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Etat palestinien : quelles réalités ? (1/4)

Par Ilham Younes
Publié le 04/03/2014 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Palestinian president Mahmud Abbas delivers a speech during the admission ceremony of Palestine at the UNESCO headquarters in Paris, on December 13, 2011. Abbas said membership in the UN’s education, science and culture agency represented the key first recognition of his state and he hoped other world bodies would follow suit.

JOEL SAGET / AFP

Véritable succès diplomatique pour l’autorité palestinienne, ces événements marquent un tournant vers la reconnaissance internationale de l’État palestinien. Quelle est la genèse du processus de construction étatique palestinien ? Que vaut cette reconnaissance ? Cet article propose une recontextualisation historique et juridique de la revendication étatique palestinienne de sa genèse jusqu’à aujourd’hui. Il sera suivi par d’autres pistes de réflexions : les Arabes d’Israël et l’enjeu pour un futur État palestinien, le nationalisme palestinien face à ses nouveaux défis et la quête d’un État palestinien viable.

L’émergence du nationalisme palestinien

Comme toutes formes de revendications nationalistes, le nationalisme naît de la prise de conscience par un peuple de former une nation en raison des caractéristiques politiques, culturelles et identitaires qui les lient. Le nationalisme palestinien se révèle bien avant la proclamation officielle de l’État hébreu le 14 mai 1948, cet essor pouvant être situé au milieu des années 1920. La Palestine, alors sous mandat britannique depuis la dislocation de l’Empire ottoman depuis la fin de la Première Guerre mondiale, n’est pas un territoire délimité par des frontières strictes. En effet, pendant la période ottomane, la Palestine était englobée administrativement au sein de la Grande Syrie, composée des actuels pays suivants : Syrie, Liban, Jordanie, Israël-Palestine. Le nouveau découpage administratif par les puissances mandataires française et britannique consacré par les accords Sykes-Picot du 16 mai 1916 prévoit la division de la Syrie et la Mésopotamie en cinq zones : « une zone bleue (Syrie littorale et Cilicie) où la France peut mettre en place un régime d’administration directe ou protectorat, une zone rouge (basse Mésopotamie) sous la protection de la Grande Bretagne, une zone dite brune (Palestine) sous l’égide de la France et de la Grande-Bretagne, une zone A (Syrie intérieure) avec une zone d’influence française sur le royaume arabe de Hussein et enfin une zone B (Mésopotamie moyenne) où la Grande-Bretagne aura également une zone d’influence sur le royaume arabe ».

Ce nouveau découpage n’affaiblit pas le sentiment d’appartenance de la province palestinienne à la Syrie arabe. La déclaration Balfour adoptée par le Parlement britannique le 2 novembre 1917 qui prévoit la création d’un foyer national juif en terre de Palestine, va susciter chez les Arabes de Palestine un sentiment nouveau d’appartenance à une nation palestinienne, certes encore politiquement inexistante, mais symboliquement et affectivement déjà réelle. Cette nouvelle forme de patriotisme puisqu’il ne s’agit pas encore réellement de nationalisme, va s’accentuer avec l’expropriation progressive des terres palestiniennes par une nouvelle immigration juive. Le patriotisme palestinien est en marche et se construit, selon Camille Mansour « simultanément contre le projet britannique et contre le projet sioniste » [1]. Pour autant, il ne se développe pas en marge du nationalisme arabe et du projet d’une Grande Syrie défendu par l’un des fils de Hussein de La Mecque, Fayçal, proclamé roi de Syrie depuis mars 1920. C’est toute la particularité du processus de conscience étatique palestinien qui est étroitement lié aux revendications arabes du roi Fayçal qui voyait la Palestine comme une partie du Royaume arabe (la grande Syrie).

Ce patriotisme naissant est conduit principalement par l’élite palestinienne incarnée par une figure centrale : Mohammed Amin El Husseini, nommé grand mufti de Jérusalem depuis 1921. Il est notamment à l’origine de la grande grève des Arabes palestiniens de 1936. Cette révolte contre le projet sioniste et britannique va s’étendre sur l’ensemble du territoire et mener à des émeutes. A cette occasion, Mohammed Amin El Husseini devient le principal leader politique du mouvement national palestinien et revendique auprès des forces britanniques la création d’un État arabe palestinien indépendant. Ces revendications prennent forme à travers l’établissement, en 1936, d’un haut comité arabe dont l’objectif est de représenter politiquement les intérêts des Arabes de Palestine. Le grand mufti de Jérusalem prend alors la tête de ce mouvement. Progressivement, le haut comité arabe reçoit le soutien des États arabes et la question palestinienne s’internationalise sous le regard inquiet des Britanniques.

Face à cette instabilité, les autorités britanniques prennent la décision d’éliminer de l’échiquier politique le principal « agitateur local », le grand mufti de Jérusalem [2]. En 1937, le haut comité arabe est déclaré illégal et le mufti est retiré de ses fonctions officielles. Mohammed Amin El Husseini est alors contraint à l’exil. Ce départ affaiblit lourdement l’élite palestinienne en tête du mouvement national palestinien. Il n’y a plus de réel leader en interne qui puisse parler au nom des Palestiniens. Le nationalisme palestinien connaît alors une période de vide jusqu’aux années 1960 avec la création du Fatah (Mouvement de Libération nationale) en 1959 au Koweït par Yasser Arafat. Le mouvement de libération nationale a pour objectif principal l’indépendance de la Palestine et la lutte contre l’État hébreu. Le 28 mai 1964, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) voit le jour et incite les actes de résistance armée depuis l’étranger (Jordanie, Syrie, Liban). En 1968, l’ensemble des acteurs de la résistance palestinienne dont le Fatah se rassemblent autour de l’OLP et la Charte de l’OLP devient la Charte nationale palestinienne. Mais tous les Palestiniens ne se reconnaissent pas dans cette déclaration. A la veille du déclenchement de la première intifada (1988-1993) en décembre 1987, la mouvance des Frères musulmans crée le Mouvement de la résistance islamique, Hamas, pour contrer le nationalisme arabe laïc promu par l’OLP [3]. L’échiquier politique palestinien s’organise et en 1988, lors de la réunion du Comité exécutif de l’OLP à Alger, l’indépendance de la Palestine est proclamée et reconnue par une vingtaine d’États (Principalement des pays d’Afrique, d’Amériques, d’Asie et quelques pays de l’Europe l’est). Le 2 avril 1989, Yasser Arafat est élu symboliquement Président de la Palestine par le Conseil national palestinien.

La matérialisation politique d’une autorité palestinienne prend forme et ne peut plus être ignorée par l’État hébreu. En 1993, la signature des accords d’Oslo marque un tournant dans la reconnaissance internationale d’une entité politique palestinienne aux côtés d’Israël.

La reconnaissance d’une entité étatique palestinienne dans le cadre des accords d’Oslo de 1993

Le 10 septembre 1993, l’OLP et Israël échangent des lettres de reconnaissance mutuelle. Quelques jours plus tard, le 13 septembre 1993, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin signent à Washington une déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie qui instaurent « une autorité palestinienne intérimaire pour une période transitoire n’excédant pas cinq ans, en vue d’un règlement fondé sur les résolutions 242 et 339 du Conseil de sécurité de l’ONU » [4]. Deux étapes sont prévues. La première vise un transfert progressif d’autorité à l’OLP, d’abord à Gaza puis sur une partie de la Cisjordanie pendant cinq ans, pour parvenir à l’ensemble de la Cisjordanie à terme. La deuxième phase porte sur les questions centrales relatives aux réfugiés, à la sécurité, aux implantations israéliennes ou encore au statut de Jérusalem. Des problématiques qui devraient être abordées au plus tard au début de la troisième année de la période intérimaire. En principe, l’accord signé entre les deux parties devait permettre la création d’un État palestinien au terme des cinq ans.
L’assassinat du Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995 à Tel-Aviv porte un coup dur au processus de paix. Les tensions déjà palpables entraînent une escalade de la violence, la résistance armée du Hamas reprend en réponse aux attaques ciblées du Shin Beth (services de sécurité intérieurs israéliens). La reprise de la colonisation en parallèle met à mal l’échéance prévue par les accords d’Oslo pour la réalisation d’un État palestinien. Aujourd’hui, plus de vingt ans après la déclaration d’Oslo, l’autorité palestinienne est toujours intérimaire et ne dispose d’aucune souveraineté sur ses territoires.

Les tentatives de reconnaissance de la Palestine comme État au sein d’organisations internationales

Face à son statut fragile et dérisoire, l’autorité palestinienne décide en 2011 d’utiliser les institutions internationales en vue de la reconnaissance d’un État palestinien. Pour Julien Salingue, spécialiste de la question palestinienne, « Ce qui motive la demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU, c’est l’espoir d’être sur un pied d’égalité avec Israël, dans des négociations d’État à État sous le patronage américain » [5]. Le 23 septembre 2011, Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne, demande officiellement à ce que la Palestine soit reconnue dans ses frontières de 1967 comme État membre des Nations unies.

Pour qu’une telle requête fasse l’objet d’un vote au sein de l’Assemblée générale, 9 membres sur 15 du Conseil de sécurité doivent approuver la candidature sauf veto de l’un des membres. Pour le cas palestinien, c’est le veto américain qui bloque ce processus d’adhésion. Pour passer outre ce blocage, le 29 novembre 2012, le Président de l’Autorité palestinienne présente une demande de statut d’État observateur à l’Assemblée générale des Nations unies qui ne requiert qu’un vote à la majorité simple. Ce nouveau statut sera approuvé par 138 États en dépit de l’opposition d’Israël et des États-Unis. La Palestine dispose désormais tout comme le Saint Siège d’un statut d’observateur permanent, ce qui lui permet principalement d’assister aux réunions de l’Assemblée générale sans toutefois pouvoir voter.

A l’UNESCO, la Palestine devient le 195 ème État membre le 31 octobre 2011. La délégation palestinienne dispose désormais d’un droit de vote sur les conventions relatives à la culture mondiale et détient de nouveaux outils juridiques pour protéger les sites historiques et naturels palestiniens [6].

Pour autant, la reconnaissance de la Palestine au sein d’organisations internationales permet-elle de matérialiser l’existence d’un État palestinien souverain ? En effet, si la reconnaissance symbolique d’une structure étatique palestinienne est largement reconnue par la communauté internationale et même de facto par l’État hébreu, les conditions matérielles et juridiques pour parler d’un État ne sont pas réunies. En effet, au delà de ces succès diplomatiques dont la retombée médiatique a été forte, une réalité demeure : il n’existe aucun État sans souveraineté politique et territoriale. Un État c’est avant tout « un appareil administratif centralisé contrôlant un territoire en disposant du monopole de la violence légitime et des moyens de le faire appliquer et sanctionner les règles qu’il édicte » [7]. En droit international public, trois critères sont essentiels pour caractériser un État : une population, un territoire et la souveraineté. En Palestine, il est difficile d’envisager l’émergence d’un État puisqu’il n’existe pas de réelle continuité territoriale. Autrement dit, il n’y a pas de territoire palestinien à proprement dit mais plutôt des entités territoriales palestiniennes que le dispositif de séparation (le mur) n’a cessé d’accroître depuis 2002. En effet, l’éclatement de l’espace palestinien a entraîné l’éclatement de la souveraineté palestinienne sur ses territoires [8]. Dès lors, quand bien même la Palestine serait reconnue par les Nations unies comme État, que vaudrait cette reconnaissance en l’absence d’une structure étatique juridiquement fondée ? Que vaut un État sans continuité territoriale et sans souveraineté politique ?

Aujourd’hui, beaucoup d’analystes s’accordent à dire que la reconnaissance de la Palestine au sein d’organisations internationales n’est que symbolique et qu’elle ne fera pas avancer le projet de construction étatique palestinien. Toutefois, pour les Palestiniens, cette reconnaissance au niveau international signifie bien plus : permettre à la Palestine, certes inexistante politiquement et juridiquement, de continuer à exister symboliquement.

Lire les parties suivantes :
Etat palestinien (2/4), Le statut des Arabes israéliens : quel enjeu pour un futur État palestinien ?
Etat palestinien (3/4) : Les défis du nationalisme palestinien
Etat palestinien (4/4) : Quelle viabilité pour un futur État palestinien ?

Publié le 04/03/2014


Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.


 


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