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Exposition « Mésopotamie, carrefour des cultures - Grandes Heures des Manuscrits irakiens », du 20 mai au 24 août 2015 aux Archives nationales de Paris

Par Mathilde Rouxel
Publié le 21/05/2015 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

L’histoire de la Mésopotamie

La scénographie propose quatre espaces distincts. La première partie de l’exposition nous replonge dans l’histoire de cette Mésopotamie plusieurs fois millénaire ; mythique et fascinante, elle a attiré très tôt les voyageurs occidentaux, explorateurs qui, à l’instar de Jean-Baptiste Tavernier, ne manquent pas de relater leurs découvertes dans des ouvrages ou dans de riches échanges épistolaires. Cette présentation introductive permet de comprendre l’intérêt manifeste de la France pour le patrimoine et les cultures de la région : les consuls de Mossoul installés par Louis-Philippe au milieu du XIXe siècle étaient archéologues, et avaient pour mission de mener de grands chantiers dans cette contrée riche en histoire. Parmi les grands chantiers menés dans les années 1840-1850, l’exposition pointe particulièrement celui de Korshabad, dirigé par Victor Place. La particularité de cette fouille est notamment la richesse de la documentation qui a été produite à ce moment-là : Victor Place fut en effet le premier archéologue à utiliser la photographie pour rendre compte de ses relevés et conserver une trace de l’avancement des fouilles.

L’archéologie et l’histoire des langues étaient deux domaines très prisés et très travaillés par les frères dominicains. Une vitrine, consacrée aux savants dominicains, nous laisse voir des manuscrits d’assyrologie, discipline inventée par le père Vincent Schriel, ou de grammaire kurde, fondée par l’italien Maurizo Garzoni. Sont également cités les pères Jacques Rhétoré et Raymond Tonneaux, qui apportèrent également beaucoup pour la connaissance des cultures syriaques, kurdes et chaldéennes.

Cette contextualisation historique et culturelle est accompagnée des aquarelles du père Besson, engagé par le pape pour la réorganisation de la mission de Mossoul et qui donna de la région des illustrations hautes en couleurs et en témoignage historique.

La bibliothèque dominicaine de Mossoul

La salle suivante présente sept facsimilés de manuscrits issus de la bibliothèque de la Mission dominicaine de Mossoul, créée au moment de l’installation des dominicains italiens à Mossoul en 1750. Cette bibliothèque était à l’origine composée d’ouvrages imprimés et importés de Rome. Les ouvrages sont variés, et principalement écrits en syriaque et en soureth (langue araméenne moderne, parlée par les natifs de Mossoul). Les facsimilés présentés de ces trésors incontournables laissent voir de riches manuscrits à l’iconographie d’une réalisation époustouflante, qu’ont su rendre avec une réalité remarquable les imprimeries du Centre Numérique des Manuscrits Orientaux. Ce centre a été créé par des moines dominicains du monastère de Mossoul en 1990 : en numérisant et en conservant son patrimoine depuis vingt-cinq ans, ce centre a pu sauver 8000 manuscrits de la destruction [1]. Ainsi a-t-on sous les yeux un poème d’Avicenne, deux ouvrages de grammaire, deux lectionnaires en syriaque ornés de miniatures, un livre de médecine, des textes sacrés, parmi lesquels le Livre de la Perle et le Catalogue des livres ecclésiaux d’Abdisho bar Berikha. Les chrétiens de Mésopotamie accordent en effet une grande importance aux textes, qu’ils soient « à méditer » ou « à usage immédiat » ; les textes présentés reflètent donc avec intelligence cet éventail de lecture disponible et demandé par les chrétiens de l’époque.

Du Toulousain à la Mésopotamie : huit siècles de mission dominicaine

Cette troisième salle revient sur l’histoire de l’ordre dominicain. On y contemple la bulle du pape Honorius III confirmant à Dominique et aux frères prêcheurs de Saint-Romain de Toulouse leur mission de prédication, acte fondateur de l’ordre des Dominicains à Toulouse. Ils deviennent alors Frères prêcheurs en 1216, après avoir participé dès 1206 à la campagne de prédication contre l’hérésie albigeoise.

Ils s’installent à Paris en 1219-1220 sous la bénédiction de Saint-Louis, auxquels ils sont très liés. Véritables diplomates, ils tiendront le rôle d’émissaire de la papauté en Orient, chargés de la mission de collecter des manuscrits arabes et de créer des contacts avec les autorités musulmanes. Le récit illustré du pèlerinage au Proche-Orient de Riccoldo da Monte Croce, dit le Livre des Merveilles illustre la tenue de ces négociations.

L’évangélisation de la Mésopotamie, attribué à Addai et Mari, disciples de l’apôtre Thomas, date du IVe siècle. Une cruche magique ornée de malédictions en araméen contre un chrétien illustre cette première période chrétienne dans cette région, riche en couvents et en monastères.

Mais ce n’est qu’à l’époque moderne que fut amorcé l’établissement du couvent de Mossoul, les dominicains n’ayant investi la Mésopotamie avant le XVIIe siècle. Le mouvement de la Contre-Réforme engage les autorités religieuses à réinvestir la région, et les dominicains italiens arrivent à Mossoul en 1750, sous le pontificat de Benoît XIV. C’était jusque-là les capucins qui renseignaient la France sur les activités commerciales pratiquées dans la région : l’exposition donne à voir un rapport détaillé réalisé par Jean-Baptiste de Saint-Aignan à la demande de Colbert, daté du 6 avril 1670.

Puis vint le temps de la mission française, débarquée en 1856 sur la volonté du pape Pie IX, qui souhaite réorganiser la mission dominicaine, dans une situation locale très tendue. Le couvent fut reconstruit (1862-1866) ; on installa un hospice. En 1884, le champ de la mission française s’élargit, jusqu’à atteindre Van, en Arménie. Un couloir entier est dédié au caractère social de cette présence dominicaine en territoire mésopotamien, particulièrement à Mossoul.

La reproduction d’un plan de la ville de Mossoul, datée de 1909, permet de rendre compte du champ d’action de la mission française à cette époque. La mission de Mossoul est chargée dès 1873 du fonctionnement de vingt-sept écoles, qui reçoivent des écoliers de toutes les confessions et de toutes les cultures. Des lettres sont présentées : elles sont écrites en soureth, la langue parlée, populaire. On découvre alors que les enseignements étaient délivrés dans cette langue démocratique, dont il s’agissait d’établir une grammaire ; cette particularité souligne, une fois encore, l’implication de la mission dominicaine auprès des populations. Sont exposés des abécédaires arabes et chaldéens, imprimés en Irak par la presse d’imprimerie Marioni importée en 1860 par les dominicains français et qui a permis la diffusion de la science dans la région. Elle fonctionna jusqu’à la guerre de 1914, où elle fut détruite puis jetée dans le Tigre.

Certains documents sont particulièrement émouvants ; c’est le cas de ces albums de photographies, les premières réalisées dans la région, mais aussi de cette page du père Jacques Rhétoré, témoin oculaire des massacres de Mardine en 1915, qui raconte ce qu’il a vu ; archive indispensable à ajouter au dossier de la question arménienne.

À la recherche des manuscrits orientaux

La dernière partie est consacrée à l’exposition de quelques manuscrits particuliers. Rappelant que l’intérêt de la papauté pour les Églises chrétiennes d’Orient est née de la circulation de manuscrits entre la Mésopotamie et Rome, cette salle illustre près de trois siècles de conservation et de collection des manuscrits orientaux. On peut observer dans cette salle des manuscrits syriaques et arabes, un texte arabe sur les apologétiques chrétiennes – véritable chef d’œuvre d’enluminure – ou encore l’un des derniers évangéliaires en parchemin, daté de 1192 [2].

Ainsi, cette exposition permet de prendre pleinement conscience des dangers que court actuellement le patrimoine irakien et syrien aux mains de l’État islamique. La présentation de telles œuvres a été organisée dans le cadre du huitième centenaire des Dominicains, inscrit au calendrier 2015 des Commémorations nationales, en partenariat entre les Archives nationales et de l’Association pour l’Histoire de l’Ordre de saint Dominique en Europe. L’exposition sera suivie par deux journées d’études portant sur Histoire et patrimoine de l’Ordre Dominicain.

Lien vers le site des Archives nationales :
http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/web/guest/mesopotamie

Archives nationales de Paris
60, rue des Francs Bourgeois
75003 Paris

Ouverture du lundi au dimanche (fermé le mardi)
En semaine : 10h00-17h30
Le samedi et dimanche : 14h00-17h30

Contacts
Tél. : 01 40 27 60 96 - Fax. : 01 40 27 66 45
Courriel : infomusee.archivesnationales@culture.gouv.fr

Publié le 21/05/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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