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Alors que ces dernières décennies, les vêtements traditionnels des femmes au Proche-Orient ont changé et sont généralement de couleurs sombre, le musée du Quai Branly nous révèle une incroyable collection de manteaux, coiffes et robes de fêtes magnifiquement décorés et colorés, rompant avec toute sobriété, datant pour la plupart de la fin du XIXème siècle à aujourd’hui.
Hana Chidiac, commissaire de l’exposition et responsable de l’unité patrimoniale des collections d’Afrique du Nord et du Proche-Orient du musée et le couturier Christian Lacroix, directeur artistique, reprennent ici le monde magique des femmes d’Orient qui a longtemps fasciné les voyageurs occidentaux, poètes et artistes du XIXème en mal d’inspiration et d’exotisme. C’est donc à ces femmes que l’exposition souhaite rendre hommage à travers leurs vêtements. Leurs robes, parures, vestes, manteaux, patiemment embellis et brodés à la main semblent alors témoigner de leur mode de vie, leurs rêves et leur histoire. Outil de séduction et de protection, le vêtement devient alors un véritable moyen d’exister dans un monde qui a longtemps marginalisé les femmes.
C’est à partir des collections textiles du musée, accumulées depuis l’entre-deux-guerres grâce à divers dons et achats ainsi que des pièces prêtées par Madame Widad Kawar, historienne et spécialiste des costumes du Proche-Orient, que Christian Lacroix et Hana Chidiac ont imaginé cette exposition. 150 pièces venues de Syrie, de Jordanie, de Palestine et du désert du Sinaï, dont la plupart sont présentées pour la première fois au public français, illustrent le talent et l’art de la broderie qui s’est affiné au fil des siècles.
Le parcours, de forme circulaire et entièrement pensé par le célèbre couturier, se veut une « déambulation poétique ». Allant des pays du Nord vers le Sud, de la Syrie au désert du Sinaï, en passant par la Jordanie et la Palestine, le visiteur peut ainsi découvrir les diversités régionales tout en ayant le sentiment de voyager.
L’exposition commence par une petite robe d’enfant du XIIIème siècle, retrouvée en 1991 dans une grotte de la vallée de Qadisha dans le Nord du Liban. Sa forme en « T » semble ne pas avoir été réellement modifiée au fil des années et témoigne bien d’une certaine continuité des traditions. Toutefois, si le vêtement garde le même modèle, la diversité des costumes du Proche-Orient n’en est pas moins surprenante. Les variations dans l’évasement des robes et la forme des manches (rajout de pièces de tissu triangulaire en Palestine et en Syrie par exemple) font de chaque habit une pièce unique.
Manteaux, sérouals (pantalons amples) et caftans composent la garde-robe des villageoises syriennes. Dans le Nord et l’Est, les robes et les manteaux sont plutôt cousus dans des tissus bleu nuit ou noir alors que vers Damas et Hama, les étoffes sont dans les tons ocres. Des broderies colorées en point de croix viennent alors égayer ces étoffes. On peut constater que le rouge, synonyme de fécondité et de protection, reste la couleur prédominante. Plusieurs robes de fête (dont une de mariée) et manteaux des années 1920-1930 ainsi qu’une série de vestes courtes illustrent la richesse du vêtement traditionnel syrien qui retranscrit le statut, l’âge, le village, la tribu de la femme qui les porte. On peut également noter la technique de teinture à réserve par ligature nouée utilisée sur trois robes : le tissu est noué autour d’un petit caillou ou d’une lentille puis teint, permettant ainsi de former des motifs pointillistes.
La visite se poursuit par l’exposition de costumes jordaniens. Au milieu de longues robes aux couleurs vives, jaunes et rouges, ou plus foncées ornées de lignes cousues en point passé plat, bleu, vert, rose, une robe surdimensionnée, mesurant environ 3,5 mètres, provenant du village de As-Salt, attire alors l’attention. Une vidéo d’une jeune femme explique comment la porter : retroussée plusieurs fois et tenue par une ceinture, la robe forme ainsi plusieurs jupons qui peuvent servir également pour transporter des objets ou un bébé. Ses larges manches forment enfin un voile. Là encore, l’utilisation des couleurs n’est pas anodine : l’indigo a la vertu de protéger contre le mauvais œil.
Par ailleurs, les costumes des femmes palestiniennes sont richement brodés. Ramallah, Beit Dajan, Bethléem ou encore les villes de la côte de Gaza (d’où vient la « gaze », tissu fin et très léger) ont formé de véritables centres artisanaux où l’art de la broderie se transmet de génération en génération. Des robes de fêtes et des manteaux provenant de différents villages (Hébron, Gaza, Naplouse, Galilée, Ramallah) illustrent la richesse des styles et la minutie de l’ouvrage.
Par ailleurs, longtemps vêtues de manière assez sobre dans des tuniques bleues, les Bédouines du Sinaï se sont inspirées au début du XXème des tenues de leur voisines palestiniennes, égayant ainsi leurs habits de motifs brodés. On découvre alors plusieurs parures de visage ainsi qu’une série de coiffes venant des tribus d’Al Akharsa, d’Al- Bayadiya ou d’Al Ayaida. Embellies par des broderies, des pièces de monnaie, des perles, des boutons, ou encore des chainettes ou des pompons sur les côtés, elles portaient ainsi sur leur vêtement toute leur fortune.
Quelques costumes d’aujourd’hui viennent compléter le parcours. La multiplication des contacts avec les tenues portées par les femmes occidentales occidentales, puis la fin de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale ont peu à peu occidentalisé les codes vestimentaires. La guerre de 1967 a finalement contraint les Palestiniennes à vendre leurs dernières robes pour subsister. Aujourd’hui, certaines associations humanitaires tentent de relancer cette activité économique afin d’assurer aux femmes palestiniennes une source de revenue. La boucle se ferme alors, à la manière d’un défilé qui se clôt sur les robes de mariée, par cinq robes blanches brodées provenant de l’ensemble du Proche-Orient.
Par ailleurs, plusieurs mannequins entièrement habillés ainsi que des coffres spécialement conçus par Christian Lacroix pour l’évènement, contenant le trousseau traditionnel de la mariée, permettent de faire vivre ces tenues. Dans une petite salle, des informations sont données sur les différentes techniques utilisées au Proche-Orient, où il est également possible de toucher des robes pour mieux ressentir la qualité et le relief de ce long travail. Enfin, une série de dessins réalisés par Elisabeth d’Aumale, épouse du consul général Armand Marie Jacques d’Aumale, en poste en Palestine et en Transjordanie entre 1928 et 1938 et des poupées provenant de Syrie, de Palestine et du Sinaï viennent compléter la vision du costume dans la région.
C’est donc une très belle exposition de pièces uniques et originales que nous propose le musée du quai Branly où même les vêtements les plus simples et les plus sobres captivent l’attention du visiteur. Cette exposition, qui mêle savamment l’esthétique à l’ethnographie et à l’histoire, est un beau témoignage de cet art exercé au fil des siècles par des femmes anonymes qui, à travers les différentes formes, symboles et couleurs des vêtements, ont laissé une part d’elles-mêmes aux générations futures.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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