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Frappe israélienne dans la banlieue Sud de Beyrouth

Par Yara El Khoury
Publié le 31/07/2024 • modifié le 31/07/2024 • Durée de lecture : 5 minutes

Selon l’Agence Nationale d’Information au Liban [1], les opérations de déblaiement se poursuivent toujours sur les lieux du drame. Menées par les équipes de la Défense civile libanaise, elles se font avec précaution, au vu de l’extrême densité du tissu urbain de la zone résidentielle touchée. Le bilan humain provisoire rapporté par les autorités libanaises faisait état de quatre morts, deux femmes et deux enfants, frère et sœur, dont les corps sans vie auraient été retrouvés enlacés, l’épouvante créée par la déflagration les ayant sans doute portés à se serrer l’un contre l’autre [2]. Leurs funérailles ont eu lieu dans la journée du 31 juillet. Le Ministère de la Santé a pu recenser 74 blessés qui ont été soignés dans des hôpitaux de la banlieue-sud et de la ville de Beyrouth ; 65 ont d’ailleurs pu rentrer chez eux le soir même [3].

Le bilan humain paraît relativement léger, mais le nombre de morts peut s’accroître au fur et à mesure que les opérations de déblaiement vont permettre aux équipes de secours de retrouver d’autres corps prisonniers dans les décombres. La frappe israélienne aurait été menée par un drone et conduite de manière ciblée, comme si l’intention était d’en minimiser l’impact. Une frappe de plus grande ampleur aurait forcément causé une hécatombe dans un tel environnement. La cible se trouve dans la zone de Haret Hreik, un des quartiers de la banlieue-sud de Beyrouth, non pas du côté de la mer, mais plutôt vers l’intérieur, bordé par d’autres quartiers qui tissent le maillage de cette région qui se situe à la périphérie méridionale de la capitale libanaise. Jadis une zone rurale aux portes de la ville, composée de villages à forte présence chrétienne, la banlieue-sud a été transformée par la guerre qui a secoué le Liban de 1975 à 1990 en une zone périurbaine au développement chaotique, pareille en cela à d’autres banlieues qui ont poussé de manière anarchique afin d’accueillir des populations déplacées du fait des combats. Vidée de ses habitants d’origine, elle ne garde plus que certains lieux de culte et des cimetières qui continuent de porter témoignage de leur présence passée. Elle est devenue le refuge des populations chiites contraintes de quitter leurs villages du Sud-Liban au fil des ans et des ripostes israéliennes contre les opérations menées d’abord par les Fedayins des différentes factions palestiniennes, puis par les partis de ce qu’il était convenu d’appeler la gauche libanaise, pour finir avec la résistance islamique incarnée principalement par le Hezbollah. D’une superficie de 29 km2 selon un reportage diffusé sur la chaîne qatarie al-Jazeera [4], la banlieue-sud est bien plus grande que Beyrouth-municipe qui ne fait que 19.8 km2. Bordée à l’ouest par la mer Méditerranée et au sud par l’aéroport international de Beyrouth qu’elle dépasse à certains endroits, elle s’étend de manière tentaculaire sur un territoire aux contours mal définis du côté oriental [5], par la force d’une démographie puissante. Zone de passage incontournable pour les voyageurs qui atterrissent au Liban, elle offre une image inquiétante pour les Libanais qui rentrent au pays et les étrangers qui y arrivent en visiteurs, et ce surtout parce qu’elle est le bastion principal du Hezbollah, et le lieu de résidence de ses principaux cadres. On dit que le secrétaire général du Parti de Dieu, Sayyed Hassan Nasrallah, y vit caché, ce qui ferait de cette banlieue-sud une cible de choix, vivant sous la menace permanente d’une frappe israélienne.

La frappe d’hier soir a visé Fouad Chokor, présenté par les autorités israéliennes comme le chef d’état-major du Hezbollah, chargé des opérations militaires depuis le 8 octobre 2023. Surnommé al-Sayyed Mohsen, Israël le tient pour le dirigeant militaire le plus important du Hezbollah, responsable des affaires stratégiques et bras droit de Hassan Nasrallah. Il convient de noter ici que depuis l’attaque dont il a été la cible, ce que les médias pensent savoir sur lui provient de sources israéliennes, car ce sont elles qui communiquent le plus, le Hezbollah étant pour l’heure dans un mutisme presque total. Ainsi, toujours selon les mêmes sources, Fouad Chokor serait membre du Conseil du Jihad, la plus haute instance militaire du Hezbollah. Depuis 2011, il aurait prêté main forte au régime de Bachar al-Assad dans sa campagne militaire contre les forces de l’opposition en Syrie. Plus récemment, il serait responsable de l’attaque qui a fauché un groupe d’adolescents druzes dans la nuit du samedi 27 juillet à Majdal Shams, dans le Golan syrien occupé depuis juin 1967 par Israël et annexé fin 1981 [6]. Son nom figure aussi sur la liste des personnes recherchées par les États-Unis. Depuis 2017, sa tête est mise à prix pour la somme de 5 millions de dollars en vertu du programme Rewards for Justice érigé en 1984 par le Département d’État afin d’activer la traque de personnes recherchées pour avoir porté atteinte à la sécurité du peuple américain [7]. Le motif est qu’il aurait participé activement à la préparation de l’attentat qui a coûté la vie à 241 Marines à Beyrouth le 23 octobre 1983. Si cela s’avérait exact, cela voudrait dire que ce natif de la région de Baalbeck en 1961 avait juste 22 ans à l’époque des faits qui lui sont imputés par Washington.

L’assassinat de Fouad Chokor n’est pas un incident isolé ; il fait suite à une série d’assassinats ciblés menés par Israël contre différents responsables du Hezbollah, depuis le 8 octobre 2023. En effet, dès le lendemain des attaques du 7 octobre, le Hezbollah avait érigé le Sud-Liban en front de soutien à Gaza, selon les propos de son secrétaire général qui a lancé une véritable guerre d’usure contre Israël, non sans un coût élevé pour son parti et pour la population civile. L’opération qui a ciblé Chokor s’inscrit donc dans un contexte qui lui donne toute sa signification, surtout après l’attaque de Majdal Shams dont on ne sait toujours pas qui en est responsable. Seulement, elle a été suivie quelques heures plus tard par l’opération qui a emporté Ismaïl Haniyé, le chef du bureau politique du Hamas, alors qu’il était en visite à Téhéran pour l’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian. La mort de Haniyé, tué sur le sol iranien, constitue à l’évidence une rupture importante dont les jours qui viennent permettront de prendre la mesure.

Publié le 31/07/2024


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante auprès de la Fondation Adyan, et consultante auprès d’ONG libanaises.


 


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