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Eve Curie, une héroïne de la France Libre dans les conflits du Proche et Moyen-Orient (1904-2007)

Par Claudine Monteil
Publié le 30/05/2016 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 13 minutes

Grandir à l’ombre de la science

Eve Curie naît le 6 décembre 1904. Sa sœur, Irène, son aînée de sept ans, se consacrera à la recherche scientifique. L’année précédente, en 1903, Pierre et Marie Curie ont été avec Henri Becquerel, lauréats du prix Nobel de physique. La famille, très unie, connaît un drame. Le 19 avril 1906, Pierre Curie est renversé par une voiture dans Paris. Eve Curie, âgée d’un an, n’aura aucun souvenir de son père. Marie Curie, trop marquée par le deuil, sera dans l’incapacité de mentionner son nom devant sa cadette. Celle-ci écrira plus tard combien elle en a souffert.

Sa jeunesse se passe entre Paris et la maison de l’Arcouest, à la pointe de la Bretagne face à l’île de Bréhat, entourée des plus grands scientifiques de l’époque qui témoignent à Marie Curie un profond respect. L’un de leurs plus proches amis n’est autre qu’Albert Einstein. Eve Curie est encore une enfant lorsque celui-ci, au cours d’une promenade, évoque auprès de Marie Curie la théorie de la relativité. Mais la jeune fille n’est pas, à l’inverse de son aînée, attirée par les sciences, au regret de sa mère qui l’imagine travaillant plus tard auprès d’elle comme radiologue à l’institut du radium.

Son intérêt se concentre sur le piano et l’écriture. Encore lycéenne, elle souhaite s’engager dans une carrière musicale. Marie Curie veut d’abord que la jeune fille réussisse le baccalauréat. En dépit de quelques concerts donnés pour ses vingt et un ans qui suscitent la curiosité du public et des médias, la jeune femme comprend qu’elle ne pourra prétendre à une carrière internationale de virtuose. Dans une famille où seule prime l’excellence, elle interrompt sa carrière de pianiste au bout de deux ans et devient critique musicale, se lie d’amitié avec Arthur Rubinstein et Colette, notamment.

« Madame Curie », ou le deuil éclatant de l’écriture

Proche du dramaturge Henri Bernstein, célèbre avant-guerre pour ses pièces telles que Mélo, repris par la suite par Alain Resnais, elle est l’une des personnalités du Tout Paris. Son élégance, sa culture, en font une femme d’influence dont les portraits figurent dans la presse, habillée par les grands couturiers. Dans le même temps elle est proche de sa mère qu’elle avait accompagnée en 1921 dans sa tournée triomphale aux Etats-Unis. Marie Curie décède en 1934, dans une relative indifférence. A la demande d’un éditeur américain, Eve Curie publie en 1937 Madame Curie, l’histoire de sa mère qui lui apporte une renommée mondiale, traduit en une trentaine de langues, couronné aux États-Unis par le prestigieux National Book Award. En 1943, la Metro-Godlwyn-Mayer produira une adaptation au cinéma avec Greer Garson dans le rôle principal. Elle effectue une tournée à travers les Etats-Unis pour présenter les Françaises. Hommage exceptionnel, l’hebdomadaire politique Time lui consacre sa couverture en février 1940.

L’engagement au sein de la France libre et séjour au Levant

Lorsque les troupes allemandes envahissent la France, Eve Curie embarque à Bordeaux à bord du Madura, et rejoint le général de Gaulle à Londres le 23 juin 1940. Elle lui propose sa plume et sa voix à la radio et une tournée de conférences aux Etats-Unis. En 1941, à Washington à l’invitation des Roosevelt, elle loge à la Maison Blanche. A la fin de l’année elle devient correspondante de guerre pour plusieurs journaux américains et se rend sur tous les fronts. C’est l’occasion pour Eve Curie, après avoir été témoin des combats en Libye, de se rendre au Liban et en Iran.

A Beyrouth, où l’attend le fils du général Catroux, l’atmosphère lui rappelle douloureusement la France avant l’occupation. Partout, des indications en français et des soldats qui se promènent : « Je ressens tout à coup, avec une violence insupportable, le poids de ma détresse et de ma solitude depuis ce jour de juin 1940 où je suis partie de France (1) ». Dix-huit mois, en effet, sans être retournée dans son pays, alors occupé. Elle a, entretemps, été déchue de la nationalité française et radiée de l’ordre de la Légion d’honneur.

L’échange avec le général Catroux est très cordial. Elle le qualifie d’officier aux idées démocratiques qui a aussitôt pris la voie de la France libre. Gouverneur de l’Indochine au moment de l’Armistice, il fait savoir au maréchal Pétain qu’il entend poursuivre la lutte contre l’Allemagne depuis l’outre-mer. Destitué de ses fonctions par Vichy, il rejoint Londres. Bien que général d’armée – alors que de Gaulle est un général de brigade – il accepte de se placer sous le commandement de celui-ci.

Eve Curie se rend, avec le général Catroux, vers son quartier général à Damas, en Syrie. La propagande d’Hitler et de Mussolini semble avoir réalisé des avancées. D’abord par leur politique dite « pro arabe », qui s’appuie sur l’antisémitisme de certains Arabes, note-t-elle. La fille cadette de Marie Curie cite une chanson entendue dans les rues de Damas et d’Alep « Plus de Monsieur, plus de Mister. Videz les lieux, disparaissez – Allah règne aux cieux, Hitler sur la terre (2) ». Il s’agit de gagner aussi le combat des idées contre les promesses de l’Axe.

Des échanges entre le général de Gaulle et le ministre d’Etat Oliver Lyttelton aboutissent à la reconnaissance solennelle de l’indépendance des républiques de Syrie et du Liban. Celle-ci est proclamée par le général Catroux, au nom de la France, puissance mandataire depuis 1920 (3). Cependant, pour Eve Curie, cette indépendance ne règle pas pour autant les problèmes religieux et ethniques de la région. L’Orient compliqué, évoqué depuis l’aube des temps, n’a pas changé. Elle souligne aussi, pour bien les connaître, les ambiguïtés de la diplomatie britannique. Elle rappelle en particulier le partage de la région, pendant la Première Guerre mondiale, entre la Grande-Bretagne et la France, et les promesses faites au chérif de La Mecque, Hussein. A présent, en pleine Seconde Guerre mondiale, les Anglais ne sont plus en mesure d’utiliser dans les négociations cette carte diplomatique. Faut-il y voir de facto, une perte d’influence de la France et de l’Angleterre dans ces deux pays ? Eve reste, dans ses écrits, optimiste. La déclaration du nouveau Président de la République syrienne Taggedine, dans laquelle celui-ci rend hommage à la France « libérateur des peuples (4) », est réaffirmée lors de l’entretien qu’il lui accorde. Il déclare à Eve Curie : « Aux musulmans syriens, Hitler n’a cessé de promettre l’indépendance, et la suprématie dans le Levant. La création de la République syrienne par la France libre et la Grande-Bretagne vient de réduire de moitié l’efficacité de cette propagande nazie (5) ». Et le président syrien de garantir l’engagement de son pays du côté des Alliés, rendant hommage au général Catroux, considéré par les parties concernées comme l’homme de la situation. La francophonie donne des raisons de croire aux propos du nouveau président. Le français est en effet la langue dans laquelle s’expriment libanais et syriens. Avec le général Catroux, les Français libres disposent d’un point d’appui et les Alliés d’une base dont l’importance va devenir croissante au moment où l’Amérique entre en guerre.

Pour autant Eve Curie ne cache pas les traces de l’effet dévastateur du ralliement du général Weygand au maréchal Pétain. Weygand a entraîné la neutralisation de l’armée française en Syrie, composée de cent mille hommes, décourageant tout esprit de résistance. Cet officier a joué là, dit-elle, le même rôle démobilisateur que Pétain en France. L’utilisation de ces deux noms prestigieux témoigne de l’habileté d’Hitler. Quand Weygand ne sera plus utile à l’Axe, en novembre 1942, lors de l’occupation de la zone libre en France, Hitler le fera arrêter et déporter.

En dépit des liens très forts entre la France et le Liban, la France libre se heurte à la division des communautés religieuses chrétiennes. Selon Eve Curie, les Jésuites soutiennent Pétain, les Dominicains le général de Gaulle. Un Dominicain, également officier, s’émeut que l’une des plus grandes armées du monde soit devenue en si peu de temps une des plus petites. Il regrette que lorsque du matériel moderne arrive des Etats-Unis ou de l’Angleterre, celui-ci, en nombre insuffisant, est distribué d’abord aux forces alliées, et peu aux Forces françaises libres. Cela décourage et blesse plus encore les maigres troupes, en rébellion contre la capitulation. Le Dominicain, raconte-t-elle, obtiendra finalement des armes et sera tué, quelques mois plus tard, à Bir Hakeim.

Lors de son séjour au Liban la fille de Marie Curie rappelle dans ses articles le rôle majeur du général de Gaulle lors de la défaite. Son premier mérite est d’avoir permis aux Français libres de s’unifier, « de poursuivre la guerre comme Français, et sous un commandement français (6) » même s’il ne s’est trouvé qu’à la tête de quelques milliers de soldats, alors qu’il aurait pu espérer disposer de centaines de milliers d’hommes, dont ceux des armées de l’Empire. L’idée de renoncer, ajoute-t-elle, ne l’effleure pas. A Beyrouth, alors qu’elle tape ces lignes, plusieurs bataillons des Forces françaises libre composés d’hommes de Nouvelle-Calédonie et d’Afrique s’entraînent au combat. Certains d’entre eux s’étaient immédiatement ralliés à de Gaulle en juin 1940 et avaient accouru auprès de fonctionnaires coloniaux qui, çà et là, se rassemblaient. Quelques chefs de tribus avaient proposé d’entrer en guerre contre l’Allemagne. Peut-être le souvenir de l’humiliation causée par Hitler à l’athlète noir Jessie Owens aux Jeux Olympiques de Berlin était-il parvenu jusqu’à eux ? Sans doute le racisme de l’Allemagne nazie en avait-il décidé certains.

L’un des drames de la guerre du Proche-Orient, explique le général Catroux à Eve Curie, est que les Français doivent se battre contre d’autres Français. Aucun soldat des Forces françaises libres ne recevra d’avancement ni de citation pour des combats contre d’autres compatriotes. Eve en est bouleversée. En hommage à ces morts, elle se recueille devant des tombes de Français récemment tués par d’autres dans un cimetière près de Damas et ne peut retenir ses larmes. La tragédie est à ses pieds, des Français libres sont enterrés à côté de partisans de Vichy.

Séjour en Iran et entretien avec le Shah Mohamed Reza Pahlavi

En 1942 elle effectue aussi un reportage sur l’Iran, la guerre et la stratégie des Alliés. L’une des difficultés majeures pour ceux-ci réside dans le transport de matériel vers la Russie. Les voies de chemin de fer dans les différentes régions de l’Iraq et de l’Iran n’ont pas le même écartement. De plus, aucune ligne n’est reliée aux autres. Anglais et Américains s’embourbent sur des routes impraticables, alors qu’ils doivent assurer, écrit-elle, le transport journalier de trois à quatre mille tonnes de matériel depuis Bassora en Iraq jusqu’aux ports de la Caspienne. Embarqués sur des cargos russes, les armes et les munitions rejoignent Astrakhan, à l’embouchure de la Volga. Aucune autre voie de transport terrestre ou ferroviaire. La construction de deux nouvelles lignes est en cours, mais est loin d’être achevée. Et le réseau de transport principal, le chemin de fer trans-iranien qui relie depuis 1939 le golfe Persique à la Caspienne, est difficilement utilisable. En effet, souligne-t-elle, Riza Shah avait « établi le tracé de chemin de fer franco-iranien de manière à ce qu’il ne puisse servir ni aux Anglais ni aux Russes […] ». Le Shah en avait tiré d’autant plus de plaisir qu’il l’avait conçu à sa fantaisie, en dehors de toute ingérence étrangère. Mais le Shah a perdu le pouvoir et les Alliés font un sérieux effort pour développer en Iran un grand réseau de communications, « indispensable à la guerre ».

Ceux-ci font venir des locomotives et des wagons depuis les Etats-Unis, d’autant plus que Roosevelt vient de déclarer la guerre. L’Iran est devenu un vaste chantier de constructions, mais rien ne fonctionne vraiment, constate Eve Curie qui rencontre des obstacles dans la transmission de ses reportages. Les câbles urgents qui lui sont adressés de New York mettent plus de dix jours à l’atteindre. Dans les différentes légations, les sacs de courrier diplomatique s’empilent, faute d’avions disponibles pour les transporter. Alors que Noël approche, toujours sans visa, Eve reste bloquée à Téhéran. Elle a le temps d’observer les jeux d’influence qui s’y déroulent, et à ne pas se fier aux apparences. L’élite cultivée s’exprime dans un excellent français. Nombre d’Iraniens ont effectué leurs études à Paris et parfois épousé une Française. L’Iran est alors, avec l’Egypte, le Liban et la Syrie, un lieu d’influence de la civilisation française. Pour autant, cet avantage ne se traduit guère par des retombées économiques ou commerciales pour les entreprises, la France n’ayant pas su profiter de cette influence pour en tirer les bénéfices.

D’autres Etats occupent le vide laissé par Paris. L’Angleterre contrôle les gisements pétrolifères du Sud, tandis que, sur le plan commercial, les Iraniens sont fascinés par la puissance allemande : « Les vitrines de Téhéran sont pleines de produits pharmaceutiques, de poêles, de lampes et d’innombrables appareils électriques made in Germany. Pourtant, pendant mon séjour dans le pays, je n’entendrai pas prononcer un seul mot d’allemand (7) ». Même si les familles iraniennes continuent d’envoyer leurs enfants dans les écoles françaises du pays, les Etats-Unis sauront tirer profit de leur industrie cinématographique pour inciter les Iraniens à acheter leurs produits. Une fois encore, la fille cadette de Marie Curie constate la capacité politique et économique dont les autres nations sont capables, au détriment de la France victime de son vide stratégique.

Eve Curie obtient un rendez-vous avec le tout jeune Shah d’Iran, Mohamed Reza Pahlavi. Agé de vingt-deux ans, grand et mince, celui-ci, vêtu d’un uniforme vert pâle, la salue. S’adressant à elle dans un français parfait, le souverain évite d’achever ses phrases, comme s’il craignait d’exprimer le fond de sa pensée. Sans doute est-il encore en état d’apprentissage et craint-il le moindre faux pas. Il faut, pour Eve Curie, détendre le souverain, gagner sa confiance. Celui-ci est inquiet de l’image de son pays coupable d’une « non-résistance » à l’occupation anglo-russe. Le jeune Shah est sans doute secrètement humilié de cette situation. Celui-ci « espère que les Nations unies demeureront solidaires au lendemain de la guerre et prendront l’initiative d’une politique mondiale raisonnable, dont les pays tels que l’Iran pourront s’inspirer ». Il souhaite tisser des liens plus étroits avec les Etats-Unis et l’interroge sur Roosevelt avec lequel elle s’est entretenue à la Maison Blanche quelques semaines auparavant. Le discours de ce jeune monarque est imprégné d’expressions occidentales. Il prononce même, à voix basse, le mot « démocratie », pour se raviser et rendre hommage à la force de caractère de son père, ancien monarque autoritaire et oriental. En le quittant, Eve Curie s’interroge sur la capacité du monarque à tenir face aux géants qui l’entourent tels Hitler, Staline, Roosevelt, Churchill.

Eve Curie poursuit ensuite son périple en Russie, en Birmanie et en Chine. Après avoir maintes fois côtoyé Franklin D. Roosevelt, Winston Churchill, elle rapporte ses entretiens avec le général commandant la Chine du Nord, Chou-En-Laï, futur ministre des Affaires étrangères de la République Populaire de Chine, Tchang-Kaï Shek, et la veuve de Sun-Yat-Sen, tous jouant un rôle stratégique dans le fragile échiquier international. Eve Curie en dresse des portraits tout en présentant une analyse les enjeux géostratégiques pour l’accès aux matières premières. Son ouvrage de huit cent pages A Journey among the Warriors (« Voyage parmi les guerriers » en français), connaît une diffusion conséquente et se retrouve sur la liste des possibles lauréats du Prix Pulitzer.

Volontaire féminine de la France Libre et officier de liaison à l’Etat-Major du général Brosset, femme de l’ombre de l’OTAN

Après un retour aux Etats-Unis, où elle est une fois encore logée à la Maison Blanche. Les foules se déplacent pour l’entendre. Elle s’engage en Angleterre dans le corps des volontaires féminines de la France Libre. Combattante, elle est blessée sur le front d’Italie, et effectue la campagne de Provence comme officier de liaison du général Brosset. C’est elle qui assure la jonction entre la 2ème DB et de la 1ère DB. Le général de Gaulle et le maréchal de Lattre de Tassigny lui rendront hommage.

Après-guerre, elle fonde avec l’écrivain Philippe Barrès le quotidien Paris Presse dont elle sera codirectrice. Nommée en 1952 Conseillère spéciale du Secrétaire général de l’OTAN, elle est la seule femme à occuper un poste de cette envergure stratégique au sein de la diplomatie française et internationale. Elle monte la stratégie de l’OTAN en pleine guerre froide, et Pierre Mendès France, alors président du Conseil, sollicite son aide dans les relations entre la France et les Etats-Unis.

La Palestine, théâtre du nouvel ordre mondial

En 1954, alors qu’elle officie encore à l’OTAN, Eve Curie épouse Henry Labouisse, le diplomate américain en charge de mettre en œuvre le programme Marshall en France. Il se voit bientôt confier de nouvelles responsabilités et diriger le programme de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), créé à la suite de la première guerre israélo-arabe par la résolution 302 (IV) de l’Assemblée Générale des Nations unies du 8 décembre 1949. Le mandat de cet organisme devait être temporaire. Pour les Etats-Unis, le soutien à ce Fonds fait partie d’une vaste campagne de contre-influence vis-à-vis de l’URSS et des Non-alignés.
Elle retourne ainsi au Moyen-Orient où son mari coordonne pour les Nations unies des programmes pour les réfugiés. Un financement conséquent des Etats-Unis leur permet d’obtenir qu’un de leurs ressortissants en assure la direction. Henry Labouisse coordonne ce programme depuis Beyrouth où il s’installe avec son épouse à l’été 1954. Eve Curie participe très souvent aux entretiens, prend des notes, observe, commente. Elle devient, de facto, sa conseillère. Entre la lumière et l’ombre, elle est très présente : « C’était son conseiller le plus écouté dont l’acuité intellectuelle et instinctive reposait sur une compréhension profonde des problèmes internationaux et humains acquise en tant que correspondante de guerre (8). » Henry Labouisse visite tous les camps, et rencontre des difficultés considérables à obtenir de meilleures conditions de vie des réfugiés au Liban, en Jordanie et en Syrie. Les dirigeants arabes qu’il rencontre ne le souhaitent pas. Cela risquerait d’empêcher le retour de ces hommes et de ces femmes en Palestine. Henry Labouisse fait cependant installer des tentes, services médicaux et latrines dans les camps. Parfois, en une nuit, les latrines sont bourrées de cailloux. Sabotées, elles sont inutilisables. Des articles paraissent dans la presse, accusant l’UNRWA d’empoisonner les populations lors des distributions d’eau et de nourriture. Face à cette campagne de diffamation, Henry Labouisse tient bon mais il se rend à l’évidence. Les autorités arabes n’accepteront comme solution au problème que l’application pure et simple de la résolution 194 des Nations unies du 11 décembre 1948 sur les réfugiés palestiniens.

Sauver les enfants avec l’UNICEF

Washington appellera Henry Labouise à d’autres fonctions, dont celle, à la demande de John F. Kennedy, d’ambassadeur des Etats-Unis en Grèce. Il sera ensuite à la tête de l’UNICEF de 1965 à 1979. Eve Curie l’accompagnera dans une centaine de pays où ils réussiront à faire s’entendre des Etats aux politiques opposées en pleine guerre froide pour le seul bien des enfants. Il se rendront sur le terrain pendant le conflit du Biafra et sauveront des vies. Henry Labouisse et Eve Curie resteront très proches du professeur Robert Debré, père de Michel Debré, grand-père de Jean-Louis et Bernard Debré, longtemps représentant de la France auprès de l’Unicef.

S’engager pour les autres restera son défi jusqu’à son dernier souffle. A New York, lors des attentats du 11 septembre 2001, elle se portera, à 96 ans, volontaire pour secourir les sinistrés. Elle s’éteint à New York le 22 octobre 2007, à 102 ans, et repose auprès de son mari au cimetière Metairie de La Nouvelle Orléans.

Notes :
(1) Eve Curie, Voyage parmi les guerriers, Maison Française, New York 1944, p. 117.
(2) Ibidem, p. 122.
(3) Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Le Liban et les rivalités occidentales au Levant, Syrie-Liban, 1918-1939, Paris L’Harmattan, 2006, p.12.
(4) Eve Curie, Voyage parmi les Guerriers, New York, Maison française, 1944, p. 123.
(5) Ibidem.
(6) Ibidem, p. 134.
(7) Ibidem, p.161.
(8) Paul-Louis Gendron, En marge de l’histoire, Luisant Durand SA, 1999, volume 3, p.102.

Référence :
 Claudine Monteil, Eve Curie, l’autre fille de Pierre Curie, Paris, Odile Jacob, 2016.
 Eve Curie, Madame Curie, Paris, Gallimard 1938.
 Eve Curie, Philippe Barrès, Raoul de Roussy de Sales, They speak for a Nation, letters from France, New York, Doubleday and Doran, 1941.
 Eve Curie, Voyage parmi les guerriers, New York, Editions de la Maison française, 1944.
 Marie Curie, Marie Curie et ses filles, Lettres, préface d’Hélène Langevin-Joliot et de Monique Bordry, Paris, Pygmalion 2011.
 Louis Paul Gendron, En marge de l’histoire, 3 volumes, Luisant, Durand SA, 1999.

Publié le 30/05/2016


Claudine Monteil, issue d’une famille scientifique, est une ancienne diplomate qui a occupé des fonctions ayant trait aux affaires stratégiques, culturelles, politiques et économiques. Elle a publié plusieurs ouvrages sur Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Charles et Oona Chaplin. En hommage à son père, médaille Fields et prix Abel, Claudine Monteil a publié un roman policier, Complots mathématiques à Princeton.


 


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