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Fabrice Balanche, Atlas du Proche-Orient arabe

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 13/02/2012 • modifié le 29/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Basé sur une problématique novatrice – replacer cette zone dans son concept géographique et historique d’origine : le Bilâd es Sham – cet atlas analyse les particularités et les points communs du Proche-Orient, qui bien que constituant une « entité géographique » dès le VII ème siècle, s’est trouvé fragmenté politiquement à la suite de la Première Guerre mondiale et de la mise en place des mandats sur la Syrie, le Liban, la Palestine et la Transjordanie. Depuis 1948, avec la création de l’Etat d’Israël, cette région est en guerre : le conflit a pesé sur la construction interne de chacun des Etats du Proche-Orient et a modifié leur développement économique. L’auteur s’attache en 52 fiches réparties en huit chapitres à analyser les « traits communs » et les différences entre ces Etats sur les plans géographique, historique, politique, démographique, économique, du développement urbain, des Territoires palestiniens, géopolitique. Outre la problématique de l’ouvrage et la densité des informations contenues dans chacune des fiches thématiques, les nombreuses illustrations qui appuient chacune des analyses de l’auteur : cartes, tableaux et graphiques, sont l’autre point remarquable de l’ouvrage.

Le chapitre consacré à la géographie met en évidence « la menace de l’aridité » de la région, en raison essentiellement de sa situation géographique, entre la Méditerranée et le désert, de son climat et de la forte exploitation du réseau hydraulique.

Sur le plan historique, Fabrice Balanche revient sur les grandes étapes de la construction de la région. Pendant l’Empire ottoman, la région, caractérisée par un très fort communautarisme, profite de la politique de modernisation de la Porte mais est également confrontée aux politiques d’influence des puissances occidentales, dont les intérêts aboutiront à la suite de la Première Guerre mondiale. Le partage territorial de la province arabe de l’Empire ottoman est notamment décidé par les Britanniques et les Français lors des accords Sykes-Picot de mai 1916. En 1922, des mandats sont octroyés par la Société des Nations (SDN) à la France et à la Grande-Bretagne : la France obtient la Syrie et l’Etat du Grand Liban qu’elle a créé en 1920 ; quant à la Grande-Bretagne elle obtient la Palestine, territoire sur lequel un foyer national juif doit être créé, selon la déclaration Balfour de 1917, ainsi que la Transjordanie. Les indépendances sont données à la Jordanie, à la Syrie et au Liban en 1946, à la Palestine en 1948.

A la suite des indépendances, « les Etats du Proche-Orient s’efforcent de maintenir la cohésion territoriale issue des découpages coloniaux et de réaliser l’unité nationale ». L’auteur analyse les spécificités de chacun des Etats nouvellement indépendants : au Liban, en Syrie, en Jordanie, puis il évoque les volontés d’unité nationale de la Syrie et de l’Egypte par l’éphémère République arabe unie (1958-1961). Ces manifestations du nationalisme arabe s’expriment également en Jordanie ou en Syrie avec la politique d’arabisation des années 1950. Dans ce même contexte de construction nationale, des politiques de réorganisation des réseaux de transport ont été mises en œuvre dans chaque Etats (politique de centralisation autour des capitales). De même, sur le plan administratif, les Etats ont renforcé leur rôle par la mise en place d’un « maillage administratif » plus resserré. Les évolutions internes de la Syrie, de la Jordanie et du Liban sont ensuite analysées, des indépendances aux années 2000.

La population est étudiée, dont les spécificités sont rappelées : elle est « dense et urbanisée » (l’espace habitable représente 20% de la Jordanie, 50% de la Syrie, la quasi totalité du Liban ; la population vit dans les villes à 85% en Jordanie, 80% au Liban, 50% en Syrie selon les chiffres officiels) ; elle est en très forte hausse en raison des migrations (vagues de réfugiés qui arrivent au Proche-Orient) et de la fécondité ; elle est « éduquée » grâce à la baisse de l’analphabétisme et aux politiques d’enseignement des gouvernements. En outre, les femmes participent à la vie économique, en raison de leur accès aux études et aux activités professionnelles. Au final, la population est au cœur des constructions nationales, avec des enjeux différents pour la Syrie (population nombreuse afin de faire face aux guerres israélo-arabes), pour le Liban (enjeu politique des communautés confessionnelles) et pour la Jordanie (place des populations palestiniennes).

Le chapitre concernant l’économie met en évidence la fragilité de celle-ci. Les PIB des Etats ainsi que la part dominante des services dans l’économie sont rappelés, de même que l’organisation de l’entreprise, autour de la famille. Le secteur primaire (il représente 5% du PIB au Liban ; 2,5% en Jordanie ; mais 20% en Syrie), en raison des conditions climatiques, hydrauliques et des superficies arables, n’est pas en mesure de subvenir aux besoins des populations. Les Etats du Proche-Orient, sauf la Syrie qui est en autosuffisance alimentaire, doivent importer. En revanche, ces Etats se spécialisent dans une production spécifique, qu’ils vendent aux Etats du Golfe ou à l’Union européenne (Syrie : huile d’olive ; Jordanie : tomates et concombres ; Liban : jus de fruits, vin, tabac, sucre).
L’industrie manufacturière, prospère dans les années 1960-1970, s’est heurtée à plusieurs facteurs qui ont entrainé son déclin. Au Liban il s’agit de la guerre civile puis de la politique d’ouverture des années 2000 ; en Syrie de l’ouverture progressive des barrières douanières aux produits venus de Chine.
Concernant le tourisme, même si le Proche-Orient attire moins que les destinations plus prisées que sont la Turquie et le Maghreb, l’auteur note cependant que la Jordanie se démarque et « tire merveilleusement profit de son patrimoine paysagé et culturel ». Le tourisme est néanmoins tributaire de la situation géopolitique de la région. Il remarque qu’en en période d’instabilité, les touristes occidentaux limitent leur venue à l’inverse des touristes arabes qui continuent à s’y rendre.
Sur le plan énergétique, le Liban et la Jordanie n’ont pratiquement pas de ressources. En revanche, la Syrie possède des ressources en pétrole et en gaz, avec ses gisements situés dans le nord-est du pays. Même si la production syrienne est en train de diminuer, elle rapporte néanmoins à l’Etat entre 20% et 25% de son budget. Le gaz a fait l’objet de partenariats entre la Jordanie et l’Egypte, ce pays fournissant, à compter de 2001, la Jordanie pour 30 ans. Le Liban quant à lui dépend de la Syrie pour sa fourniture en gaz, qu’il provienne de l’Egypte ou de la Syrie. L’auteur évoque également l’historique de l’évacuation du pétrole irakien, à partir de l’époque mandataire, et rappelle le positionnement stratégique du Proche-Orient et son évolution au grés des grands événements que connut la région. En ce sens, la prépondérance des ports du Levant dans l’histoire est rappelée, ainsi que le positionnement actuel des pays du Golfe, « hubs de niveau mondial », au détriment des installations portuaires du Proche-Orient.

La question de l’organisation urbaine du Proche-Orient est traitée dans le chapitre suivant. Avant de s’intéresser aux spécificités de ce réseau urbain, par l’étude de Damas, d’Amman, de Beyrouth et d’Alep, Fabrice Balanche rappelle que les Etats du Proche-Orient ont bénéficié de l’aide des pétromonarchies du Golfe, aide qui a évolué avec la situation géopolitique de la région : aide aux Etats représentant une « ligne de front face à Israël » dans les années 1970/1980 ; aide ou non aux Etats selon leur participation à la coalition anti irakienne dans les années 1990. Ces investissements se sont beaucoup développés dans les années 2000, en raison notamment de l’augmentation du prix du pétrole. En revanche, à partir de 2008, ils ont diminué en lien avec la chute des prix du pétrole et la crise financière.
L’auteur rappelle ensuite que le Proche-Orient est « fortement urbanisé » (85% pour la Jordanie ; 80% pour le Liban ; 60% pour la Syrie) et que quatre métropoles, Damas, Amman, Beyrouth et Alep, concentrent la majeure partie de la population urbaine (en 2004, Beyrouth et Amman concentrent 50% de la population urbaine ; Damas 40% ; Alep 20%). L’évolution de chacune de ces villes est analysée, des années 1960 à nos jours, ainsi que leur caractéristique majeure : Damas qui ne cesse de s’étendre ; Amman qui ressemble par sa structure aux villes des Etats du Golfe ; Beyrouth caractérisée par son « éclatement » ; Alep qui après 30 ans de déclin au profit de Damas se redresse sur le plan économique.

La Palestine fait l’objet du chapitre suivant. Aux rappels historiques (différents plans de partage de la Palestine, guerres israélo-arabes, territoires Palestiniens, évolution de la colonisation juive, statut de Jérusalem et « judaïsation » de la ville) s’ajoute une analyse de la société et de l’économie d’Israël et des Territoires palestiniens. En préalable, Fabrice Balanche rappelle que « l’Etat d’Israël et l’Autorité palestinienne ne reconnaiss(ant) pas les mêmes frontières, par conséquent nous devons nous appuyer sur celles reconnues par l’ONU, c’est-à-dire la ligne verte qui séparait les belligérants jusqu’au 4 juin 1967, date du début de la guerre des Six jours ». Sur cette base, plusieurs cartes permettent d’analyser les caractéristiques de la population : répartition, densité, urbanisation. La situation démographique des populations des Territoires palestiniens et d’Israël est également analysée : répartition de la population par classe d’âge, croissance démographique, taux de natalité, taux de fécondité.
Sur le plan économique, en dépit de l’espoir suscité par les accords d’Oslo, l’économie des Territoires palestiniens est « assistée et contrôlée » : le PIB par habitants a diminué dans la Bande de Gaza et a stagné en Cisjordanie ; l’aide extérieure est passée de 200 millions de dollars en 1998 à 2 milliards de dollars en 2008. De ce fait, le chômage (en 2007 : 30% dans la Bande de Gaza ; 17% en Cisjordanie) et la pauvreté ont augmenté et, selon l’ONU, 70% des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté en 2006. Concernant la structure des emplois, les trois secteurs d’activité sont analysés, faisant ressortir que le secteur d’activité dominant est celui des services (en 2009, 88% de la population de Gaza travaille dans les services et 55% en Cisjordanie).

Le dernier chapitre de l’ouvrage s’intéresse à la « géopolitique du Proche-Orient ». Plusieurs enjeux sont rappelés :
 le conflit israélo-arabe dans le contexte de la guerre froide (Etats alliés aux Etats occidentaux et au bloc soviétique, évolution diplomatique à la suite de l’effondrement de l’URSS)
 la problématique de l’eau au Proche-Orient
 la question stratégique du Golan
 le rôle des Etats-Unis dans la région depuis 1945 (sécuriser la zone du Golfe arabo-persique riche en hydrocarbures, les liens avec l’Arabie saoudite, la défense d’Israël, la politique du président Bush à la suite du 11 septembre)
 le Liban, « Etat-tampon » entre les Etats voisins que sont Israël et la Syrie, eux-mêmes intermédiaires des Etats-Unis, de l’Iran et de l’Union européenne
 la Turquie et ses relations diplomatiques et militaires avec Israël, et avec la Syrie.

Au final, Fabrice Balanche estime que « la situation actuelle du Proche-Orient arabe est intimement liée à l’avenir du conflit israélo-arabe. Cependant, sa résolution ne réglera pas tous les problèmes évoqués dans cet atlas. Le Proche-Orient est une zone-tampon dominée par les puissances extérieures : les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie ». Cette intervention des puissances « est facilitée par les faiblesses des Etats arabes du Proche-Orient, divisés par des clivages communautaires et territoriaux, que les constructions nationales ne sont pas parvenues à effacer ».

Fabrice Balanche, Atlas du Proche-Orient arabe, Paris, PUPS, RFI, 2012, 133 pages.

Publié le 13/02/2012


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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