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Gamal Abdel Nasser (1918-1970) : l’homme, le dirigeant, la légende (2/3)

Par Yara El Khoury
Publié le 31/01/2019 • modifié le 15/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

A picture dated 17 July 1938 shows late Egyptian President Gamal Abdel Nasser who died in September 1970.

STR / AFP

Lire la partie 1

De la Seconde Guerre mondiale à la première guerre israélo-arabe : aux origines des Officiers libres

Le jour où la guerre commence en Europe, le 3 septembre 1939, les Britanniques reprennent le contrôle militaire de la vallée du Nil, en application du traité anglo-égyptien de 1936. Ils obligent aussi l’Egypte à rompre ses relations diplomatiques avec l’Allemagne, puis l’Italie. Mais les gouvernements successifs refusent de déclarer la guerre à l’Axe. La guerre du désert qui a pour théâtre tout le nord du continent africain verra s’affronter les Allemands et les Italiens contre les Français et les Britanniques. Elle prend fin en novembre 1942 avec la victoire des troupes anglaises du général Montgomery sur l’Afrikakorps de Rommel à El-Alamein.

Au cours de cette période, les Britanniques doivent gérer une situation intérieure très instable en Egypte. En raison de la présence de troupes étrangères très nombreuses et de la rareté du fret maritime, les prix montent en flèche. Au palais royal comme au sein de l’armée, des contacts sont entrepris du côté des Allemands. En juillet 1942, des officiers de l’armée égyptienne tentent de prendre contact avec Rommel. Ils veulent lui proposer une aide afin d’obtenir en retour de pouvoir négocier le statut du pays dont ils réclament la libération des Anglais. Anouar el-Sadate figure au nombre de ces officiers ; il est arrêté et emprisonné. La défaite sans appel de l’Allemagne entérine l’échec de ces manœuvres égyptiennes. En 1945, alors que la victoire des Alliés paraît acquise, l’Egypte déclare la guerre à l’Allemagne et au Japon, ce qui lui permet d’obtenir un ticket pour San Francisco où se tient la conférence fondatrice des Nations unies.

Un nouveau conflit armé se déclenche trois ans plus tard, en mai 1948, suite à la proclamation de l’Etat d’Israël. D’abord indécise, l’Egypte du roi Farouk participe à la première guerre israélo-arabe dans le but principal de barrer la route aux ambitions jordaniennes, l’émir Abdallah de Transjordanie aspirant au contrôle de la Cisjordanie, rive ouest du Jourdain. Pour Nasser, c’est la première expérience sur le terrain. Commencée le 15 mai 1948, la guerre prend fin le 6 janvier 1949, mais les combats effectifs ne durent que soixante jours car ils sont entrecoupés de nombreuses trêves imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies. En juillet 1948, l’Egypte favorise la mise en place d’un gouvernement palestinien à Gaza dirigé par Hajj Amine el-Husseini, le mufti de Jérusalem. Au cours de la dernière phase de la guerre, la troupe dont fait partie Nasser se retrouve encerclée à Falouja, au cœur de la bande de Gaza. Elle n’en sortira qu’après la signature de la convention d’armistice entre l’Egypte et Israël, le 24 février 1949. Des conventions similaires sont signées par les autres Etats arabes qui ont été parties au conflit : le Liban, la Syrie et la Jordanie. Elles traduisent une reconnaissance à peine déguisée de l’Etat d’Israël en dépit de l’obstination de ces Etats à affirmer le contraire. La bande de Gaza se retrouve sous administration égyptienne. La frontière internationale séparant le Néguev et le Sinaï tient lieu de ligne de démarcation.

Pour Nasser, les longues semaines passées dans la poche de Falouja ont été un temps de maturation politique. Pris dans l’étau de la jeune armée israélienne, il a tout le loisir de méditer sur l’inefficience du gouvernement du roi Farouk qui a laissé son armée se battre avec des moyens très limités. Sa hargne est aussi dirigée contre les Britanniques omniprésents en Egypte. Pour lui, ils représentent, avec Farouk, les deux facettes de l’oppression qui a entraîné l’Egypte dans la défaite humiliante contre le nouvel Etat d’Israël. Cette opinion est partagée par un certain nombre d’officiers de l’armée égyptienne. Au matin du coup d’Etat du 23 juillet 1952, les Egyptiens les découvrent sous le nom d’Officiers libres.

La mise en place de la République des Officiers libres

Ces Officiers libres sont jeunes et inconnus, issus de la classe moyenne émergente. Pour se faire accepter plus aisément, ils désignent à leur tête le général Mohammed Néguib qui bénéficie d’une popularité certaine auprès des Egyptiens. Mais la réalité du pouvoir est exercée par un Conseil de la révolution de onze membres dirigé par Gamal Abdel Nasser. Les Egyptiens voient en eux des hommes ordinaires, des fils du peuple qui, après des siècles de domination étrangère, reprennent les rênes du pays. L’accueil qui leur est fait est plutôt favorable. Leur jeunesse et leur détermination soulèvent un formidable espoir chez un peuple conscient de sa grandeur passée mais qui ploie sous une occupation étrangère perçue comme humiliante. Le 26 juillet 1952, l’abdication du roi Farouk au profit de son fils Fouad âgé six mois signe la fin de la dynastie albanaise mise en place par Mohammed Ali. Le monarque déchu part en exil.

A part la Grande-Bretagne, les puissances étrangères ne réprouvent pas le coup d’Etat qui s’est passé sans effusion de sang. Les Etats-Unis suivent les événements d’Egypte avec grand intérêt et leur ambassadeur au Caire, Jefferson Caffery, voit d’un œil plutôt bienveillant ceux qu’il appelle les « boys ». Sur le plan intérieur, le programme politique des putschistes est construit autour d’idées générales acceptées par tous les courants politiques qui existent en Egypte : réforme de l’armée, lutte contre la corruption et indépendance nationale. Cette dernière idée est conforme à l’air du temps, en cette époque qui voit se développer la grande vague des décolonisations consécutives à la Seconde Guerre mondiale. En outre, les Officiers libres, dépourvus d’expérience politique, tentent de se doter d’une forme de gouvernance en copiant ce qu’ils croient être le mieux à l’époque, et cela se trouve être le modèle soviétique. Pour les équipes dirigeantes indépendantistes propulsées à la tête des pays nouvellement décolonisés, l’URSS, contrairement aux pays occidentaux, bénéficie d’un préjugé favorable car elle ne se présente pas sous les traits du colonisateur. Son modèle égalitaire est perçu comme le plus à même d’assurer la justice sociale à laquelle ils aspirent. Voilà pourquoi ils décrètent une réforme agraire censée combler le grand fossé qui séparait les grands propriétaires des fellahs ; suivront des décrets de nationalisations dans tous les secteurs. Le résultat ne sera pas une amélioration des conditions de vie des Egyptiens, mais un appauvrissement sous la forme d’un nivellement généralisé par le bas, et surtout la fuite des capitaux et des forces vives de l’Egypte. L’exode avait touché en premier les Juifs d’Egypte qui durent partir sous le coup de la vindicte populaire générée par la création de l’Etat d’Israël ; suivirent les Grecs, les Arméniens, les Syro-Libanais et tous ceux qui avaient donné à l’Egypte une forme de prospérité et qui représentaient la diversité et le dynamisme de la société égyptienne. Ce phénomène, décrit par Robert Solé dans le roman Hôtel Mahrajane, va paver la voie à la radicalisation de la société égyptienne, car peu à peu, la population qui a connu le cosmopolitisme de l’Egypte de naguère s’efface pour laisser place à des générations élevées dans une homogénéité génératrice de suspicion à l’égard de tout ce qui leur paraît étranger. Les Coptes, restés au pays car ils se considèrent comme intrinsèquement égyptiens, vont devenir le souffre-douleur contre lequel s’exercera la colère d’une population déçue par la révolution des Officiers libres mais qui, ne sachant déterminer la cause de son malaise, le déversera contre la dernière composante sociale représentant une forme d’altérité.

Dans le même ordre d’idées, la dissolution de tous les partis politiques reflète le désir des nouveaux dirigeants de l’Egypte de se conformer au modèle soviétique. Le multipartisme est remplacé par un « Rassemblement de la libération », organisation peu structurée de propagande, très peu comparable à un parti unique, mais qui n’en traduit pas moins l’esprit. Comme les partis politiques étaient tombés en disgrâce du fait de leur collaboration avec l’Ancien régime, leur dissolution forcée ne suscite pas de réaction hostile de la part du peuple d’Egypte.

La République égyptienne est proclamée le 18 juin 1953. Mohammed Néguib, le doyen des Officiers libres, en est le premier président. Abdel Hakim Amer, un proche de Nasser, devient le commandement en chef de l’armée. Le mandat de Mohammed Néguib dure moins de dix-huit mois. Il est peu à peu écarté du pouvoir par Nasser qui prend la direction effective du gouvernement en février 1954. C’est à ce titre qu’il signe le 27 juillet 1954 l’accord de Suez qui donne aux troupes britanniques une période de vingt mois pour quitter la zone du canal de Suez, et autorise la Grande-Bretagne à maintenir pendant cinq ans son dispositif militaire sous le contrôle de civils. Tout au long de cette période, elle garde la possibilité de faire retourner ses troupes dans la base militaire de Suez si jamais l’un des pays arabes ou la Turquie se retrouvait en proie à une attaque. Le traité sera ratifié le 19 octobre 1954, quelques jours avant l’acte final de la mise à l’écart de Néguib. En effet, le 26 octobre 1954, un attentat manqué présumé contre Nasser entraîne une forte répression contre les Frères musulmans. Mohammed Néguib, dont des liens avec la confrérie sont mis en évidence au cours du procès, est écarté du pouvoir et assigné à résidence.

Dès lors, Nasser se retrouve maître de l’Egypte. En 1955, il fait sa première grande sortie sur la scène internationale à l’occasion de la conférence de Bandoeng qui voit se réunir les principaux dirigeants du Tiers-Monde à la recherche d’un rôle qui puisse contrebalancer la lutte que se livrent les deux Grands. Sur la photographie en noir en blanc on le voit arborer un large sourire, lui le fils de postier désormais admis à la cours des grands, posant entre Nehru, Soekarno, Nkrumah et Tito. Auprès d’eux, il trouve la justification idéologique à son refus d’intégrer le Pacte de Bagdad qui a vu le jour le 24 février 1955 et auquel ont adhéré la Turquie, l’Irak, la Grande-Bretagne, le Pakistan et l’Iran. L’Egypte n’est pas défavorable au principe des alliances militaires mais elle refuse de se laisser entraîner dans une alliance qui regroupe deux de ses rivaux, la Grande-Bretagne et l’Irak hachémite. Début mars 1955, en réponse au Pacte de Bagdad, le Caire et Damas bientôt rejoints par Riyad s’unissent dans un nouveau pacte de sécurité interarabe, le Pacte Tripartite.

Un cap important est franchi le 26 septembre 1955 quand Nasser, lassé d’attendre une hypothétique aide militaire américaine, annonce avoir répondu favorablement à la proposition soviétique de lui vendre des armes. Les blindés, l’artillerie et les avions proviennent de Tchécoslovaquie. Pour la rue arabe, Nasser est désormais un héros ; pour les capitales occidentales dont les ministres des Affaires étrangères se réunissent à Genève, sa décision est lourde de conséquences, car elle ouvre la voie à la pénétration soviétique au Moyen-Orient. Signe de l’importance qu’il vient d’acquérir, Nasser fait pour la première fois la couverture du Time.

Lire la partie 3

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 Nasser et son temps
 Le rire de Nasser – Tewfic Aclimandos, politologue et historien égyptien, chercheur associé au Collège de France. Conférence à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm le mercredi 17 avril 2013, dans le cadre de la Semaine Arabe : « Rire à l’heure arabe »
 Caroline Kurhan, Le roi Farouk, Un destin foudroyé
 Farouk, un roi égyptien
 Farouk, avant dernier roi d’Egypte
 Caroline Kurhan, Princes et Princesses du Nil

Publié le 31/01/2019


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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