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Montée sous la direction artistique du rappeur marseillais Akhenaton, cette exposition événement présente un mouvement, longtemps rejeté des cercles d’analyses artistiques, qui accompagne depuis les années 1970, la voix des jeunesses contestataires. L’Institut du Monde Arabe présente ici le Hip-Hop dans toute sa transdisciplinarité : l’exposition nous plonge, dès le seuil franchi, dans une ambiance sonore qui balaye l’histoire musicale du mouvement, des premiers samples du Bronx à l’appropriation arabe qui s’est manifestée au cœur des révoltes qui ont secoué le Maghreb et le Moyen-Orient en 2011. Cette ambiance sonore habille une exposition qui se déploie sur plus de 1000m², où se croisent les œuvres d’artistes contemporains, archives presse et télévisuelles et symboles incontournables du hip-hop.
Si l’IMA ouvre aujourd’hui ses salles à une telle exposition, consacrée à un art international, né aux États-Unis et qui a connu un développement spectaculaire en Europe dans les années 1980, c’est en regard du rôle qu’il a tenu dans les rues arabes au moment des révoltes de 2011 – et qui, toujours aujourd’hui, fait preuve d’une innovation remarquable.
L’exposition s’ouvre sur l’acte de naissance du hip hop : été 1973, Bronx, New York, États-Unis. Le break d’jing naît sur les platines de Kool Herc, qui à partir des disques de ses parents rallonge le break de morceaux de funk et de jazz et lance ainsi le grand mouvement des block parties. Les battles de DJs se multiplient dans les fêtes et dans la rue, et s’impose rapidement comme un art qui permet de fuir la misère et la violence de la pauvreté qui habite à l’époque le Bronx. Sont exposés pour illustrer ce premier moment des photographies et des témoignages qui présentent ce mouvement d’émancipation par la musique et la danse comme le nouveau langage de la jeunesse. Les flyers de fêtes hip hop côtoient des sélections de vinyles de mix et des objets symboliques, comme la paire de lunettes Cazal ou les colliers de l’Universal Zulu Nation, créés par Afrika Bambaataa.
La distribution en France des enregistrements hip hop américains, et la diffusion par le biais de la radio de cette culture en plein essor amène les amateurs de musique, de danse et de graff français à prendre le relai de l’autre côté de l’Atlantique. À l’aune des années 1990, Paris et Marseille disposent de lieux incontournables.
Les vinyls exposés permettent de mesurer l’importance de cet outil pour les DJs qui en ont fait le moyen d’expression de leur identité, fondamentalement politique et culturelle. Les sons sur lesquels se développent le beat des rappeurs aux textes de plus en plus construits sont ceux d’un répertoire musical riche et marqueur, lui aussi, d’identité. L’héritage de la musique traditionnelle arabe apparaît ainsi comme une véritable mine pour les créateurs du Maghreb et du Moyen-Orient.
Au fond de cette première salle, une carte du monde qui, des États-Unis au Liban en passant par Marseille pointe, exemples musicaux à l’appui, les grands centres hip hop du monde, de 1973 à 2011. On constate ainsi que la jeunesse engagée et militante arabe se trouve du côté du hip hop et du rap ; c’est par la danse qu’il mobilise le Maghreb dès les années 1980, rapidement suivie par un rap contestataire qui devient rapidement un phénomène suivi par la jeunesse, notamment algérienne et marocaine. C’est internet qui démocratisa dans les années 2000 le rap en Tunisie, dont l’exemple d’El General semble à ce titre le plus éclairant [1]. Du côté oriental, le groupe palestinien DAM, né dans la ville israélienne de Lod, exprime sa frustration d’être « des citoyens de seconde zone en Israël » [2] et rappe en arabe, en anglais et en hébreu.
L’exposition se poursuit sur la mezzanine, où œuvres d’art contemporains côtoient des archives télévisuelles, des coupures de journaux, des graffitis réalisés in situ et des costumes Addidas, symboles fondamentaux d’appartenance à la sphère hip hop. L’œuvre Arrêt automatique total (2013) de l’artiste français Vincent Bousserez, qui présente des personnages miniatures vivant au cœur d’un ghetto blaster, environne une série de sneakers [3] et de chaîne en or, issus de codes vestimentaires assumés qui se diffusent de plus en plus à l’échelle mondiale.
Vincent Bousserez, Arrêt automatique total, 2013
Courtesy de Galerie Sisso
© Vincent Bousserez
Dès les années 1980, le hip hop perd le caractère festif qu’il déployait à ses débuts. Le groupe Grandmaster Flash and the Furious five est l’un des premiers à décrire le désespoir de populations abandonnées. Le rap commence à servir la cause de l’activisme noir ; de nombreux rappeurs renouent avec l’islam engagé de Malcom X et des Last Poets.
Avec le développement d’internet, ces rappeurs américains connaissent un écho considérable dans le monde arabe. Le groupe DAM est le sujet d’une bande dessinée de Cyrille Pomès et Jean-Pierre Filiu, Le Printemps des arabes dont quelques planches sont présentées.
Sur la fin de l’exposition, la musique s’écarte au profit d’autres facettes de la culture hip hop, qui répond aux mêmes exigences de performance, de compétition et de beau geste. Les graffitis et la danse s’enrichissent mutuellement, les poses des danseurs ayant inspiré les graffeurs, et la danse partageant avec le graffiti ce caractère mobile d’un art qui circule et s’adresse à tous, dans une conception éphémère de la beauté.
Cette expérience du graffiti fait écho à une pratique culturelle commune dans le monde arabe. Les maisons des hajji comme les murs des magasins sont souvent couverts de compositions peintes ; c’est tout naturellement que le nouvel esthétisme du graffiti va s’imposer sur les murs des villes orientales. De nombreuses photographies témoignent des graffeurs des crew d’Occident et d’Orient : ainsi, la célèbre image d’Abdo el-Amir, Glory to the unindentified qui fige deux breakdancers devant l’immense portrait mural d’un jeune graffé sur les murs du Caire – pratique qui s’est développée de manière spectaculaire au moment des révoltes sur la place Tahrir en 2011.
Ammar Abo Bakr, Mo Mahmoud said Khaled, “Glory to the unidentified”, 2013
Ganzeer, Cairo, Egypt
© Abdo El Amir
L’exposition se clôt sur des vidéos exaltant le breakdancing et sur un mur ouvert à la libre expression.
Institut du Monde Arabe
1, rue des Fossés-Saint-Bernard
75005 Paris
http://www.imarabe.org/exposition/hip-hop-du-bronx-aux-rues-arabes
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
Notes
[1] El General, rappeur tunisien, est l’une des voix de la révolution de Jasmin. Il se mobilise depuis 2008 sur les réseaux sociaux contre le régime, et est le premier en 2011 à oser apparaître sur le clip vidéo de l’une de ses chansons, engagée contre le ra’is, ce qui lui vaut la prison.
[2] Citation du panneau d’exposition consacré au rap palestinien (salle 1).
[3] Chaussure de sport détournée pour un usage citadin.
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