besoin, ces initiatives sont fortement soutenues par les normes internationales en matière de droits de l’homme. Evoquons notamment la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, mieux connue sous le nom de Convention d’Istanbul. En 2011, la Turquie a été le premier pays à signer la Convention, avec le soutien du Parti de la justice et du développement du président Erdogan et des groupes de défense des droits des femmes. La Convention d’Istanbul est un traité international novateur spécialement conçu pour lutter contre la violence à l’encontre des femmes et des filles, l’une des formes les plus graves de violation des droits de l’homme fondée sur le sexe. La convention d’Istanbul définit des normes en matière de prévention de la violence à l’égard des femmes, de protection et d’aide aux survivantes et de poursuite des auteurs, et impose aux États parties l’obligation de fournir aux victimes un minimum de services d’aide essentiels, tels que des refuges et une assistance médicale. La Convention exige des États parties qu’ils respectent, protègent et mettent en œuvre les droits fondamentaux des femmes et des filles, y compris des réfugiées et des migrantes [1].
Le 20 mars 2021, Recep Tayyip Erdogan a annoncé le retrait du pays de la Convention d’Istanbul, par décret présidentiel, une procédure que de nombreux experts en Turquie ont critiquée comme étant inconstitutionnelle. Le gouvernement a justifié sa décision en disant que la Convention d’Istanbul était utilisée pour « normaliser l’homosexualité » et qu’elle était donc « incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie ». L’un des engagements des partis d’opposition en Turquie est de rejoindre la Convention d’Istanbul dès que le gouvernement actuel ne sera plus au pouvoir.
Des institutions véritablement démocratiques devraient refléter la diversité de la population et répondre aux besoins de tous, avec la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique. Dans les États membres du Conseil de l’Europe, dont la Turquie fait partie, les hommes représentent environ trois quarts des membres des gouvernements et des Parlements nationaux (voir par exemple la stratégie du Conseil de l’Europe en matière d’égalité de genres [2] et les données de ONU Femmes sur les femmes en politique 2023 [3]).
La répartition du pouvoir, des responsabilités et de l’accès aux ressources économiques, sociales et culturelles entre les femmes et les hommes reste très inégale en raison de la persistance des rôles traditionnels qui prévalent entre les hommes et les femmes. La mise en œuvre de la parité et de quotas d’hommes et de femmes, ainsi que celle de politiques favorisant l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée dans les services publics et privés pourraient contribuer à cette égalité, notamment dans le domaine de la politique.
Au niveau politique, cela nécessite également de faciliter la participation des femmes aux élections au niveau européen, national, régional et local, ainsi que de renforcer les capacités des candidates, des élues et des électrices - y compris les femmes issues de groupes marginalisés et les jeunes femmes - et à lutter contre le sexisme et le harcèlement dans les partis politiques et des institutions.
La participation des femmes à la vie politique turque est chroniquement faible. Cela est lié à de nombreux facteurs, qu’ils soient politiques (le système électoral, les statuts des partis politiques, les critères de sélection des candidats), sociaux (tels que le système de protection sociale, les régimes de congé parental et les mesures visant à concilier travail et vie familiale), économiques (par exemple, l’écart salarial et l’accès aux professions et carrières) ou culturels (notamment les stéréotypes sur le rôle des femmes et des hommes, qui, dans certains contextes, entravent la participation politique active des femmes en raison du patriarcat et de la soumission des structures familiales).
L’accès aux médias et au financement est également crucial pour les femmes qui sont actives en politique. Cependant, les femmes sont moins représentées dans les médias que les hommes et elles ont peu de place dans les journaux télévisés et les émissions d’information politique. Elles y sont souvent mentionnées pour leur tenue vestimentaire ou leur vie privée plutôt que pour leur activité et leurs réalisations politiques, et sous les angles traditionnels de l’éducation et des affaires sociales.
Il semble que les partis d’opposition, qui ont obtenu de meilleurs résultats lors de ces élections, sont déterminés à parvenir à une plus grande égalité dans leurs partis, comme par exemple le DEM (le parti populaire pour l’égalité et la démocratie - parti à prédominance kurde), par la mise en place d’une coprésidence, y compris au niveau local. Il s’agit donc d’un véritable effort pour rendre les femmes plus visibles dans la vie politique plutôt que d’une stratégie cosmétique.
Comme je l’ai dit précédemment, j’espère que cette élection mobilisera les forces démocratiques et rendra la scène politique plus sensible aux actions et aux récits fondés sur les droits humains.
Florence Somer
Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.
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